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Québec : c’est quoi, ce « Printemps érable » ?

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Société

Campé à l’autre bout de l’Atlantique, la province francophone du Canada a longtemps résonné comme un havre de paix pour les Européens. Pourtant, le Québec est en train de connaître la grève la plus importante de son histoire. Explication d’un mouvement colossal que les médias ont déjà qualifié, un an après les soulèvements d’Afrique du Nord, de « Printemps érable ».

Le Québec, cette paisible province canadienne, connaît la grève la plus importante de son histoire. La fronde a officiellement commencé le 13 février dernier, lorsque le gouvernement de Jean Charest (Parti libéral du Québec) a annoncé qu’il allait augmenter progressivement les frais de scolarité dans les universités et les écoles supérieures. De 2168 dollars canadiens (1679 euros) aujourd'hui, ils passeraient à 3793 dollars canadiens (2937 euros) en 2017, soit une augmentation de près de 75% en cinqans. Justifiée comme une mesure d’économie nécessaire en temps de crise, elle a plutôt été perçue par les étudiants comme une attaque frontale contre le modèle social québécois, qui peut encore se targuer d’avoir les frais de scolarité parmi les plus bas d’Amérique du Nord.

Manifestation du 22 mars 2012 à Montréal.

Guerre des chiffres

« Cette hausse est un choix politique qu’on cherche à nous imposer avec une guerre des chiffres », s’indigne Jean-Sébastien Sénécal, doctorant en humanités à l’Université Concordia de Montréal et fortement impliqué dans le mouvement. « Elle remet en cause une série de bonnes décisions qui avaient été prises par la population québécoise dans les années 60-70 : l'accessibilité de tous aux études supérieures mais également la mission originale de l'université en tant que lieu de savoir, indépendant du reste de la société et en particulier du modèle économique. » Depuis bientôt trois mois, arborant le carré rouge, emblème de la contestation, les étudiants rivalisent d’imagination pour attirer l’attention sur leur combat. Un jour, c'est une banderole géante qui couvre le pont Jacques Cartier, un autre, le bâtiment du ministère de l'Education qui est peint en rouge, un autre encore, des automobilistes qui sont bloqués à l'entrée de la ville. Le 3 mai dernier, un millier d’entre eux, bravant la pluie et le froid, défilait en petites tenues dans les rues de Montréal, sur le thème « en sous-vêtements pour un gouvernement transparent. »

Une revendication plus large

Car si l'enjeu le plus immédiat de la contestation est d'empêcher une nouvelle hausse (en 2007, le gouvernement avait déjà décidé d'une augmentation de 30%), elle sert surtout de catalyseur à une revendication sociale beaucoup plus large. Des professeurs québécois ont ainsi emboîté le pas aux étudiants en rédigeant un manifeste où ils dénoncent la logique d’endettement qui accompagnera cette hausse. « Elle enrégimente de facto l’étudiant dans l’univers financier, soumet ses décisions au banquier. L’étudiant deviendra ainsi un agent de reproduction de l’ordre social plutôt qu’un citoyen participant pleinement à l’évolution de sa société. Ce sont la liberté académique et toute la dimension critique de la formation universitaire qui semblent frappées de caducité. »

Escalade de violence

C’est ainsi que « le printemps érable », du joli nom que certains médias ont donné au mouvement, prolonge l’énergie contestatrice de 2011. Pourtant, malgré cette mobilisation importante, le gouvernement fait la sourde oreille. C’est que le mouvement est loin de faire l’unanimité. Certains étudiants se désolidarisent du mouvement, introduisent des recours en justice, réclament le droit d'étudier. La société québécoise dans son ensemble apparaît très divisée, à l’image de ses médias. Des montages photo composés par des sympathisants grévistes circulent ainsi sur Facebook. Ils comparent la une des principaux titres de journaux québécois, par exemple à l’occasion de la manifestation du 22 mars, où 200 000 manifestants avaient défilé dans les rues de Montréal. Alors que le quotidien Le Devoir, considéré comme indépendant, titrait « 200 000 fois "entendez-nous" », le Journal de Montréal, accusé par les grévistes d’être complice du gouvernement, affirmait que les étudiants perdaient des appuis.

Ces derniers temps, c’est la répression policière de plus en plus brutale exercée au cours de plusieurs manifestations qui a exacerbé la tension ambiante. Un dossier a été ouvert au Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations Unies pour le dépôt de plaintes contre l'intimidation et la brutalité policière. Lors de la manifestation de Victoriaville, vendredi 4 mai, des manifestants ont été très gravement blessés ; un étudiant a perdu un œil, un autre, un bout d’oreille. « C’est très grave ce qui se passe ici, les gens ont peur », confie Jean-Sébastien. Des parents inquiets de l’escalade de la violence viennent de lancer le mouvement des carrés blancs (symbole de l'armistice, ndlr) « pour demander au gouvernement du Québec de mettre fin immédiatement à la crise sociale qui a mis en danger la vie de centaines de jeunes. » Ils demandent un moratoire sur le projet de hausse des frais de scolarité « pour écouter ces jeunes qui crient leur désir d’un monde meilleur, d’un monde plus juste » et une consultation « pour débattre avec les étudiants de l’importance de l’éducation dans notre société et de son financement. »

Photos : Une et Texte (cc) lariposte/flickr ; Vidéo :  (cc) DélitFrançais/Youtube