Théâtre : Sympathy for the Devil
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Par Maeva Daycard « Le Démon de Debarmaalo est une comédie noire. La pièce reprend le motif d'un conte médiéval français traitant d'un barbier meurtrier devenu particulièrement populaire dans le mélodrame anglais du XIXe siècle. Un jour, j'ai imaginé ce qu'éprouverait le barbier s'il vivait à Debar Maalo. » Goran Stefanovski Les lumières s'allument, le temps s'arrête.
La pièce s'ouvre sur un espace temps figé, isolé du tic-tac continue des aiguilles. Lors du prologue, la machine se met en route. A l'envers. Nous basculons cinquante ans en arrière.
« Un homme normal pris dans des circonstances anormales »
Le Démon de Debarmaalo, c'est l'histoire d'un homme enragé. Après 15 ans de prison, Koce retrouve sa citoyenneté et devient barbier. Avide de vengeance, il s' érige alors en justicier et tranche la gorge de ses clients. Koce se libère d'années de frustration et exprime par ses actes une colère contre la vie. Et il en fait de la chair à kébabs, vendus partout dans la ville.
Goran Stefanovski est aussi un enragé. Son rasoir, c'est sa plume. Tout comme son personnage principal, l'auteur macédonien nourrit une profonde insatisfaction et conteste ouvertement le « capitalisme sauvage » que subit son pays. Mise en abîme, Le Démon de Debarmaalo est un meurtre théâtral orchestré par l'auteur lui-même.
« Un homme – en transitions ! »
Cette fable est une histoire de mouvements, de transitions. C'est la lutte entre l'ancien monde et le nouveau. Entre celui qui résiste et celui qui dérange les souvenirs. Toutes sortes de conflits sont exposées : générationnels entre un père et sa fille, d'amour, d'image entre ce qu'on dit, ce qu'on est, ce qu'on veut être. La pièce parle également des changements démographiques, de l'apparition de gratte-ciel, symboles de la « jungle sauvage » (Stefanovski). Debarmaalo aspire le spectateur vers un sombre univers.
Dominique Dolmieu, le metteur en scène, matérialise cette tourmente à l'aide d'un échafaudage. Seul objet résistant aux changements de lieux et temps, il permet aux comédiens de descendre au sous-sol dans une cave ou de s'élever d'un étage et acclamer le discours final du Président (dernière scène). Les changements de décors sont parfaitement cadrés, les comédiens vont et viennent et semblent danser. Cette fable est également une foire à questions, sur l'humanité, sur la vérité, sur le rôle citoyen. « Moralement cette chair est aussi sale que de la charogne. Pourquoi le peuple appréciait-il tant le goût de ces kebabs ? Parce que, sans le savoir, il mangeait ses propres bêtes sauvages. Mais l'ignorait-il totalement ? »
Que dire de l'interprétation ? Les neuf comédiens de la compagnie ne sont pas seulement au service du texte, mais ils le portent avec élégance. Ils en soulignent les aspérités et le cynisme inhérents au sujet traité.
« Koce est un homme simple, pris dans des circonstances exceptionnelles. Un homme normal pris dans des circonstances anormales. »
Le Démon de Débarmaalo, mis en scène par Dominique Dolmieu, au théâtre de l'Opprimé jusqu'au 25 Mars.