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Prison pour réfugiés : l’enfer de Londres

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Société

En septembre dernier, des individus se sont rassemblés devant le Home Office à Londres pour protester contre Brook House, l'un des 11 centres de détention pour demandeurs d'asile au Royaume-Uni. Révélées par un documentaire de la BBC, les conditions y seraient inhumaines. Elles jettent aussi une lumière crue sur la situation intenable que vivent les réfugiés dans le pays.

Il est midi à Londres, et l'atmosphère qui règne est ordinaire : des personnes bien habillées se précipitent pour prendre leur déjeuner pendant leur pause, des foules de touristes se prennent en photo devant les monuments. Entre l'Abbaye de Westminster, la Chambre des députés et Big Ben, les touristes commencent peu à peu à diriger leur attention vers une nouvelle caractéristique de la capitale britannique : une manifestation pour les droits des réfugiés. Au début du mois de septembre, environ 70 personnes se sont rassemblées devant le Home Office, l'institution officielle chargée de traiter les demandes d'asile au Royaume-Uni. Les revendications des manifestants sont claires : fermer les centres de détention.

Le Royaume-Uni, une des pires destinations pour les migrants

Au beau milieu de la foule, une femme d’une quarantaine d’années tient une banderole : « Arrêtez de traiter les migrants comme des boucs émissaires ! Mettez fin à cette atmosphère hostile ! », est-il écrit. Elle s'appelle Johann et elle a 47 ans. « Je suis ici aujourd'hui parce que je me bats pour les [droits des] GLBTT (Gay, Lesbien, Bisexuel, Transgenre, Transsexuels, ndlr). Et j’en suis fière », ajoute-t-elle.

Johann est originaire de l’Ouganda, qu’elle a quitté en 2005 pour rejoindre Royaume-Uni. Elle a demandé l'asile quelques années plus tard, en 2011, sous prétexte que, dans son pays d’origine, elle aurait été persécutée en raison de son orientation sexuelle. « J'ai postulé, mais ils ont rejeté ma demande. Je suis allée au tribunal, ils ont rejeté ma demande. Ils ont dit que je mentais. Je l'ai fait deux fois. J’ai fait une déposition, ils ont dit que je mentais », confesse-t-elle.

Au cours des cinq dernières années, le nombre de GLBTT qui ont demandé l’asile a augmenté de 400%. Les organisations caritatives estiment qu'elles soutiennent environ 1 500 demandeurs d'asile GLBTT chaque année. Certains viennent d'arriver, d'autres sont installées au Royaume-Uni depuis longtemps déjà. Cela fait 12 ans que Johann vit au Royaume-Uni et six qu'elle a demandé l'asile, bien que son statut juridique n’a toujours pas été clairement défini.

Selon une analyse réalisée par The Guardian dans cinq pays (le Royaume-Uni, la France, l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne), le Royaume-Uni est l'une des pires destinations pour les demandeurs d'asile en Europe occidentale. L'analyse, à laquelle ont également participé Le Monde, El País et Der Spiegel, a été réalisée dans le cadre du projet « The New Arrivals » (Les Nouveaux Arrivants, ndt) qui s’est appuyé sur les données et les rapports concernant les conditions dans lesquelles vivait la nouvelle vague de réfugiés. Selon certaines conclusions, parmi les pays étudiés, le Royaume-Uni accueille moins de réfugiés, offre moins de soutien financier, moins de logements décents et ne donne pas aux demandeurs d'asile le droit de travailler. À cause de nombreux retards administratifs, beaucoup d'entre eux s’enfoncent dans la misère et se retrouvent même sans abri lorsqu'on leur accorde l'asile. Ceux dont le statut d'asile est rejeté attendent quant à eux d'être expulsés et envoyés dans des centres de détention.

« C'est horrible et inhumain »

Un sujet de la BBC Panorama Investigation a récemment révélé des abus provenant de l’un des 11 centres de rétention pour migrants au Royaume-Uni : Brook House. « Je me bats pour les gens qui sont en centre de détention et j'ai beaucoup d'amis qui sont détenus là-bas. Alors imaginez ma colère quand j'ai regardé la BBC Panorama il y a quelques jours », raconte Johann. D’après l’enquête de la chaîne, les détenus sont maltraités, sombrent dans des problèmes de drogue, d’automutilation, ne reçoivent pas d'assistance médicale, et beaucoup ont déjà tenté de se suicider.

Brook House est située près de l'aéroport de Gatwick, à Sussex, et peut accueillir jusqu'à 508 réfugiés. Le centre a ouvert ses portes en 2009 et est dirigée par G4S, une société internationale de sécurité qui travaille pour le compte du ministère de l'Intérieur.

Près de la moitié des détenus de Brook House sont des délinquants étrangers ou d'anciens prisonniers qui ont atteint la fin de leur peine et doivent être expulsés. Les autres sont des réfugiés d'origines très diverses qui, à part des infractions en matière d'immigration, n'ont sûrement jamais eu de problèmes avec la loi. 45 % des détenus sont d'anciens prisonniers en attente d'expulsion, et 55 % sont des demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée. Les détenus restent en moyenne 48 jours à Brook House, et le record est de deux ans et demi.

« J'ai décidé de me joindre à la manifestation aujourd'hui parce que je suis absolument contre toute forme de détention, contre le système pénitentiaire et contre le système d'immigration du Royaume-Uni. C'est vraiment horrible », déclare Anna, une jeune femme de 23 ans qui s'est jointe à la manifestation londonienne pour faire pression en faveur des droits des réfugiés. « Les centres de détention n'ont pas de limite de temps au Royaume-Uni. Les gens n'ont aucun droit, et ils sont vraiment mal traités. Ce système inimaginable et horrible. C'est formidable que les gens se joignent à ces manifestations devant le ministère de l'Intérieur chaque fois qu'ils en ont l’occasion pour sensibiliser la population à l’horreur du système actuel », ajoute-t-elle.

« Nous [demandons] de mettre fin à la détention indéfinie. Il ne devrait pas y avoir de détention du tout. Elle est très dangereuse... c'est inhumain. Si vous êtes un migrant et que vous voulez ouvrir un compte bancaire, vous êtes soumis à plus de surveillance, plus de contrôles, plus de délais : cela engendre toutes sortes de procédures à tel point que vous ne pouvez même pas vous en sortir. Vous êtes traité comme un citoyen de seconde zone », affirme Sanaz Raji, un représentant de l’Unis Resist Border Controls, une ONG qui milite contre l’atmosphère hostile des centres de détention.

Selon les dernières instructions du ministère de l'Intérieur datant de mars 2017, des dizaines de milliers de réfugiés qui ont demandé à résider en permanence au Royaume-Uni vont faire l'objet d'un examen officiel pour voir s'il est prudent de les renvoyer chez eux. « Je suis sûre qu'ils ont des outils et des règles pour traiter les gens comme des humains. Un de nos membres vient juste de sortir de prison la semaine dernière. Ils ont essayé de garder les gens en détention plus longtemps que prévu. Certains étaient là depuis plus de deux ans. Mais ils doivent améliorer la façon de traiter les gens. Un demandeur d'asile n'est pas un criminel, ils doivent nous traiter comme des êtres humains... On ne peut pas mélanger les demandeurs d'asile avec quelqu'un qui a commis un meurtre, qui était en prison et qui attend d'être expulsé », déclare Sarah Bayisavi, une représentante de l'Organisation de défense des droits de l'homme au Zimbabwe.

Suite à l’enquête menée par la BBC, dix membres du personnel de Brook House ont été suspendus. Le directeur de la Brook House, Ben Saunders, a démissionné. Cependant, l'avenir des réfugiés au Royaume-Uni reste incertain, surtout après le Brexit. Beaucoup de personnes parmi celles qui ont voté en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ont justifié leur choix par des sentiments hostiles à l’égard de l’immigration. Mais pour l'instant, personne ne sait à quoi ressemblera le statut de réfugié.

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Translated from UK: Brook House, asylum seekers and a broken home