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Sabrina Pignedoli : la candidate italienne qui fait sa loi

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Florence BAUMIER

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De journaliste d'investigation, Sabrina Pignedoli est passée consultante à la commission parlementaire anti-mafia. Profondément déçue par le système politique traditionnel, elle est aussi devenue à 35 ans, tête de liste aux élections européennes, pour le Mouvement 5 étoiles (Cinque stelle). Cafébabel l'a suivie sur les quelques étapes qui ont jalonné sa campagne électorale. Immersion dans sa circonscription du nord-est, où les Européennes ne suscitent ni l'attention, ni les discussions. Comme dans le reste de l'Italie, d'ailleurs.

Les derniers mois ont été remplis de surprises pour l'Émilienne Sabrina Pignedoli. Le vice-président du Conseil Luigi Di Maio a fait d'elle, à 35 ans à peine, la tête de liste de la circonscription électorale du nord-est pour les élections européennes. Mais tout cela ne s'est pas fait en un jour. Cette position lui a été proposée après sa nomination en tant que consultante à la commission parlementaire anti-mafia en mars dernier. Depuis, Sabrina s'est rapprochée de plus en plus du Mouvement 5 étoiles (M5S). Ses adhérents ont finalement approuvé la candidature de la jeune femme via la plateforme web, Rousseau. Un vote en ligne, en bloc, visant à approuver les cinq dirigeants du M5S. Tous les profils ont été poussés par Di Maio lui-même.

Droit dans sa Botte

Gare de Reggio Emilia. L’air du matin est vif et les premiers rayons du soleil annoncent une journée printanière. Sabrina Pignedoli passe me prendre en voiture. Le temps d'une salutation, je m'assois derrière et nous sommes sur la route... déjà en retard. Direction Faenza, pour une conférence de presse et une visite obligée sur le marché, au contact des habitants. Nul besoin de faire des manières. Nous nous sommes déjà rencontrées la veille au soir, lors de la réunion de campagne électorale intitulée Continuer X Changer, en Europe aussi. Non, ce qu'il faudrait, c'est un bon café. Mais nous n'avons pas le temps, même pas pour une cigarette. C'est Marco, son assistant, qui en souffre le plus, et qui ne lâche pas sa colistière d'une semelle depuis le début de la campagne. « Vous voyez ce bâtiment ?, nous demande-t-elle avant de s'engager sur le boulevard périphérique. C'est le Palais de Justice de Reggio Emilia. J'ai passé tellement de temps là-bas. J'ai été partie civile dans le maxi-procès Aemilia d'octobre 2015. J'avais subi des pressions et des menaces pour ne pas publier certaines informations. Je travaillais comme journaliste pour le Resto del Carlino. »

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Tandis que nous roulons sur le périph, un bâtiment gris des années vingt défile. Sabrina Pignedoli le pointe du doigt : « Ce palais de justice a été le théâtre de procès pour beaucoup de brigadistes ». En effet, le noyau central des Brigades rouges (organisation radicale d'extrême gauche, ndlr) est né ici même, dans la province de Reggio Emilia, au début des années 1970. Et pourtant, l'austère bâtiment devant lequel nous passons en voiture est surtout connu pour des événements plus récents : le maxi-procès Aemilia, procédure judiciaire qui a définitivement révélé l'enracinement de la 'Ndrangheta (puissante mafia calabraise, ndlr) jusque dans le nord de l' Italie. « J'étais témoin en tant que journaliste. Le système d'infiltration et de contrôle du territoire de 'Ndrangheta était clair à mes yeux. La 'Ndrangheta gérait diverses activités économiques. » Un exemple parmi d'autres ? Les marchés pour la reconstruction des zones ayant souffert du tremblement de terre de 2012, qui a déchiré l'Emilie-Romagne, en particulier Reggio Emilia et Parme. « J'ai été menacée. Et soudain, c'était le vide autour de moi. Je me suis retrouvée isolée », confie la candidate. Sa voix est ferme. « Seul le Mouvement m'a accompagnée et soutenue. Tous les autres représentants politiques de gauche ou de droite m'ont tourné le dos. Et puis je me suis battue pour que le procès se déroule ici même, à Reggio, au plus près des citoyens qui ont été frappés par tout cela. »

« Seul le Mouvement m'a accompagnée et soutenue. »

Diplômée de l'école Dams de Bologne en cinéma et arts de la scène, Sabrina Pignedoli travaille en 2007 à Rome comme costumière pour la Traviata de Massimo Ranieri. Elle se souvient précisément de la profonde admiration et de la curiosité qu'elle ressentait en observant les journalistes devant le théâtre. D'aussi loin qu'elle se souvienne, l'ancienne étudiante a toujours été passionnée par cette profession et s'est finalement inscrite à l'école de journalisme de Bologne. Avec un faible pour le crime et la justice. Qui ne l'éloignent pas du chemin classique d'une aspirante journaliste en Italie : stage, innombrables contrats de projet, CDI qui semble ne jamais arriver... Jusqu'à la titularisation au sein de la rédaction du quotidien Resto del Carlino de Reggio Emilia. Et puis, la consécration avec l'enquête publiée sur l'Espresso, concernant la présence de la 'Ndrangheta en Allemagne (une recherche financée notamment par des fonds de l'UE, ndlr).

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© Francesca Festa

Amener l'anti-mafia en Europe

Péage d’autoroute A1. Sabrina Pignedoli maintient un regard concentré derrière le volant, tout en essayant de réorganiser mentalement l'agenda des prochains jours. La candidate a du mal à se souvenir de la palanquée de rendez-vous qui l'attendent. Marco sort son smartphone. « Où sommes-nous demain ?... Et le jour suivant ?... Ok. Au moins, il y a un jour de repos. Nous devons vraiment passer par Padoue, Trieste... Ce sont des étapes obligatoires ! »

Beaucoup d'Italiens renverraient Sabrina Pignedoli au terme de « giustizialista » (terme créé par les médias italiens pour définir une personne qui soutient une justice sévère, voire sommaire, ndlr). Cette confiance extrême dans la loi vaut plus que toute autre chose selon elle. En Italie, il existe même un courant politique légaliste, une idéologie moderne désormais constituée en parti, créé par le magistrat le plus connu du pays, Antonio Di Pietro. Lorsqu'elle se trouve sur la place, à Reggio Emilia, Sabrina Pignedoli se tourne vers ses électeurs potentiels. L'accent est toujours mis sur la lutte contre le crime organisé. C'est pour elle une lutte à mener au niveau européen. Nécessairement. En témoigne son programme électoral, qui prévoit d'étendre aux législations des autres États membres l'article 416bis du code pénal italien, qui définit précisément les associations de malfaiteurs de type mafieux. « L’opinion répandue dans les autres pays européens, c'est que la mafia n’est qu’un problème italien. Un peu comme quand, dans le nord de l'Italie, ils croyaient que ce n'était qu'un problème au sud. C'est pourquoi je souhaite placer la question du crime organisé au centre du débat européen, car il s'agit désormais d'une question de criminalité organisée transnationale. On ne peut la combattre qu'en travaillant au niveau européen. »

Le ton monte lorsqu'elle m'explique comment la saisie préventive de biens immobiliers, ainsi que leur confiscation et leur réutilisation sociale, constituent un acquis fondamental de la législation italienne. Leur extension au niveau européen est essentielle. Viennent ensuite Eurojust et Europol. Le premier est un organisme de l’UE chargé de promouvoir la coordination des enquêtes et des procédures judiciaires entre les États membres. Le second, l’agence de l’UE chargée de lutter contre la criminalité au niveau européen. « Comment pensons-nous pouvoir lutter contre le crime organisé, si le personnel de ces organismes n’est pas sensibilisé au phénomène et qu’il n’existe aucune approche systémique de la criminalité organisée de type mafieux ? »

« On parle ici de crime organisé transnational. Vous ne pouvez vous battre qu'en travaillant au niveau européen »

Sabrina Pignedoli trépigne d'impatience pour faire entendre sa voix, fatiguée de « L'Europe de la série A et de la série B », telle qu'elle la définit. Les médias de masse européens ? « Ils nous appellent populistes, souverainistes, eurosceptiques. Et même incompétents. Je te le dis, nous sommes les seuls à avoir agi de manière concrète, à avoir réduit les rentes et à avoir fait quelque chose pour le respect des lois en Italie. Comme dans le cas de Siri » (concernant la révocation de la nomination du sous-secrétaire aux transports de la Ligue et conseiller économique de Matteo Salvini, ayant fait l'objet d'une enquête pour corruption, ndlr). En plus de son combat « personnel » contre la mafia et pour la justice, Pignedoli souligne la nécessité d'un salaire minimum européen dans le domaine des politiques sociales. Un des points clés du programme M5S, mais aussi du Parti démocrate, pour que le changement se poursuive également en Europe. « Le salaire minimum est déjà à l'agenda de l'actuel gouvernement avec la Ligue. »

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L'accord gouvernemental entre le M5S et la Ligue, agace la tête de liste. Elle répète immédiatement qu'il ne s'agit pas d'une alliance politique, mais d'un simple contrat, établi sur une liste de points précis. Pour la candidate, les positions de M5S et de la Ligue restent bien distinctes. Selon la dernière enquête menée par l'Institut Demos, deux Italiens sur trois ne savent pas encore pour qui voter aux élections européennes du 26 mai prochain. Le Mouvement 5 étoiles pourrait perdre jusqu'à 10 points par rapport aux élections de 2018, même s'il semble rattraper son retard, pouvant compter sur 23% des électeurs. S’il s’agit d’un « contrat » et non d’une « alliance » selon Pignedoli, il semble que les citoyens n’aient pas apprécié le choix du M5S de gouverner avec un parti d'extrême droite.

Leçons de scène

« Nous devons ramener les gens aux urnes. » Bien que motivée par le désir de rapprocher les citoyens de l'Europe, Sabrina Pignedoli n'aime pas vraiment le spectacle. C'est aussi pour cette raison qu'elle ne parvient pas vraiment à rassembler les foules. Sur la place de Reggio Emilia, lorsque son tour arrive enfin, sa voix semble cassée. Même quand elle parle de crime organisé. « Je ne suis pas satisfaite de mon discours de ce soir. J'étais vraiment mal à l'aise. C'était étrange d'être de l'autre côté, confie-t-elle. Reggio est ma ville. Ici, j'ai toujours été exposée en tant que journaliste pour le Resto del Carlino. Maintenant, j'ai un nouveau rôle politique. Je n'y suis pas habituée. »

En vrai, Sabrina Pignedoli n'a jamais fait de politique. « Le jour où le personnel de Di Maio m'a appelée et m'a proposé la candidature, j'ai été stupéfaite et heureuse. Je crois que Di Maio m’a choisie pour ma carrière professionnelle, conforme aux valeurs du Mouvement. » Après moins d’un mois de campagne électorale, serait-il déjà temps de faire le point ? « La vie ne change pas, mais la fatigue s'accumule. Les heures de sommeil se font rares avec un agenda électoral complet. Je n'ose pas imaginer le tour de force de la dernière semaine avant le 26 mai ! » Puis elle se sauve pour saluer ses parents, présents dans le public avec des amis et de la famille.

« Maintenant, j'ai un nouveau rôle : politique. »

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Sabrina Pignedoli. Sur la scène de Reggio Emilia © Francesca Festa

Bien qu'elle soit consciente d'être un poisson hors de l'eau, la candidate du M5S tente de défendre fièrement son rôle. Elle sait qu'il lui faudra du temps pour s'adapter à cette nouvelle vie. Elle figure également parmi les plus jeunes têtes de liste italiennes participant aux élections européennes. Contrairement aux autres candidats du Mouvement qui parlent vaguement de l'environnement et d'aide social, son point fort, selon ses soutiens, c'est l'utilisation d'éléments précis et factuels. Sa grande qualité ? « L'autocritique », répond Marco. Avant de citer un exemple, au lendemain de la soirée à Reggio Emilia, lors du banquet des militants du M5S sur la place de Faenza, lorsque sa protégée repense à sa performance : « Ça se voit vraiment que c'est la première fois, hein ? Que je ne sais pas bien m'y prendre ? ».

Jour de marché, alerte à la concurrence. En plus du M5S, le Parti Démocrate et la Ligue ont décidé de descendre dans la rue avant les Européennes. Parmi les passants, des curieux s’approchent du banquet M5S. Le fait de pouvoir discuter du programme électoral comme une simple conversation rassure Sabrina Pignedoli qui écoute les besoins et les critiques des citoyens. Elle interagit avec les « visiteurs » et essaie de répondre de manière la plus complète possible. Avant de parler, enfin, de sa propre génération. « Au Parlement européen, le Mouvement ne siègera qu'avec ceux qui partagent nos valeurs et placent les jeunes générations au centre des propositions politiques. » Mais au fait, avec qui le M5S sera-t-il allié ? « Il est encore tôt pour s'exprimer à ce sujet», esquive-t-elle. Pourtant, il reste trois jours avant que les citoyens italiens s'expriment sur une primo-candidate dont la trajectoire politique est encore inconnue. Lancée dans une campagne pour les Européennes qui n'a jamais pris dans la Botte, nous ne savons finalement pas grand-chose de Sabrina Pignedoli. Si ce n'est qu'en tant que légaliste, elle a évidemment tout ses papiers en règle.

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Photo de couverture : © Francesca Festa

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Translated from Sabrina Pignedoli : sulla strada per le Europee