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Un élargissement pour panser les plaies de l'ile ?

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Comment les Chypriotes turcs voient-ils l’élargissement ? Témoignage d’un membre de la jeunesse du mouvement pour l'unité patriotique (YBH – gauche). En faveur d’une solution fédérale pour l’ile.

16 avril 2003 : à Chypre, le mur tombe.

Les Chypriotes sont surpris. Le monde aussi. Serait-ce une farce que l’on nous joue ? Mais si c’en est une alors surtout ne l’arrêtez pas ! pourrait-on s’exclamer à Chypre. Et puis, en peu de temps, l’étonnement cède la place aux larmes de joie. Les Chypriotes se défont de la nostalgie et des peines accumulées depuis 40 ans (1).

La suppression, même partielle, des barrières dressées entre les deux communautés ce 16 avril 2003 sur une initiative des autorités turques du Nord, modifie, en un clin d’oeil la vie sur l’île.

Ce sont d’abord les vieux amis qui se retrouvent autour d’un café, de souvenirs qu’on évoque non sans larmes. Puis les enfants d’avant 74 qui se présentent leurs enfants.

Quelques décennies plus tard, les familles se rendent sur les tombes des ancêtres. Les membres des deux communautés élèvent la même prière contre la dispute et la séparation. Mais cette ouverture du mur n’en reste pas là. Les activités bi-communautaires qui se sont perpétuées pendant des années et quelles que soient les difficultés dépassent alors le Ledra Palace* pour se propager sur toute l’île. Parce que si les obstacles à la libre circulation ont été levés, ce sont aussi les vieux préjugés qui sont brisés. Jusqu’à ce que, dans ce contexte, pour la première fois, de jeunes chypriotes turcs soient hébergés dans le sud de l’île pour participer au programme Euro-Med.

Plus rien ne sera comme avant

Des hommes d’affaire se rencontrent de part et d’autre. Des jeunes fondent des associations bi-communautaires. Les partis politiques signent des protocoles communs. Désormais, plus rien ne sera comme avant sur l’île. Alors que l’atmosphère porte la richesse des deux communautés, on ressent à chaque instant le souffle de la vie bi-communautaire.

Et oui, cette ouverture des portes n’a peut-être pas apporté la paix mais elle a beaucoup signifié. Elle a notamment prouvé la maturité du combat mené depuis des années par les Chypriotes turcs en faveur de la paix et de l’UE. C’est pour avoir reconnu le désir de paix de ses citoyens que les autorités turques du Nord de l’île comme le vrai maître de cette zone, la Turquie, ont décidé d’ouvrir les portes. Car ce combat que les Chypriotes turcs avaient fini par porter dans la rue aurait très bien pu emporter le régime.

Mais en essayant de se sauver, les autorités du Nord devaient mettre la main dans un engrenage fatal enclenché par l’ouverture des postes frontières : parce que d’une part, l’adhésion de la République chypriote à l’UE bloque toute possibilité pour une autre autorité au Nord de l’île ; parce que d’autre part, avec l’ouverture, les autorités du Nord ont dévoilé les codes sur lesquels reposait leur autorité. Leur idéologie nationaliste et séparatiste reposant sur les idées selon lesquelles les deux communautés étaient ennemies et ne pouvaient vivre ensemble, a complètement volé en éclats : l’élément idéologique qui soutenait le régime a dès lors perdu toute pertinence.

Et l’UE ?

En décembre 1999, au sommet européen d’Helsinki, il est décidé que jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée au Nord, l’acquis communautaire n’y serait pas appliqué. Par conséquent, les Chypriotes turcs resteront privés des bienfaits de l’adhésion comme du droit européen, non applicables au Nord. La partie sud, représentant l’ensemble de l’île a rempli les exigences en matière d’adhésion et s’attend à rentrer dans l’UE au mois de mai prochain, date à laquelle l’acquis communautaire s’y appliquera totalement.

L’élargissement européen a été une grande chance pour Chypre et continuera d’en être une. Comme je l’ai précisé plus haut, l’adhésion à l’UE rend impossible l’occupation turque du Nord de l’île, tout comme l’existence d’un pouvoir séparatiste baptisé « République Turque de Chypre du Nord ». Nous, Chypriotes, nous souhaitons une république fédérale au sein de laquelle puissent vivre Grecs et Turcs, égaux et libres. Les négociations entre Turcs et Grecs pourraient reprendre dans le cadre du plan Annan [le secrétaire général de l’ONU], en vue de soumettre un accord à l’approbation référendaire de chacun de leurs peuples pour une solution possible avant le 1er mai prochain.

D’abord Chypre, puis la Grèce et la Turquie

Par ailleurs, selon des protocoles signés entre Bruxelles et Nicosie, si une solution intervenait dans le cadre du plan Annan après cette date, la Commission Européenne pourrait accepter les modifications constitutionnelles et législatives chypriotes : la porte reste donc ouverte pour une solution permettant de satisfaire toutes les parties et intervenant après l’adhésion à l’UE.

L’UE joue un rôle à part dans la résolution des antagonismes chypriotes. Ce rôle, elle le tient de sa nature même. Parce qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la construction européenne est née de la volonté franco-allemande de mettre un terme à de vieux antagonismes. Réunis sur la base d’intérêts communs, les Etats européens, étendant leur union ont permis la résolution d’autres différends, avec une vigueur insoupçonnée. Chypre en est un bon exemple. Avant ou après le 1er mai 2004, l’UE s’appuyant sur son respect de l’Etat de droit et des Droits de l’Homme comme sur sa prospérité économique et sa civilisation, y contribuera à une paix durable. Le prochain exemple pourrait peut-être même concerner la Grèce et la Turquie dont les différends pourraient être levés dans le cadre de l’UE.

Ce n’est pas seulement l’Europe qui profitera de la chance que représente l’élargissement européen, mais le monde entier.

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Aimables remerciements à François Skvor pour sa traduction du Turc vers le Français.

* Ledra Palace : hôtel en pleine zone tampon à Chypre. Occupé par les forces de l’ONU, il sert de point de rencontre des leaders des deux communautés. L’un des points de passage entre Nord et Sud.

(1) Pour plus d'informations sur le contexte historique, voir dans ce même dossier l'article de Daniele Melli.