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Populistes en Allemagne : No Pasarán !

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Politique

Le 24 septembre prochain, les Allemands iront se choisir un destin en élisant leur prochain Parlement. Si le pays a limité la montée de l’extrême droite, Alternative Für Deutschland est créditée autour de 10% des voix. Mais un groupe de jeunes aussi motivé que fantasque est bien décidé à faire du populisme dans leur pays, un mauvais souvenir. Reportage.

Que répondre à un propos raciste, une opinion qui nous déplaît ? Comment garder son calme et maintenir le dialogue en évitant l’affrontement ? Sur le site de Kleiner Fünf des conseils sont prodigués à ceux qui se demandent comment faire pour ne pas laisser certains discours simplistes, parfois haineux, se propager sans contradicteurs. Parmi les astuces, il est notamment recommandé d’avoir de bons arguments à opposer à son interlocuteur. Et pour cela, mieux vaut être bien renseigné. Alors à travers des fiches d’information et des vidéos ludiques, le collectif tente aussi d’apporter quelques explications sur les intentions des partis populistes et d’extrême droite qui essaiment en Allemagne.

« Nous sommes des motivateurs »

Dans la ligne de mire de Kleiner Fünf ? Un parti qui inquiète plus que les autres : l’Alternative für Deutschland (AfD). Créée en 2013, la formation a connu une croissance rapide jusqu’à être créditée aujourd’hui entre 9% et 11% d’intentions de votes dans les sondages en vue des prochaines législatives du 24 septembre. Selon le système électoral allemand, si un parti reçoit plus de 5% des votes, il peut entrer au Bundestag (le Parlement, ndlr) et y avoir des députés. L’objectif de Kleiner Fünf – qui signifie « moins de cinq » en français - est donc de tout faire pour que l’AfD n’atteigne pas ce seuil fatidique.

Né en mai 2016, le collectif est composé d’une centaine de personnes réparties à travers toute l’Allemagne. Une grande partie de son action se fait en ligne, mais aussi sur le terrain. « Ce que nous faisons, c’est motiver les gens à agir. Nous sommes des motivateurs », explique Paulina Fröhlich, porte-parole de l’organisation. « Nous ne représentons aucun parti ou courant. Nous ne voulons simplement pas qu’un parti xénophobe puisse entrer au Parlement et que - en plus d’une influence institutionnelle et une exposition médiatique – il puisse recevoir de l’argent public. De l’argent qui pourra être ensuite investi pour reproduire leurs idées avec les prochaines générations. »

Un soir de semaine, Paulina et ses copines se retrouvent dans le quartier de Wedding à Berlin pour une mission de collage d’affiches. La virée a des allures d’action militante, mais les pancartes de Kleiner Fünf n’ont a priori rien à voir avec la propagande politique traditionnelle. Elles représentent des animaux : un aigle, un éléphant, une colombe… Et ressemble surtout à des avis de recherche. « Où est Horst ? Où est Frieda ? »... Le collectif essaie d’innover dans sa façon d’engager le dialogue sur la politique. En mélangeant en permanence le monde digital et le monde réel. Ainsi, si un passant décide d’emporter la petite étiquette détachable de l’avis de recherche, il saura en allant à l’adresse internet indiquée où (et qui) est Frieda, Carlo ou Timon. Chaque animal-totem représente des grandes notions qui peuvent être menacées par la montée du populisme de droite : l’Europe, la sécurité sociale, la diversité, le fédéralisme ou bien encore la Mémoire historique.

L’ensemble des actions pensées par le collectif suit une approche un peu décalée. Une autre consiste à distribuer des petites « bagues de fiançailles » pour inciter les abstentionnistes à aller voter. Comment ? Les « motivateurs » tentent de convaincre un proche de s'engager à l'accompagner au bureau de vote, comme on demande à quelqu'un de s'engager pour la vie. Et demandent : « Acceptes-tu d’aller voter avec moi ? », comme il se doit, avec un genou à terre. En acceptant d’accompagner son prétendant, l’heureux-se élu(e) devient une voix de plus pour le scrutin mais surtout l’assurance que le bulletin qu’il glissera dans l’urne ne portera pas la mention de l’AfD. Car le résultat des partis est calculé en fonction des votes exprimés. Chaque votant qui n’est pas allé aux urnes peut ainsi faire pencher la balance.

La politique inversée

Toutes les semaines, le collectif envoie des « appels à action » par email. Cinq minutes de son temps, c’est ce que chaque personne peut tenter de consacrer. Pour une génération qui passe prétendument plus de temps à « liker » qu’à s’engager dans un parti ou une organisation politique, il n’est pas facile de lutter contre le slacktivism. Kleiner Fünf propose alors des idées de choses simples à faire ainsi que des petits kits de mobilisation. Parmi leurs propositions, on retrouve une incitation à organiser un quiz dans un pub (avec forcément des entrées politiques qui stimuleront le dialogue avec les participants), du collage d’affiches, des concours photos, mais aussi des adresses d’associations pour ceux qui veulent aller plus loin que les élections. « On ne veut pas faire le boulot tout seul. Nous ne sommes qu’une plateforme qui ouvre des portes », ajoute Paulina. « C’est à tout le monde de faire le boulot ! » Depuis qu’elle a commencé à travailler avec l’équipe de Kleiner Fünf, Paulina affirme avoir appris beaucoup de choses. « En fait, tout dépend de la manière dont on aborde une personne. Si j’arrive face à quelqu’un qui semble ne pas avoir d’opinion politique, et que j’impose mon savoir et mes propres vues, la personne va se refermer, se sentir intimidée. » 

Dans les rues de Wedding, Paulina et ses amis approchent avec humour les passants à l’aide de leur bague d’engagement. Des situations très diverses se présentent. Une femme dit ne même pas savoir où, et comment voter. Les jeunes tentent de la conseiller sur les démarches à suivre. Un homme lui avoue qu’il n’ira pas voter. Paulina applique quelques méthodes rhétoriques pour essayer de comprendre sa position. Elle explique ensuite : « Avant tout, j’essaie de l’écouter, de le faire parler. Je ne lui dis pas ce qu’il doit faire. Apparemment, c’est un grand déçu de la politique qui ne croit en aucun parti. » En le quittant, elle lui lance en souriant : « En tout cas, on espère avoir pu vous montrer qu’il y a encore des jeunes comme nous qui croient encore en la politique ! ».

La jeune femme de 26 ans explique qu’il est plus efficace de centrer l’action sur les jeunes : « Les nouvelles générations ne sont pas celles qui votent de manière contestataire. Elles n’ont pas encore été déçues par leur vote précédent. Ils sont aussi plus nombreux à ne pas aller voter ». Le petit groupe d’amis colleurs d’affiches a entre 23 et 27 ans. Chacun a entendu parler de Kleiner Fünf par le bouche-à-oreille. Pour Raphael, c’est sa première action. Il observe avec intérêt une façon simple de faire une action politique. Marie et Lore, elles, ont déjà répondu à d’autres « challenges » lancés par les « motivateurs ». « J’ai aussi écrit quelques articles pour le blog et je fais tourner les informations auprès de mes proches », raconte Marie. Pour ces idéalistes, c’est le meilleur moyen d’instiguer le changement. Convaincre son cercle proche. Profiter d’un repas de famille pour argumenter contre l’AfD. Discuter avec un voisin ou un colocataire sur la base de faits et de chiffres vérifiés. Obtenir l’engagement de son petit frère d’aller voter.

Quand un parti va chercher le maximum de vote, Kleiner Fünf cherche finalement le contraire : atteindre le minimum. Et chaque voix qui n’appuiera pas la pensée populiste, sera pour eux une petite victoire.

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Cet article a été réalisé avec le soutien de l'Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ).