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Shakespeare, Sylvia et compagnie

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Translation by:

Amandine Schneider

Culture

Sylvia Whitman, à peine plus de trente ans, est la nouvelle propriétaire de Shakespeare and Company, la célèbre librairie anglaise de la Rive gauche. Au cours des dernières années, la librairie a changé de visage grâce à elle, sans toutefois perdre son âme de centre culturel et de lieu d’accueil de jeunes écrivains fauchés.

Chronique d’une après-midi au milieu des premières éditions de la librairie Shakespeare – une collection qui ferait rêver plus d’un bibliophile.

« Un jour ou l’autre, Shakespeare and Company aura elle aussi sa librairie en ligne, affirme Sylvia Whitman, même si personnellement je ne suis pas une adepte des e-books. » À trente-deux ans, Sylvia est la troisième propriétaire de la célèbre librairie anglaise de la Rive gauche, après Sylvia Beach, son homonyme et fondatrice du lieu, et George Whitman, son père, d’origine américaine, décédé en décembre dernier.

« Après une journée de travail sur les comptes Facebook et Twitter ainsi que sur le site de la librairie, je n’ai qu’une envie, c’est de me déconnecter de tout et de lire un vrai livre en papier », explique Sylvia, qui ne dénigre pas pour autant les livres numériques : « Ils peuvent être très utiles pour les éditeurs et pour les voyageurs, ou pour élargir les recherches des lecteurs. Quand j’ai lu l’un des premiers articles parus sur les livres électroniques, mon père a voulu l’afficher sur le comptoir à l’entrée. Il a toujours été ouvert à la nouveauté. »

« Une maison n’est belle qu’une fois remplie de livres. »

Sylvia est née à Paris et a étudié en Angleterre et en Écosse (elle a obtenu son diplôme d’histoire à l’Université de Londres) avant de revenir dans la librairie qui l’a vue grandir. « Mon livre préféré change de titre chaque semaine. Mais je suis une inconditionnelle de Francis Scott Fitzgerald et de Jeanette Winterson, et je relis régulièrement Alice au pays des merveilles. Ce livre me rappelle mon enfance. » À la question de savoir pourquoi elle est tant attachée au livre comme objet matériel, Sylvia répond : « J’aime les livres parce qu’ils peuvent être à la fois un objet d’art et à la fois un ami qui nous rappelle le moment où on les a lus. Une maison n’est belle qu’une fois remplie de livres. »

Nous la rencontrons par une après-midi de fin d’été dans la « pièce des premières éditions » de Shakespeare and Company, verrouillée et située juste à côté de l’entrée principale. Sylvia est rayonnante dans sa robe bleue à pois, elle sort à l’instant d’une réunion et est soulagée de ne pas devoir nous expliquer toute l’histoire de la librairie depuis les origines. Cette histoire, nous vous laissons le plaisir de la (re)découvrir dans l’article d’Elisa Marengo pour cafebabel.com (« ‘Shakespeare & co’ ou la bohème littéraire »).

Entre le Web et les « tumbleweeds »

Sous la houlette de Sylvia, Shakespeare and Company a connu au cours des dernières années d’importants changements : le premier inventaire des livres que possède la librairie a été rédigé (49 000 livres neufs, 5 000 titres rares, un nombre incalculable – et non calculé – de livres d’occasion), l’ordinateur et le téléphone ont fait leur apparition au milieu des étagères, et la librairie dispose désormais de son site internet et d’un compte sur les principaux réseaux sociaux. D’aucuns ont toutefois protesté contre toutes ces nouveautés technologiques : « Certains clients se sont plaints, mais la plupart des lecteurs sont contents de ces changements. Ils peuvent à présent trouver facilement les livres qu’ils cherchent, alors qu’avant ils devaient farfouiller dans toute la librairie puisque nous n’avions pas d’inventaire. »

« Je relis régulièrement Alice au pays des merveilles. Ce livre me rappelle mon enfance. »

Le mode de gestion du personnel a lui aussi subi l’une ou l’autre modification : avant, il était composé d’étudiants qui travaillaient à temps partiel, aujourd’hui ce sont des vendeurs qui travaillent à temps plein et qui sont aidés par les « tumbleweeds » de passage, comme on les appelle en référence aux boules d’herbes sèches que l’on voit rouler à travers le désert dans les westerns américains. Il s’agit de jeunes écrivains qui occupent temporairement les chambres annexes de la librairie. « Pour l’instant, nous accueillons deux Allemands, un Iranien, un Américain et un Anglais. Ils peuvent rester chez nous une semaine, explique Sylvia, mais en échange ils doivent donner un coup de main à la librairie, lire au moins un livre par jour et écrire leur propre biographie. »

Cette coutume qui veut que la librairie conserve la biographie de chaque « tumbleweed » de passage remonte aux années soixante, quand la préfecture de Paris a demandé à George Whitman de signaler ses « protégés » à chaque fois qu’un nouveau arrivait.

Grâce à cette obligation, les archives de Shakespeare and Company comptent aujourd’hui plus de 30 000 biographies de « tumbleweeds », des écrivains à succès aux talents encore à découvrir. Cette abondante documentation, conjuguée à celle issue des journées d’inventaire, se retrouvera dans un livre en cours de rédaction sur l’histoire de la librairie. Il s’agit du premier ouvrage consacré exclusivement à Shakespeare and Company, et il portera la signature de sa propriétaire actuelle.

« Je n’écris pas de récits, et je ne joue pas de piano aux visiteurs : quand je suis à la librairie, je consacre tout mon temps au travail », avoue Sylvia, dont l’esprit fourmille de mille autres projets. Après avoir lancé le Paris Literary Prize, ouvert à des nouvellistes venus du monde entier, ainsi que le FestivalandCo, un événement littéraire qui rassemble écrivains célèbres et lecteurs sous un chapiteau à deux pas de la librairie (l’édition 2012 a été annulée en raison du décès de George), Sylvia a l’intention d’ouvrir un café littéraire et un cinéma underground dans les locaux de la librairie. L’obstacle principal sera vraisemblablement le manque d’espace : les loyers dans le cinquième arrondissement, où se situe la librairie, sont mirobolants, et « quand il s’agit d’acheter, les fast-foods et les échoppes de souvenirs ont toujours le dessus. »

Lorsque nous lui demandons si elle rêve de découvrir un nouveau James Joyce à publier, Sylvia reste réservée. « Sylvia Beach (dont on commémore cette année le cinquantième anniversaire de sa disparition, ndlr) a été la première à publier l’Ulysse de James Joyce à l’époque où il était encore à peine connu. Mais les temps ont changé. » Sylvia, qui entend préserver l’esprit de la librairie sans perdre le défi lancé par les grands éditeurs et les boutiques en ligne aux petites librairies, a une autre idée derrière la tête : « J’aimerais me procurer une machine qui permettrait aux écrivains qui s’arrêtent ici d’imprimer eux-mêmes leurs manuscrits s’ils ne trouvent aucun éditeur disposé à le faire ». Aspirants James Joyce, vous voilà avertis.

La librairie Shakespeare and Company se trouve a Paris, 37 rue de la Bucherie (métro Saint Michel).

Photo : © Jacopo Franchi. Vidéo (cc) bskahn/youtube e owlcavetv/youtube.

Translated from Sylvia, la terza giovinezza di Shakespeare and Company