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Qu'en est-il des droits humains dans la crise politique que traverse actuellement la Turquie ?

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Default profile picture Aude Callens

Les droits humains pourraient être un élément clé pour l'avenir des relations entre l'UE et la Turquie. Il est donc primordial de comprendre ce qui se passe aujourd'hui en Turquie.

Le 15 juillet en Turquie, des soldats ont mené une tentative de coup d’État contre Recep Tayyip Erdogan et le gouvernement. Cependant, ce coup d’État a échoué, et les autorités nationales ont ordonné des purges et instauré l’état d’urgence. Pour comprendre la mesure dans laquelle cette crise politique affecte les droits humains, nous avons interviewé Hayet Zeghiche, Directrice de la communication à Euromed Droits, une ONG qui promeut les droits humains dans la région euro-méditerranéenne. Interview.

CaféBabel -Quel a été le véritable impact du coup d’État manqué sur les droits humains en Turquie ?

Hayet Zeghiche - Jusqu’à maintenant, nous pouvons prouver qu’environ 50.000 agents publics ont été suspendus de leurs fonctions et que le gouvernement a pris le contrôle d’un grand nombre d’écoles, de fondations et d’universités. De la même façon, des dizaines d’associations et de médias ont été fermés. Toutes les personnes arrêtées doivent bénéficier de leurs droits, consacrés par le droit international, et les autorités turques devraient être tenues responsables de leur sécurité et de leur protection. Les investigations doivent être menées dans le respect de l’État de droit. Les voix critiques doivent conservent leur droit à l’expression dans les lieux publics.  

Le coup d’État a-t-il donné lieu à une répression exceptionnelle dans toute la société ?

Nous sommes évidemment inquiets après qu’il nous a été rapporté des réactions violentes et discriminatoires de la part du gouvernement turc. Nous avons l’impression qu’il a pris pour cible l’armée et le système judiciaire, avec l'arrestation hâtive de plusieurs milliers de personnes prétendument impliquées dans le coup d’État, mais également de journalistes, avocats, ONG et d’autres esprits critiques, ainsi qu’une interdiction totale de voyager pour les universitaires.

Ce qu’EuroMed Droits et ses organisations membres basées en Turquie disent, c’est que : Même si les responsables doivent être traduits en justice (à la suite d’une enquête indépendante, impartiale, approfondie et rapide), les poursuites judiciaires devraient respecter les normes internationales garantissant un procès équitable et la présomption d’innocence devrait être préservée. Les personnes pour lesquelles il n’y a aucune preuve de méfait ne devraient pas être victimes d’investigations sans fondement et de mesures restrictives.

Dans le cadre de l’état d’urgence, la Turquie va déroger aux dispositions de la CEDH. Quelles sont vos craintes concernant cette dérogation ?

Ce dont nous avons peur, c’est le fait que l’état d’urgence permette au président et au Conseil des ministres de gouverner par décret et, par conséquent, de contourner le parlement et de porter atteinte aux valeurs démocratiques. De plus, il suspend partiellement ou totalement l’exercice des droits humains et des libertés fondamentales, y compris les obligations de la Turquie en vertu de la Convention européenne des droits humains.

Les minorités et les dissidents sont-ils plus vulnérables à cause des purges ?

La tentative avortée de coup d’État s’inscrit dans un contexte permanent de graves violations des droits humains et de l’État de droit par les autorités turques. EuroMed Droits a reporté des restrictions continues du droit à la liberté d’expression et de la liberté de la presse, la perte de l’immunité et des menaces de poursuites envers l’opposition parlementaire, la criminalisation de la divergence d’opinion, l’instigation de plans pour concentrer le pouvoir dans les mains du président, la volonté d’utiliser la religion comme arme gouvernementale et une violente répression dans le Sud-Est. Nous craignons que les cibles soient les voix dissidentes et critiques.

Durant le coup d’État raté, il semblait qu’Erdogan avait le soutien du peuple. Aujourd’hui, les citoyens turcs se soucient-ils plus de leur sécurité que de leur liberté ?

EuroMed Droits estime ne disposer d’aucun mandat pour s’exprimer au nom du peuple de Turquie. 

Qu’attendez-vous de l’Union européenne et de la communauté internationale dans ce contexte ?

Nous avons appelé la communauté internationale, en particulier l’UE, à rester vigilante et à exhorter la Turquie à agir en respectant ses obligations internationales en matière de droits humains. L’intérêt géopolitique ne devrait pas prévaloir sur le respect de l’État de droit et les droits humains.

Dans le contexte des attaques terroristes et de la crise des réfugiés, craignez-vous que les institutions de l’UE et les pays occidentaux ferment les yeux sur la violation des droits humains ?

Nous espérons que non. La stabilité peut être restaurée uniquement en protégeant les droits humains et l’État de droit. Le gouvernement turc devrait faire montre d’un respect rigoureux des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Il devrait préserver en tout temps ses engagements internationaux en matière de droits humains. La discussion sur la réintroduction de la peine de mort pour les personnes accusées d'avoir fomenté le coup d'État et le projet d’amendement de la constitution sont une nouvelle source d’inquiétude pour l’avenir des droits humains en Turquie. D’après le droit international relatif aux droits humains, des mesures de sécurité peuvent être prises dans une situation de crise, mais uniquement dans le prolongement de l’État de droit.

Comment EuroMed Droits et les autres ONG agissent-elles face aux institutions de l’UE ?

EuroMed Droits est un réseau créé, et dirigé, par ses membres. Tous nos membres sont des organisations de défense des droits humains très ancrées dans leurs pays respectifs. Depuis 1997, année de notre création, nous avons été parmi les rares structures de la région où les organisations du Nord et du Sud peuvent se rencontrer sur un pied d’égalité pour échanger et mener des actions politiques communes.

En son cœur, EuroMed Droits s’assure que les politiques et recommandations de ses membres ‘alimentent’ les politiques et pratiques des institutions de l’UE, de ses États membres et de ses partenaires du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Nous faisons cela depuis Bruxelles, à travers un travail soutenu de plaidoyer. Mais, de façon égale, nous apportons un soutien essentiel à nos membres pour leur travail de plaidoyer aux niveaux national et régional.

En résumé, EuroMed Droits ne met ni en œuvre, ni ne finance en tant que tels des projets sur le terrain, mais complète plutôt le travail qui y est accompli. Notre valeur ajoutée repose sur le fait que nous réunissons nos membres quand les possibilités de travailler en réseau sont faibles ou extrêmement difficiles. Nous travaillons sur des thèmes qui nourrissent à la fois les dimensions locales et régionales. Nos membres profitent également de notre expertise séculaire sur la manière dont les relations entre l’UE et ses voisins du Sud peuvent s’entraider et façonner leur travail.

Translated from What about Human Rights in the current political crisis in Turkey?