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UE / Turquie : partenaires ou gladiateurs ?

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A l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie, la confusion la plus totale règne en Europe sur l’attitude à tenir devant le gouvernement turc. Au cœur de la discorde, l’île de Chypre.

Des décennies durant, le conflit gréco-turc autour de Chypre a constitué l’un des obstacles majeurs à tout rapprochement entre la CEE et la Turquie. Lorsqu’en juillet 1990, Chypre a fait acte de candidature à la Communauté, cette dernière a voulu saisir une chance de paix. Elle a considéré que la République du sud agissait au nom de l'île toute entière. Les négociations ont été ouvertes en 1998 dans l'espoir de favoriser un processus de réunification politique. Mais ce pari a été perdu et c’est une île divisée qui est entrée dans l’UE au 1er mai 2004. Le rejet du plan Annan - proposé par les Nations Unies pour la réunification de Chypre - par la partie grecque, la persistance d’un nationalisme turc virulent, n’ont pas permis de surmonter la partition. Sans doute fallait-il tenter cette chance. Il existe quelques exemples historiques d’une fiction juridique entretenue malgré des circonstances défavorables, ayant débouché sur un dénouement heureux. Les alliés de 1945 ont ainsi, en dépit de la guerre froide, maintenu en vie le concept d’« Allemagne dans son ensemble » -la doctrine Hallstein - qui a ainsi pu être utilisé en 1990, lors de l’unification. De même, la non reconnaissance de l’annexion des Etats baltes par l’URSS a facilité l’indépendance de ces pays dans les années 90. Les voies de la réconciliation et de la paix ne sont pas toujours les plus droites. Il arrive cependant un moment où la courbe ramène au point de départ au lieu de faire avancer.

Subterfuges diplomatiques

Lors du conseil européen du 17 décembre 2004, les vingt-cinq chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas demandé expressément à la Turquie de reconnaître la République de Chypre qui était pourtant devenue l’un des leurs. Pour permettre aux Turcs de sauver la face à l’intérieur de leur pays, il a été décidé de recourir à l’un de ces détours dont les diplomaties ont le secret. La formule, alambiquée, mérite d’être citée in extenso (paragraphe 19) « Le gouvernement turc confirme qu’il est prêt à signer le protocole relatif à l’adaptation de l’accord d’Ankara qui tient compte de l’adhésion des dix nouveaux membres ; en conséquence, il s’est félicité de la déclaration de la Turquie selon laquelle (citation) 'le gouvernement turc confirme qu’il est prêt à signer le protocole relatif à l’adaptation de l’accord d’Ankara avant l’ouverture effective des négociations d’adhésion et après que les adaptations qui sont nécessaires eu égard à la composition actuelle de l’Union européenne auront fait l’objet d’un accord et auront été finalisées' ». En langage normal : les Turcs acceptent d’étendre aussi à Chypre – non citée mais visée à deux reprises– les dispositions qui régissaient antérieurement leurs relations avec les Quinze, avec toutes les conséquences que cela implique pour la libre circulation des navires, des aéronefs et des marchandises…C’est une reconnaissance de fait sinon de droit.

En juillet dernier, les Turcs se plient à cette exigence mais assortissent leur signature d’une déclaration explicite marquant leur refus de reconnaître Chypre. Dans un contexte où chaque mot avait été pesé, c’est une provocation. La réaction des autorités françaises est rapide. Pour le Premier ministre Dominique de Villepin, il est « inconcevable » d’accepter de négocier avec un pays refusant d’admettre l’existence d’un des Etats membres de l’Union. Hélas, dés la fin août, le président Chirac revient en arrière à la conférence des ambassadeurs, insistant sur l'ouverture des négociations. Quant à la Présidence britannique, loin de faire preuve de fermeté, elle a laissé passer la provocation, allant même jusqu’à abonder dans le sens des Turcs. Près de deux mois après, la présidence cherchaiter toujours, non sans maladresse vis-à-vis des Chypriotes et d’autres « petits » pays, une réaction appropriée. Mais il est difficile de trouver une formule de compromis qui tance les Turcs sans compromettre les négociations d’adhésion. Aucun Européen n’a le courage de proposer la solution requise : conditionner l’ouverture des négociations à un revirement turc.

Revirement européen

Une fois de plus, l’UE va céder. Cette attitude est déplorable. Autant il est concevable que les Européens fassent des efforts de présentation pour aider le gouvernement turc à franchir des caps difficiles ; autant il est dangereux de transiger sur un point fondamental lorsque le gouvernement turc, intransigeant à l’excès, retombe de lui-même dans l’ornière nationaliste. Exprimer publiquement que l’on refuse de reconnaître l’existence d’un des membres de la famille européenne alors qu’on aspire à y entrer révèle une incompréhension grave, de la part des Turcs, de ce qu’est l’Union européenne : non pas une arène de cirques où des gladiateurs se déchaînent les uns contre les autres mais une enceinte de coopération où chacun a une oreille pour les problèmes des partenaires et leur doit le respect.

Les poussées de nationalisme du printemps 2005, les poursuites contre l’écrivain Orhan Pamuk dont le seul crime est d’avoir appelé à faire la vérité sur le génocide arménien, la reprise des troubles au Kurdistan brouillent l’image positive que la Commission avait donnée dans son rapport d’octobre 2004. Sans compter que depuis la décision du Conseil européen de décembre 2004, deux pays fondateurs, en rejetant le Traité constitutionnel, ont montré la vulnérabilité de l’Union européenne. Les négociations se sont peut-être ouvertes mais déjà, le cœur n’y est plus.