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R.I.P : la solidarité européenne face au printemps arabe

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Société

Les quelques milliers de migrants tunisiens arrivés sur le sol européen déclenchent de vives manifestations d’hostilités, notamment de la France et de l’Italie, qui se sont entendus, mardi 26 avril, pour amorcer une réforme des accords de Schengen, garants de la libre circulation des biens et des personnes. En 4 étapes, cafebabel.

com tire le fil du rejet européen de ces individus dont on vantait hier les mérites révolutionnaires.

En janvier, l'Europe soutenait comme un seul homme la révolution tunisienne, celle que l'on a surnommée la « Révolution de jasmin ». Depuis, ce sont environ 20 000 migrants qui ont quitté leur pays pour rejoindre la proche île de Lampedusa, en Italie, dans l'espoir d'horizons meilleurs, et en attendant que la transition démocratique instaure plus de stabilité politique et économique dans leur pays. Une majorité de jeunes, des hommes mais aussi quelques femmes. Ils sont entrés sur le territoire européen sans visa, mais pour la plupart, ils ne peuvent ni ne veulent demander le droit d'asile. Ils désirent rejoindre la France, dont beaucoup parlent la langue, pour trouver un travail – n'importe lequel. A leur grand désarroi, ils se retrouvent percutés par des vagues d'hostilités, où chaque pays tente de protéger ses intérêts nationaux, voire électoraux. Et ceci, au détriment d'une politique d'immigration européenne à l'unisson.

1) Pas de protection temporaire pour les migrants économiques

Beaucoup partent du port de Zarzis, à quelques kilomètres au sud de Djerba, pour arriver sur l'île italienne après une longue, fatigante et dangereuse traversée. Sur place, l'Italie tente de gérer ce flux migratoire tout en invoquant la solidarité, mais surtout la responsabilité commune des pays de l'Union européenne. Le gouvernement italien demande à ce titre l'application de la directive 55 de 2001 portant sur l'afflux massif des migrants, et qui prévoit un régime de protection temporaire réparti entre les Etats membres. Le 12 avril, le Conseil européen des ministres de l'Intérieur a refusé cette activation au motif qu'il s'agit de « migrants économiques » et non pas d'une population fuyant des conflits. En réaction, l'Italie délivre à ces milliers de migrants, des permis de séjour valables de six mois dans tout l'espace Schengen, mais qui n'offrent pas le droit d'y travailler.

La plupart d'entre-eux ne souhaitent pas faire la demande d'asile, juste trouver un emploi...en France

2) En France, l'accueil a lieu en garde à vue

...Un conte pour enfants ? Ici, un timbre poste de la République Togolaise en 1983Les réactions d'hostilités des pays frontaliers à ce pied de nez italien ne se sont pas faites attendre. La France brandit la convention de Schengen qui oblige les étrangers de l'espace à justifier d'un passeport et d'un revenu minimum journalier de 62 euros pour une personne seule, 31 pour une personne hébergée. Elle multiplie depuis les contrôles policiers, notamment dans la région frontalière mais aussi à Paris, où plusieurs dizaines de migrants ont déjà été placées en garde à vue. « Ils leurs ont donné des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) après la distribution du repas de La Croix Rouge, précise Rodolphe de l'association Sôs Sans Papiers, et ils viendront les chercher dans une semaine. Ils font comme à Calais. Si les migrants font profil bas, ça passe, mais là ils ont fait l'erreur de se réunir. Reste qu'ils sont tellement en colère de ce traitement qu'ils vont continuer à se réunir.»

Une hypocrisie dénoncée par les associations de défenses des droits de l'Homme, car « si la lettre est appliquée, en revanche l'esprit ne l'est pas », s'indigne Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile. « Nous devons gérer cette crise, en accueillant dignement de manière temporaire ces migrants pour discuter avec la Tunisie de leurs retours », propose-t-il. Le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, rejoint ce discours et a annoncé le soutien de la ville à différentes associations pour venir en aide aux 200 immigrés qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire parisien, dans « un état de grande précarité. »

3) La vague d'immigration a lieu en Tunisie, pas en Europe

De l'iceberg, nous ne regardons que le sommet. Car, si la tension se cristallise entre Vintimille, à la frontière italienne et Menton, côté français, où les migrants sont empêchés par les autorités de passer, l'ampleur des flux migratoires dus aux révolutions méditerranéennes se situe, en réalité, aux frontières entre la Libye en guerre et la Tunisie. Selon les chiffres du Haut Commissariat aux Réfugiés (en date du 1er avril) 204 751 personnes auraient fuit la Libye vers la Tunisie, dont 183 953 à Ras Jedir ; 147 045 auraient été évacuées vers leur pays d’origine. Au plus fort de l’exode, environ 14 000 réfugiés arrivaient chaque jour en Tunisie, entre 2000 et 4000 en moyenne à l’heure actuelle. La plupart des migrants tunisiens vers l’Europe sont justement originaires du Sud de la Tunisie et leur revenu dépend des relations commerciales avec les pays voisins. Privé de leur travail, beaucoup voit dans l’exil le seul recours possible. « Souvent un membre de la famille est désigné pour partir travailler », explique Noureddine Mechkane, secrétaire de l'association des Tunisiens de France à Paris. Son exil le rend alors responsable de bien plus que sa propre survie. La façon dont la France gère cette situation dépasse l’entendement pour ce représentant de la communauté tunisienne : « Ce comportement n’a pas de sens vu les relations amicales qu’ont toujours entretenues les deux pays », regrette Noureddine Mechkane.

Ils sont 204 751 selon le HCR a avoir traversé la frontière depuis le début du conflit en Libye

4) France et Tunisie : que fait-on des accords bilatéraux sur le développement solidaire ?

Si la Tunisie, dont la population s’élève à 10 millions d’habitants, se donne les moyens d’accueillir plusieurs centaines de milliers de réfugiés dans son pays, tout juste sorti de la crise (temporairement), l’Union européenne, qui représente environ 500 millions d’habitants, ne peut-elle pas trouver une solution commune pour ces quelques dizaines de milliers de migrants ? D’autant que la France et la Tunisie ont signé le 28 avril 2008 des accords bilatéraux sur la gestion concertée des migrations et le développement solidaire, qui doit faciliter les migrations entre ces pays. Ces facilités devraient permettre chaque année l’introduction en France de plus de 9 000 professionnels tunisiens. A ce jour, le quota est loin d’être rempli.

Photos : Une : (cc)Dr John2005/flickr ; Migrants Lampedusa : (cc)noborder network/flickr ; Timbre poste : (cc)Paul-W/flickr ; Migrants en Tunisie : (cc)United Nation Photos/flickr