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Shelters : à l’abri des renards

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La Parisienne

C’est bien simple, quand on est un groupe du Sud et que l’on vient jouer à Paris, on monte. Mais quand on vient d’Agen et que l’on est programmé à la Flèche D’or avec Jil is Lucky, on prend une montée. Autrement dit, faut tout péter, y compris les groupes dont on était censé faire la première partie. Shelters, chronique d’une ascension en refuge.

« Agen, Agen, éloignez-vous de la bordure du quai.  » On ne le dit jamais assez mais l’accent agenais est sûrement celui qui est le plus difficile à imiter. Prenez une voix nasillarde, mêlez-la avec un petit timbre du sud toulousain et finissez les phrases le port altier comme si vous aviez les couilles pincées par un Bordelais. C’est ça qui donne un petit côté Aquitain en fait. C’est en tous les cas comme ça que le chef de gare – appelons-le Jean-Jacques – la cinquantaine bedonnante, me sifflait lorsque je repartais de mon séjour agenais chez mamie.

« Pruneaux d’Agen, ça vous va bien »

Il m’arrivait de temps en temps de passer quelque jours à Layrac, qui reste qu’on le veuille ou non – l’une des plus belles bourgades du Lot-et-Garonne. On voit d’ailleurs le superbe dôme de l’Eglise depuis l’A-62. Moi, j’aimais bien marcher avec mon papi sur le chemin du Papet. Il y avait une ancienne laverie en forme de filtre à café, je riais à m’en rouler par terre. Et mon grand-père, regardant son petit fils écroulé, se poilait de plus belle, laissant entrevoir les plombs qu’il avait à la place des dents du fond. Bref, quand la marche devenait sérieuse, qu’on allait se baladait aux bords du Gers avec nos bâtons de berger, mon Papi me disait que Layrac c’était un peu « l’Agen d’avant ». Celui qui sentait le pruneau.

J’ai beaucoup médité sur cette phrase sans jamais poser de question directement à mon grand-père. Chaque fois qu’il disait cela, c’est comme si il regrettait quelque chose, qu’Agen était devenu une ville pas comme il voulait. Il disait ça en regardant ses pieds puis jetait son regard au loin vers les voitures qui roulaient sur l’A-62.

20 ans plus tard, je vois pourtant toujours Agen comme un petit village. En fait, je pense sincèrement que le sort de cette ville est jeté. Elle a le malheur d’être sise entre Bordeaux et Toulouse. Pile au milieu. A 1 h  de chacune d’elle, même si ma tante disait toujours que ça allait plus vite d’arriver à Bordeaux. Aujourd’hui, les jeunes qui naissent à Agen, à Layrac ou à Fieux n’ont d’autre choix que de quitter le nid et de poursuivre leurs études soit dans la ville rose soit dans celle de Juppé. Il y aurait Albi, mais enfin bon.

Délinquance juvénile

Ceci ne laisse pas beaucoup de place au dynamisme juvénile. C’est bien connu, à Agen on joue aux boules, au rugby, aux cartes. On va au cinéma, au marché, au 8àHuit. On fait comme tout le monde en fait sauf qu’on le fait en un peu moins bien. Enfin, en un peu moins connu. Aussi, quand on fait de la musique –surtout du rock and roll – on joue à la Fête de la Musique.

Mais, parfois non. Moi je suis à Paris maintenant, et j’ai envie de dire à mon grand-père « non, non et non », la nostalgie de pépé je préfère que tu la marmonnes en te regardant les pieds ! Bon, aujourd’hui je ne peux plus mais il n’en reste pas moins que j’ai vu un groupe agenais faire du rock à la Flèche d’Or. Et figurez-vous que ça envoyait du pruneau chaud.

Shelters sort son premier album en 2013. Et c’est un peu pour ça qu’ils sont venus jouer ce soir en première partie de Pendentif (un groupe de Bordeaux) et deJil is Lucky (un groupe de Paris). C’était jeudi 29 novembre et c’était gratuit. Ne vous moquez pas, c’était gratuit pour Jil is Lucky aussi. Shelters commence donc, comme le veut la tradition de la réputation. « T’es pas connu, tu dis salut.  » Mais pour moi – qui ne les connaissait pas – c’était déjà une ascension qu’ils soient ici devant un public parisien. Forcément, quand on est un groupe de Province, sis entre Toulouse et Bordeaux, moi je pense qu’ « on monte  » à Paris. Enfin, à ce que j’en sais maintenant, c’est que les Shelters ont quand même bénéficié d’un tremplin. Celui des Inrocks et celui du Ricard. Tais-toi là-bas, le tremplin Ricard c’est beaucoup mieux que le concours SFR jeunes talents. Quand on perd au moins, on peut se bourrer la gueule à l’oeil. Ça tombe bien les Shelters ont perdu. Mais en finale. Le groupe a donc bénéficié de plusieurs tours pour faire entendre ses reprises et les trois seuls titres originaux dont on dispose sur la Toile. Puis le fait d’arriver second leur a donné envie de bosser dans leur garage et même poussé le chanteur, Léo, à intégrer la chorale de Pont-du-Casse.

Une batterie d’arguments

Si comme Ducasse je me décarcasse, c’est que pour moi ce groupe de freluquet a réalisé de loin le meilleur live de la soirée. Si vous doutez encore de line-up des live Ricard, sachez que Pendentif et Jil is Lucky ne sont pas des guignols. Arriver d’Agen, être obligé de le dire au public, ça n’a pas du être facile. Stress ou style, le chanteur a passé tout son set les mains dans le dos, comme s’il était soudainement appelé sous les drapeaux. Ses potes suivent tranquille derrière. Lui distille tranquillement deux-trois vannes gentilles avec un peu de trémolo dans la voix. Mais il y en a sur lequel il convient d’insister : le batteur. Comme on ne parle pas beaucoup de groupe agenais, on ne parle pas assez des batteurs. Je trouve. Je ne sais pas si c’est parce que la batterie était bizarrement placement à la complète droite de la scène mais le mec des Shelters est incroyable. Curieusement, ça ne s’étend pas trop sur la galette de 3 titres enregistrée en studio. Mais en live mes aïeux, le garçon joue de la tome comme rares m’en a été donné de voir. C’est peut-être ça qui rend le tout joyeusement intéressant. Et à y regarder de plus loin, lorsque l’on écoute « Wastes » au casque - pépère dans son canapé francilien – je ne vois pas pourquoi ce groupe d’Agen désormais sagement aguerri, ne serait pas au même titre que d’autres, le groupe à suivre pour le début de l’année à venir. Ça emboucherait pas mal de coins d’ailleurs. Surtout à ceux qui ne savent toujours pas placer Layrac sur une carte. Bon en tout cas, les gonzes peuvent remercier la Flèche d’Or mais surtout Pernod-Ricard qui a encore organisé une soirée dont ils étaient presque les héros. Ouais c’est ça toi là bas, rigole. Mais ris jaune.

Photos © courtoisie de la page Facebook officielle de Shelters

Vidéo (cc) RicardSALiveMusicTV/YouTube

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.