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Roland Ries " Mon ambition rejoint [alors] celle des Pères fondateurs de l’Europe"

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Strasbourg

Strasbourg, le 29 août 2008

''Par Lucie Dupin (avec Sophie Kolb, de ReD)"

Roland Ries, maire PS de Strasbourg, élu en mars 2008, a rencontré Babel Strasbourg. L’un de ses thèmes de campagne abordait la place de Strasbourg en Europe. En tant qu’élu d’une des capitales de l’Europe, les ambitions sont grandes, et les défis à relever nombreux.

''Ecoutez l'interview avec Roland Ries!

  • En partenariat avec Radioeurodistrict''

    Babel : Quelques mois après votre élection, pourriez vous nous dresser un tableau de vos principales ambitions pour la ville de Strasbourg sur les questions européennes ? Sur les questions européennes, je suis de ceux qui pensent qu’il y a deux niveaux dans la construction européenne. Au niveau étatique, 27 pays travaillent ensemble, avec certes des difficultés, notamment pour les décisions qui exigent l’unanimité. L’autre niveau c’est le local. Il peut s’agir du régional, des collectivités locales. Je me place à ce niveau là et je pense que l’un peut booster l’autre. C’est bien que l’on ait des accords étatiques qui favorisent les contacts des collectivités entre elles. Mais il est aussi important que des coopérations au niveau local se concrétisent, afin de faciliter les choses au niveau national et supranational. En tant qu’élu local, ma perspective est de développer des coopérations transfrontalières. Strasbourg et l’Ortenau, ce n’est pas tout à fait une zone frontalière comme les autres. Il y a ici une histoire forte, il y a des institutions européennes qui sont implantées. Mon souci, au-delà de la coopération transfrontalière, est aussi de conforter la vocation européenne de Strasbourg. Je souhaite ainsi maintenir les institutions déjà présentes, en particulier le Parlement européen mais aussi le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’Homme et pouvoir en attirer d’autres. C’est ce qui m’a amené, dès le début de ma prise de fonctions, à me lancer dans cette bataille pour l’Eurodistrict (1) . L’Eurodistrict qui existe aujourd’hui est une zone de coopération transfrontalière comme il en existe dans d’autres zones frontalières. Mon ambition rejoint alors celle des Pères fondateurs de l’Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale. C’est de créer ici un territoire européen à statut juridique, peut-être fiscal particulier. Il sera, d’une part, un des territoires pionniers en Europe pour contribuer à faciliter la vie des citoyens. D’autre part, il confortera l’existence des institutions européennes à Strasbourg.

    Babel : A quoi doivent s’attendre prochainement les citoyens dans le domaine de l’Eurodistrict ? Le souci qui est le mien depuis le début, c’est d’aller au-delà de la zone de coopération transfrontalière vers un territoire européen modèle en quelque sorte, pour se distinguer de l’eurodistrict, terme un peu ambiguë. Concrètement, nous sommes aujourd’hui dans la phase de sensibilisation des responsables et des élus de part et d’autre de la frontière. Cette sensibilisation devrait donner lieu, dès l’automne, à une grande réunion d’environ 2000 élus, y compris des petites communes de la CUS et de l’Ortenaukreis (ndlr : conseils municipaux de l’Ortenau et les 28 communes de la C.U.S et les intercommunalités). A l’issu de cette manifestation serait proclamé un « serment solennel », engagement vers une nouvelle étape dans la création de l’Eurodistrict. Le pallier suivant serait l’association de citoyens. On sait par expérience que les associations de citoyens s’essoufflent rapidement aux niveaux national et interétatique. Pourtant au niveau local, une consultation citoyenne pourrait être mise en place à l‘occasion des élections européennes en juin 2009. Cette consultation serait l’aboutissement d’une série de débats publics de part et d’autre du Rhin, de forums d’expression. Par ailleurs, il existe déjà des associations citoyennes. Que celles-ci soient intégrées dans le processus et que peu à peu on fasse « tache d’huile » si je puis dire dans l’opinion locale de l’Eurodistrict.

    Babel : Les élus et citoyens allemands de cette région partagent-ils les mêmes conceptions de l’Eurodistrict ? Nos collègues allemands, avec qui nous travaillons étroitement, nous ont, à un moment donné, faire par de leurs revendications. Ils n’avaient rien contre l’idée de ce territoire d’action commun, mais souhaitaient y être associés pleinement en exprimant leur propre point de vue sur le contenu. Leurs préoccupations principales s’axaient sur la vie quotidienne des citoyens. Nous souhaitons ainsi pouvoir conjointement améliorer la qualité de vie des citoyens avec des normes communes dans le domaine environnemental, économique, social, dans le domaine des transport, de l’offre culturelle, de l’aménagement du territoire. Là où le Rhin reste une séparation, nous œuvrons malgré tout pour une agglomération transfrontalière.

    Babel : Quel est votre axe prioritaire parmi les domaines de réflexion pour un travail commun ? Une excellente porte d’entrée reste le domaine de l’environnement. Notre idée est de mettre en place un agenda 21 transfrontalier avec des normes environnementales communes. L’objectif est de parvenir à instaurer des normes les plus élevées, les plus fortes possibles, qui s’appliqueraient à l’ensemble de l’Eurodistrict. Il y a des choses à imaginer en matière de pollution atmosphérique, de gestion des déchets, de lutte contre le bruit. Nous avons des choses à construire ensemble dans le cadre d’une charte, sorte d’agenda 21 qui nous serait commune de part et d’autre du Rhin. Les questions environnementales préoccupent les citoyens. Ils sont conscients que derrière tout ça, on retrouve des questions de santé publique. Il va falloir transformer en profondeur les vielles logiques, car les philosophies consuméristes sans limite « no limit », qui sont encore les nôtres aujourd’hui, ne sont plus vivables.

    Babel : Comment imaginez-vous Strasbourg et l’Eurodistrcit dans 10 ans ? C’est peut-être une utopie, mais j’imagine que ce territoire européen puisse devenir un territoire modèle en quelque sorte. Une sorte de laboratoire où l’on expérimente, à un niveau proche des citoyens, des solutions nouvelles qui pourraient par la suite s’étendre ailleurs en Europe. On a déjà fait ici des choses, on a lancé le tram au début des années 1990. Strasbourg a été en matière de transport public une référence européenne et même mondiale. Mais ce sont dans des domaines novateurs que l’on va pouvoir, à mon avis, redevenir une référence. Qu’est ce qui fait aujourd’hui que des responsables publics, ailleurs en France ou ailleurs en Europe, puissent s’intéresser à Strasbourg ? Notre programme municipal a évoqué un certain nombre d’idées neuves, notamment la notion de « circuits courts » en matière d’alimentation, d’approvisionnement de la ville. Plutôt que de continuer sur des logiques anciennes, qui consistent à faire venir du bout du monde des fruits, des légumes, des produits alimentaires, essayons de privilégier un mode de vie plus modeste. Oublions les cerises à Noël, et retrouvons un rythme des saisons et des circuits courts à l’aide de produits locaux. Aujourd’hui le vrai problème ce n’est pas d’avoir des consommateurs, mais des producteurs qui pourraient s’installer sur des terrains qui appartiennent à la ville par exemple. Si nous pouvons aboutir à ça au niveau de Strasbourg et l’élargir sur l’Eurodistrict, du côté des français en particulier, je pense que dans dix ils diront : « ils ont fait ça et ça marche, ils ont crée des mutuelles pour faciliter cette mise en place directe des producteurs et des consommateurs ».

    Babel : Comment envisagez-vous que l’Eurodistrict puisse contribuer à faire rayonner Strasbourg en tant que capitale européenne ? Je pense que si l’on parvient effectivement à créer cette entité territoriale qui n’existe nulle part ailleurs, les institutions européennes actuellement présentes vont s’enraciner – je pense en particulier au Parlement- parce qu’aujourd’hui, elles ne sont pas immergées. Elles sont ici car il y a eu une volonté politique forte concernant leur présence à Strasbourg. L’idée c’est d’avoir cet environnement local, cette structure, cette particularité locale qui fasse que les institutions aient vraiment leur place au sein d’un territoire européen, dont les atouts sont à faire valoir. J’ai évoqué pour cette zone l’idée d’un Washington District. C’est à comprendre dans le sens où, tous les états américains étant sur un pied d’égalité, aucun d’entre eux ne pouvait être considéré comme susceptible d’accueillir la Maison Blanche etc. Les institutions démocratiques américaines ont ainsi trouvé leur place au sein d’un territoire spécifique. La philosophie de base pour l’Eurodistrict s’en approche. Je ne souhaite pas créer un 28ème Etat dans l’UE. Il en est hors de question. Ce n’est pas mon ambition.

    Babel : La présence du Parlement européen à Strasbourg était déjà contestée par nombre de députés. Au regard du récent accident survenu au Parlement, la ville de Strasbourg, va-t-elle prendre des initiatives pour réaffirmer la présence du Parlement à Strasbourg ? Je suis d’avis là-dessus qu’il faut vraiment remettre les choses à leur place. Il y a eu un accident, il n’y a pas eu de blessés. Il va falloir déterminer les causes et les responsabilités puis payer les réparations. Nous n’avons pas intérêt à faire de cet événement un événement autre qu’un accident. Je peux vous dire qu’avec les précautions qui seront prises maintenant, ce sera le plafond le mieux suspendu d’Europe. La bataille traditionnelle des anti-strasbourgeois continuera. Mais mon idée n’est pas de survaloriser l’événement, qui n’est autre qu’un accident.

    Babel : Afin d’enraciner dans la durée ce territoire européen et la présence des institutions européennes à Strasbourg, quelles seraient les réformes à prévoir pour ne pas attirer que des institutions politiques, mais aussi de grandes entreprises, des chercheurs de renommée internationale ? Il y a deux éléments, c’est premièrement le statut juridique et deuxièmement –éventuellement- fiscal. Ce terme « fiscal » suscite encore des peurs du côté de Bercy qui craint de moindres rentrées d’impôts sur les bénéfices. Il ne s’agit pas de créer des paradis fiscaux, il y en suffisamment malheureusement avec les conséquences que l’on sait. Il s’agit au contraire de faire en sorte que les grandes entreprises européennes aient un intérêt – qui est souvent financier- à s’implanter ici plutôt qu’ailleurs. Parce que le jour, où, à côté des institutions existantes, un tissu de grandes entreprises sera bien implanté, les institutions existeront naturellement à Strasbourg, dans un environnement international qui les valorise et les enracine. L’objectif c’est bien ça. Je me rends certes compte des difficultés. À Paris je le mesure. Je pense qu’à Berlin ça doit être le même cas. Mais ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas le tenter.

(1) L’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau est une zone de coopération transfrontalière, née le 17 octobre 2005, suite à la déclaration du président J. Chirac et du chancelier G.Schröder à l’occasion du 40ème anniversaire du Traité de l’Élysée.

crédit photos : ph.schalk pour la cus