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Thomas Thwaites : mi-homme, mi-chèvre

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Translation by:

Amélie Marin

ExperienceVoglio Vivere Così

Thomas n’est pas fou. Mais sa condition d’être humain le stresse parfois. C’est pour cela qu’il a un jour décidé de partir en vacances. Peu importait la destination. Il allait cesser d’être un humain et se transformer en un animal capable de personnifier comme personne le carpe diem : la chèvre.

Son accent britannique résonne de manière agréable et posée à l’autre bout du fil. Il n’est pas pressé. Thomas Thwaites distille les grandes réflexions qu’il partage avec le monde. Les chèvres savent beaucoup de choses que nous ne savons pas. « J’ai bien pensé à d’autres animaux, comme aux éléphants, par exemple. Mais en faisant des recherches, je me suis rendu compte qu’ils ont des vies très complexes, de même qu’une propre conception de la mortalité. C’est pour cela qu’un ami m’a dit qu’il fallait que je me transforme en chèvre parce qu’elle est capable d’échapper à la douleur existentielle d’être en vie. » Il continue, la voix presque chevrotante : « Ce sont des animaux exceptionnels. Ce sont de grandes alpinistes, elles ne voient pas leurs pattes mais savent parfaitement où et comment les placer. Les chèvres ne s’inquiètent pas ce qu’il va se passer la semaine qui vient ou l’année prochaine. Elles vivent constamment dans le présent. »

Devenir chèvre

Se mettre dans la peau d’une chèvre et parcourir les Alpes suisses pendant trois jours ne relève pas de la démence. C’est une expérience biologique et psychologique uniquement destinée aux courageux. « Derrière tout cela, il y a beaucoup plus que l’idée d’un fou qui veut se faire passer pour une chèvre du jour au lendemain », explique Thomas. Lui-même se considère comme un mec tout à fait normal. « Je mène la même vie que tout le monde, avec mes qualités et mes défauts. Mais j'étais curieux. » Une curiosité qui a souvent poussé Thomas à jumeler deux autres passions : la science et le design. En 2010, il présente à Londres un grille-pain qu'il a construit de A à Z. Même s'il prétend ne pas trop savoir quels projets viendront plus tard, on a du mal à le croire.

Derrière ses actes se cachent de grandes ambitions. Ambitions a priori individuelles, mais aussi collectives. « Je me suis laissé embarquer dans ce projet par l'idée de m'échapper vers un autre endroit. Je voulais savoir comment serait le monde à travers la perspective d'un animal sans craintes, ni préoccupations, ni remords. Je voulais voir ce que ça faisait de se sentir libre. » Quand on lui demande ce que les autres pensent de lui et de ses idées, il explique : « La plupart des gens ont seulement vu la partie la plus superficielle de l'histoire, mais j'ai reçu beaucoup de courriers de personnes qui me disaient que l'idée leur plaisait ». Son périple caprin, il l’a immortalisé dans un livre GoatMan: How I Took a Holiday from Being Human, (2015, Princeton Architectural Press, New York). Thomas plonge, avec une belle plume et une pointe d'humour, dans ce vieux rêve humain qui consiste à se transformer en animal en utilisant la technologie moderne.

Pour Thomas, le transhumanisme ne tombe pas dans la fiction. Nous avons aujourd’hui des exemples à partir desquels nous pouvons témoigner. Sans aller plus loin, nous avons le sien. Ses partisans s'accrochent au rêve de transformer les capacités humaines en utilisant la technologie, avec pour objectif ultime d'améliorer notre condition physique, mais aussi psychologique. « J'ai demandé à un neuroscientifique de modifier les parties de mon cerveau qui me différencient d'une chèvre. Mais évidemment, il a refusé, car l’opération serait irréversible », raconte-t-il. Il a ensuite rendu visite à un expert en comportement caprin. C'est alors que Thomas a appris qu'au-delà du physique, la différence majeure entre un humain et une chèvre est la mémoire épisodique. C'est grâce à elle que nous enregistrons des épisodes de notre histoire personnelle situés dans un lieu et un moment concrets de notre expérience. Sans elle, nous n'aurions pas de souvenirs et nous ne pourrions pas y recourir de temps à autre. « Les chèvres ne sont pas capables d'imaginer des histoires et d'inventer des scénarios futurs. C'est quelque chose qui est pour nous (les humains) un formidable outil parce qu'il nous permet d'imaginer des choses sans forcément les posséder. C'est la base de notre créativité et de notre ingéniosité », explique-t-il encore.

Dans le domaine de la science, beaucoup de spéculations et d'hypothèses composent encore l’expérience transhumaniste, mais selon notre homme, c'est justement ce qui nous pousse à progresser. « Tu peux comprendre beaucoup de choses si tu mets en pratique la spéculation. C'est alors que tu te rends compte de la complexité – et aussi de la douleur – de certaines expériences. Ça t'amène à beaucoup réfléchir », explique-t-il.

« Je me suis fait peur »

Il ne s’est pas dégonflé. Thomas s'est transformé en chèvre des montagnes – il a tout du moins essayé – et a vécu avec les autres animaux pendant trois jours et trois nuits. Des « vacances » pour lesquelles il a eu besoin de consacrer une année à la recherche et à la fabrication d'une prothèse pour ses jambes et ses bras. Il a ainsi pu marcher à quatre pattes et voir le monde d’une certaine hauteur.

Alors comment passent les journées quand on est une chèvre ? « Tu te lèves le matin et tu mets la prothèse. Je voulais dormir avec mais c'était très inconfortable. Le lendemain, j'étais très fatigué. Le premier jour, après avoir trait les chèvres – moi, on ne m'a pas trait - on est parti dans la montagne. Je me suis vraiment fait peur parce que c'était très escarpé, glissant et que j'étais assez lent. Je n'arrivais pas à suivre le rythme des chèvres. Pendant la nuit, je dormais avec elle dans la cabane. C'était beau... Même si ça sentait un peu mauvais. Mais tu finis par t'y habituer. Un peu froid. Un peu inconfortable. Mais c'était agréable d'être là, à seulement écouter le bruit de leurs clochettes ».

Comme lors de tout voyage, la nourriture est toujours un élément à prendre en compte. Là-haut, dans les Alpes, la spécialité locale, c’est l’herbe. « J’ai construit un rumen artificiel avec un sac en silicone. Je mastiquais l’herbe et la recrachais dedans. » Même si la science a bien avancé, la composition de l’herbe reste un mystère pour l’estomac humain. Il poursuit : « On n’a pas pu aller plus loin dans l’expérience parce que les personnes du département de l’université qui m’aidaient dans la recherche m’ont dit qu’ils ne pourraient simplement pas m’aider, que ce serait dangereux pour moi, même s’ils étaient vraiment intéressés par le projet.  Il y a encore beaucoup de choses à explorer dans le domaine des bactéries et des acides. »

« Quand tu es nouveau, tu dois trouver ta place »

Les chèvres ont aussitôt remarqué la présence de leur nouveau compagnon. Au début, elles étaient nerveuses mais « elles ont vite commencé à s’approcher de moi, à renifler ma barbe en se demandant de quelle espèce j’étais. Quand je suis parti, le chevrier m’a dit que les chèvres auraient fini par m’accepter et qu’il m’aurait mis une clochette », explique-t-il. Trois jours de voyage peuvent être très longs. Le temps de se faire des amis, mais aussi de se créer des ennuis. « Les relations ont été bonnes en général, particulièrement avec une des chèvre. J’étais tout le temps avec elle. Mais un jour, il y a eu comme une dispute, ce qui est finalement un signe d’acceptation, non ? La vérité, c’est que j’ai vu toutes ces cornes… et je suis parti en courant. » Il rit : « Quand tu es nouveau, tu dois trouver ta place. »

En rentrant à Londres, il a regardé d’un autre œil le café et son lit (les deux choses qui lui ont le plus manqué), puis tout a repris son cours habituel. Thomas n’est cependant plus le même homme. « J’ai pris davantage conscience des limites de notre propre perspective. Et cela s’applique facilement à la manière dont on comprend les idées des autres. Et oui, j’adorerais vivre à la campagne. Nous avons besoin de la société mais nous devons aussi nous souvenir que nous sommes des animaux », affirme-t-il. La technologie est-elle la solution à tous nos problèmes ? « C’est une grande erreur de penser que c’est seulement grâce à elle que nous résoudrons tous nos problèmes sociaux et politiques. La solution doit venir de nous. »

Les réflexions ne s’arrêtent pas là. Trois jours à paître font cogiter. « Te retrouver soudain sans mains te fait voir le monde d’une manière complètement différente. Mentalement, cela m’a également appris à regarder les choses sans les cataloguer. En voyant une chaise, par exemple, j’essayais de ne pas la mettre dans la case des choses où tu peux t’asseoir, parce que les chèvres ne la verraient pas ainsi. Modifier mon corps a été très intéressant puisque cela m’a permis de voir le monde sous un autre angle », précise-t-il. La vraie question désormais : que peut-on souhaiter à Thomas Thwaites pour l’année à venir ? « Ce que j'aimerais ? J’adorerais trouver une preuve de vie intelligente sur d’autres planètes. Ce serait génial. » La science a encore de l’avenir. Tout comme les grands optimistes.

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Voglio Vivere Così est une collection de 8 histoires qui racontent des modes de vie différents, alternatifs et uniques. 8 articles sur 8 semaines, choisis par nos soins. La vie des autres n'aura jamais été si familière.

Story by

Ana Valiente

Spanish freelance journalist based in Madrid. Currently exploring the boundless world of documentary filmmaking.

Translated from Thomas Thwaites, el señor de las cabras