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Un chemin de croix

Published on

Berlin

de Julien Marsa

Premier film français présenté en compétition, où Guillaume Nicloux choisit d’adapter La Religieuse de Diderot, qui relate les malheurs infligés à Suzanne Simonin, jeune fille enrôlée de force dans les ordres.

Il existe un précédent célèbre en France, puisque ce roman fut déjà adapté par Jacques Rivette en 1967, et que le film fut à l’époque censuré par Yvon Bourges (Secrétaire d’état à l’information), interdit de projection pour cause de potentiels troubles à l’ordre public. Il sera donc curieux de voir, lors de sa sortie en salles françaises, le 20 mars prochain, si le film de Guillaume Nicloux provoque quelques remous dans l’opinion publique, même si aucun signe avant-coureur ne se profile, pour l’instant, à l’horizon.

Une charge anticléricale

Et l’on peine à croire, très honnêtement, à une nouvelle polémique. Non seulement les contours de la société française ont bien changé (quoique la virulence du débat autour du mariage pour tous convient de nuancer ce propos), mais il est vrai que les attaques anticléricales ne font plus les choux gras des journaux depuis longtemps. C’est donc de manière un brin anachronique que ce film vient porter sa petite charge contre le conservatisme chrétien – qui n’est bien évidemment pas la seule forme de conservatisme religieux qui existe actuellement dans le monde – mais l’on aurait du mal à prendre le cas de Suzanne Simonin pour en faire une figure de proue de la lutte face aux extrémismes cléricaux, tant son histoire se déroule dans un contexte bien défini. Sur le même type de sujet, et en plus problématique, il faudrait plutôt revoir Hadewijch de Bruno Dumont.

De plus, Guillaume Nicloux a la mauvaise idée de mener ce récit à la première personne, écrit à l’origine comme une fausse confession, à travers une mise en abyme qui voit le Marquis de Croismare découvrir le manuscrit de la religieuse, et le lire en même temps que son histoire nous est narrée. Suzanne Simonin est donc donnée, dans cette introduction, comme saine et sauve, ce qui vide le film d’une incertitude et une inquiétude qui faisaient par ailleurs la force du roman. Ce prologue sert en plus, comme bien souvent, d’effet d’annonce de la fin du film, comme si le cinéaste, apeuré par la crudité de son matériau de base, avait voulu s’en prévenir.

Un cinéaste trop appliqué

L’endoctrinement par le chantage émotionnel, la stigmatisation et les humiliations subies par Suzanne sont en outre filmés avec une austérité et une sécheresse académiques et plates, qui viennent faire redondance avec la rugosité du mode de vie monacal. La mise en scène est donc sagement assujettie au récit, et ne dévie pas d’un iota durant tout le film. Et ce n’est pas le personnage grand-guignolesque d’Isabelle Huppert, mère supérieure emportée par sa passion pour les jeunes filles, qui viendra sortir le film de sa torpeur mécanique, tant Nicloux la filme avec une application et un respect assez barbant.

Et pourtant, on sent qu’il ne manque pas grand-chose pour que Guillaume Nicloux se sorte de cet exercice scolaire et fastidieux. Pour preuve, cette belle idée qui court tout le long du film, et qui symbolise la construction de la volonté propre du personnage dans l’adversité, est de faire de Suzanne, lors des séances de chant au monastère, une voix qui recouvre les autres, et qui va peu à peu prendre son indépendance. Dommage que celle de Guillaume Nicloux ne fasse pas vraiment de même.

600 x 210

Cette critique a été originalement publiée par Berlinale im Dialog notre partenaire pour la Berlinale.