Un homme - enfin - libre
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par Maude Brulard Connu dans le monde entier pour sa lutte anti-mafia, Pino Arlacchi est - enfin - un homme libre.
Après avoir eu un contrat mafioso sur la tête, échappé de justesse à une tentative de meurtre et avoir vécu 15 ans sous protection policière, il s’épanouit maintenant dans les couloirs du Parlement européen, après avoir dû faire attention à chaque mot, chaque expression lorsqu’il était sous-secrétaire général de l’ONU. Un homme libre, de cette liberté durement gagnée que l’on chérit à tout prix. Portrait.
Les sourcils tombants, les joues détendues et le crâne dégarni, Pino Arlacchi n’a pourtant, à première vue, rien d’un homme hors du commun. Mais ses yeux perçants, d’un bleu-gris métallisé, démentent instantanément cette première impression. Adouci un peu par son sourire chaleureux, l’homme peut citer à son compte une vie mouvementée et nombre d’accomplissements majeurs qui ont chamboulé la lutte contre la mafia et la drogue.
Tout commence il y 60 ans, lorsqu’il naît dans un petit village tout au sud de l’Italie, en Calabre. Après une enfance passée à jouer dans les rues inondées de soleil, il s’intéresse tout naturellement à la mafia, qui sévit dans la région. « C’était un sujet d’études purement académique au début. Puis j’ai rencontré tous les gens qui se battaient contre elle et je me suis investi progressivement». Le virage radical survient en 92. À cette époque, les juges Falcone et Borsellino, amis proches de Pino Arlacchi, mènent la politique la plus sévère et la plus efficace jamais vue jusqu’alors contre le crime organisé. Fin mai, cinq quintaux d’explosifs, placés sous une autoroute, tuent le juge Falcone et sa femme, traumatisant l’Italie toute entière, et Pino Arlacchi. « Je n’aime pas parler de choses si personnelles, mais c’est la base de tout mon travail », explique t-il, un sourire triste accroché au visage.
Il s’engage donc dans la lutte, en informant, publiant, donnant des conférences. « Mais surtout, j’ai créé les politiques qui ont permis une chute drastique des activités mafieuses, et ils sont encore utilisés aujourd’hui. C’est pourquoi la mafia a mis un contrat sur ma tête : j’ai échappé de justesse à un attentat et j’ai vécu 15 ans sous protection policière». Ce qui n’a pas empêché cet homme de continuer son combat et d’aller même encore plus loin, en adaptant les programmes créés à l’époque au niveau international, grâce à son poste de sous-directeur général de l’ONU, et de directeur général du bureau à Vienne. C’est la convention de Palerme qui a défini et appliqué ces outils au niveau international. « C’est la chose dont je suis le plus fier, mon plus grand projet ».
Aujourd’hui au Parlement Européen, élu italien, membre du groupe des Socialistes et Démocrates, il travaille un peu moins sur la mafia, un peu plus sur les trafics de drogue. « C’est essentiel, car la drogue détruit les gens. Il faut l’interdire complètement ! » Une position radicale qui lui vaut beaucoup d’ennemis, tout comme son franc-parler et ses nombreux coups d’éclats. Mais même ses ennemis reconnaissent sa redoutable efficacité.
Aujourd’hui rapporteur spécial sur les questions de l’Afghanistan et du Pakistan pour le Parlement européen, c’est lui qui définit les nouvelles stratégies à mettre en place dans ces pays en plein chaos.
Un homme engagé, que certains qualifient de trop inflexible. Malgré ça, il arrive à s’écarter un temps des grands sujets qui changent le visage du monde, et à s’amuser des petites choses drôles de la vie quotidienne. « Je viens de changer de bureau, et regardez c’est Verhofstadt en face, on le reconnaît à la forme de sa tête, on dirait un casque ! », s’esclaffe-t-il, tout à fait à l’aise dans ce bureau minuscule, étage 7, bureau 62. « À l’ONU, je devais réfléchir à l’avance à chaque mot prononcé. Ici, je me sens libre ! », conclut-il avec un sourire radieux.
En partenariat avec l'Institut des Hautes Études des Communications Sociales (IHECS)