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Selçuk Altun: «La Turquie en plein clash des cultures»

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Hélène Gouhier

Culture

Cet auteur turc aborde les sujets qui fâchent : éducation, information, laïcité. Ses romans ont même été boycottés par certains médias. Brebis galeuse ou figure incontournable ?

« Le gouvernement actuel à Ankara semble avoir peu d’intérêt pour la Turquie d’aujourd’hui ou son héritage byzantin »

Les journalistes londoniens ont leurs petites habitudes au Frontline Club. Dans ce bar plutôt populaire de la capitale britannique, je rencontre l’auteur de fiction turc Selçuk Altun. Un beau et chaud jour de juillet, il fait la promotion de son deuxième livre bientôt traduit en anglais, Many and Many a Year Ago (Telegram Books - Août 2009). Un récit excitant, mêlant mystère et aventure, qui promène le lecteur à travers le riche héritage culturel ottoman et byzantin d'Istanbul. Et comme dans son précédent roman policier Songs My Mother Never Taught Me (Telegram Books - Juillet 2008), il s’y attaque, en autres thèmes fondamentaux de la société turque contemporaine, au conflit entre laïcité et religion.

Chaque fois qu’il vient à Londres, Selçuk en profite aussi pour aller voir un match de foot : il se dit fervent supporter du club du football de Chelsea depuis 1974. Selçuk, l’homme tranquille et modeste, ne domine pas seulement le monde de la littérature : il est l’ancien vice-président d'une des plus grandes banques de Turquie, Yapi Kredi. Il n'a commencé à écrire sérieusement qu’en 2004, alors que sa carrière financière touchait à sa fin et qu’il devenait PDG de Yapi Kredi Publications, une des plus grandes maisons d'édition de Turquie. Aujourd’hui, il est aussi chroniqueur pour la rubrique culture de certains journaux turcs comme Cumhuriyet, un quotidien de centre gauche.

Une éducation trop pauvre

« C’est l’amour de ma mère pour les livres qui m'a donné envie d’écrire », affirme ce diplômé de l'université Bosphorus d’Istanbul. Parmi ses auteurs favoris, il en cite deux, l’autrichien Thomas Bernhard et le poète moderniste turc Oktay Rifat. Selçuk a trois autres livres à son actif, qui ont été édités dans son pays. « Mais le sort d’un auteur à succès en Turquie n'est pas toujours heureux », avertit cet homme marié et père d’une fille unique prénommée Elvin. Car les auteurs sont confrontés à plusieurs défis : y compris celui d’être menacé à la fois par les forces politiques de l’Etat et celles religieuses. « Mon troisième roman, Taste of the Bullet (2003), a été interdit et mis sur une liste noire en Turquie par un conglomérat majeur du monde des médias, tout cela parce qu’il fait la critique du rachat des médias publics par le privé », indique-t-il.

Et le retard de la Turquie sur le plan de l’instruction culturelle n’aide pas les auteurs. Les gens n’y sont pas enthousiastes à l’idée de lire les livres, les magazines ou les journaux, même sur Internet. Selon Selçuk, ce phénomène est dû aux « niveaux historiquement pauvres d'instruction, aux niveaux de vie très bas également, aux attitudes religieuses et au fait que presque la moitié de la population a moins de 25 ans. La première édition de mon premier roman s’est vendue à 15 000 exemplaires et a été acclamée par la critique », explique Selçuk. Mais les chiffres officiels concernant ses autres livres sont moins bons : « Ceci est aussi la conséquence du piratage de mon travail ! » Rien qu’en 2006, la police turque a confisqué 142 000 copies piratées de son œuvre. Récemment, Ankara a présenté un nouveau système de protection des droits d’auteur. Désormais chaque livre officiellement édité doit porter une étiquette de sécurité du gouvernement.

Jamais membre de l’UE

« Je doute que la Turquie joigne un jour l'UE », commente Selçuk alors que nous évoquons le problème des droits d’auteurs sur le reste du continent. « Le climat actuel n'aide pas. La Turquie est un peu déroutée en observant la réaction de l'Europe, alors que son économie tourne au ralenti. En Turquie, être en période de crise ou récupérer d'une situation de crise, cela fait partie du quotidien. Il n’y a pas si longtemps, le pays avait un taux d'inflation à trois chiffres. En Europe, certains dirigeants politiques, tels que Nicolas Sarkozy, ne se réjouissent pas du projet d’adhésion de la Turquie à l’UE. Pour eux, la Turquie n'est pas un pays européen : d’autant plus que nous sommes une majorité de Musulmans, que le gouvernement aux commandes à Ankara est musulman. La Turquie vit actuellement un « clash » des cultures entre les laïcs et les religieux. Il y a ceux qui se plaignent que la Turquie moderne ne soit pas assez orientale tandis que d’autres déplorent l'inverse », dit-il.

Ce conflit d’intérêts est perceptible jusqu’en Grande-Bretagne : Ankara n’a pas pu y envoyer d’antiquités byzantines à l'exposition qui s’est récemment tenue sur ce thème à la Royal Academy de Londres. En 2008, elle n'avait pas non plus réussi à envoyer d’auteurs populaires laïcs à la foire du livre de Francfort qui célébrait la littérature turque. « Le gouvernement actuel à Ankara semble avoir peu d’intérêt pour la Turquie d’aujourd’hui ou son héritage byzantin qui a tant contribué au développement du monde moderne, indique Selçuk, de l'introduction de la fourchette pour manger jusqu’à la connaissance même qui a amené la Renaissance en Europe. » Le prochain livre d'Altun Selçuk, Sultan of Byzantium, devrait brosser l’histoire, fictive, de l'empereur et de ses descendants. Il devrait être disponible en anglais dans l'ensemble de l'Europe.

Translated from Selçuk Altun: 'Being in a crisis or recovering from one is part of normal life in Turkey'