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Plaidoyer pour l’anglais à Bruxelles

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Environ un tiers des habitants de la Région de Bruxelles-Capitale ne sont pas des citoyens belges, et plus de 50 % sont d’origine étrangère. Mais dans la vie quotidienne, Bruxelles reste bien trop souvent la petite ville francophone chaotique d’Europe occidentale. Voici l'opinion que nous livre notre auteur sur la place de l'anglais dans la capitale belge.

En fait, le Bruxelles d’aujourd’hui est loin d’incarner le « rêve européen ».

Lorsque ma femme, qui est américaine, est allée s’inscrire au registre de la population voici cinq ans, les employés communaux de « l’office des étrangers » lui ont dit en français qu’aucun d’eux ne parlait anglais. Fait qui n’est pas rare à Bruxelles. De nombreux expatriés sont attirés par l’image internationale de la ville, mais leurs espoirs d’une intégration rapide se brisent lorsque, dès leur arrivée, ils doivent faire face à une administration publique presque exclusivement monolingue francophone, et souvent hostile envers les étrangers.

À qui la faute ? Comme pour la plupart des problèmes de société, il faut prendre plusieurs facteurs en considération, et nous ne pouvons simplement pas tenir l’administration bruxelloise pour responsable (ce que la plupart des Belges font pour tout un tas de questions). Juste pour vous donner un exemple : pendant la période qui a précédé les élections municipales bruxelloises d’octobre 2018, la plupart de mes amis et voisins étrangers, et les membres de ma famille se moquaient éperdument du scrutin. Ils avaient le droit de voter, mais ils ne suivaient pas les débats, ils ne connaissaient pas les différents partis politiques belges, et souvent, ils ne se rappelaient que vaguement de l’approche des élections. Le jour du vote, j’étais le seul de mon immeuble à me rendre aux urnes (tous mes voisins sont d’origine étrangère). Je me suis d’une certaine manière senti comme un dignitaire de la vieille école, coiffé de son haut-de-forme et la canne à la main. C’était comme si j’étais entouré d’une bande de paysans illettrés, tous ignorant les intrigues de la politique locale bruxelloise.

Il ne s'agit pas tant de parler de l’apathie des expatriés et des immigrés envers la politique bruxelloise, ni de l’apathie de la politique bruxelloise envers les étrangers. Mais plutôt des solutions constructives qui peuvent avoir un effet positif sur la vie de tous. En clair, Bruxelles doit s’adapter à sa population internationale afin que celle-ci puisse mieux s’y intégrer.

Une stabilité trilingue

De nombreuses personnes d’influence font la promotion de l’anglais en tant que bonne solution, comme le Professeur Philippe Van Parijs et Vincent Kompany. Ils se sont maintes fois exprimés en faveur de l’anglais à Bruxelles pour que la ville sorte de l’impasse et afin de créer plus d’opportunités d’emploi pour les jeunes. En effet, la neutralité de la langue anglaise pourrait aider à arranger les choses entre les deux principaux groupes linguistiques. Car depuis plus d’un siècle, la situation linguistique précaire à Bruxelles a donné lieu à une spirale de tensions négatives entre les néerlandophones et les francophones, qui a, à son tour, appauvri la ville. En même temps, faire de l’anglais la troisième langue de Bruxelles représenterait un acte symbolique envers la communauté internationale de la ville et le monde entier. Cela rendrait la ville plus attrayante aux yeux des entreprises internationales, en particulier avec la situation actuelle du Brexit. Et en plus de cela, garantir un enseignement trilingue (FR-NL-ENG) à Bruxelles préparerait les générations futures à la réalité internationale du marché de l’emploi.

D’éminents universitaires, tout comme Bruno De Wever de l’Université de Gand, demandent depuis de nombreuses années l’intégration de l’anglais au sein de la politique belge, en soutenant que cela aiderait à combler le fossé qui existe entre les partis politiques et les communautés. L’usage de l’anglais pourrait réunir la Belgique et Bruxelles, et aider les Belges à venir à bout de plus d’un siècle de désaccords linguistiques.

Pendant ce temps-là, les politiques locaux à Bruxelles font fermement l’autruche et ne regardent pas plus loin que leur propre maison communale. Parfois, cela prend des airs de politique de village, mais caractérisée par les tristement célèbres niveaux de pouvoir contradictoires. C’est incroyable de voir comment les représentants du peuple ne cessent de se pointer mutuellement du doigt, apparemment bloqués dans une situation sans issue. Les élus municipaux attribuent la faute au parlement régional, le parlement régional fait porter le chapeau au gouvernement fédéral, le gouvernement fédéral rejette la faute sur les élus municipaux, et ainsi de suite. Conscients du mépris du public, ces acteurs tentent désespérément de dévier la colère de l’électorat vers leurs adversaires politiques. En résumé, la politique linguistique de Bruxelles est un terrain miné, et les communautés ont tendance à adopter la liberté linguistique quand cela leur convient.

Une idée réaliste ?

Parmi les jeunes issus de milieux différents, l’anglais est déjà devenu une lingua franca, une langue commune parlée par tous. Et c’est également le cas des professionnels de tous âges : l’anglais est la langue que les Flamands parlent avec les Espagnols et que les Français utilisent avec les Allemands. Que nous le voulions ou non, le monde devient de plus en plus petit et avec cela, Bruxelles se transforme en une propre entité internationale. Même si les liens qu’entretient Bruxelles avec la Flandre et la Wallonie devraient bien entendu rester serrés, en 2019, la ville n’est plus le petit jouet d’une région ou de l’autre. Depuis la création de la Belgique en tant qu’État monolingue francophone en 1830, il a néanmoins été dans la nature de certains pouvoirs de développer un maintien acharné du statu quo. La célèbre citation « La Belgique sera latine ou elle ne sera pas » date de cette période, ce qui signifiait que les langues non latines représentaient une menace pour l’unité de la Belgique. Mais la reconnaissance du néerlandais comme langue officielle et l’application graduelle des lois linguistiques ont fini par accorder une égalité linguistique aux Flamands. Cela montre bien que la Belgique peut exister en tant que nation multilingue. Et de plus, cela prouve qu’il est possible d’ajouter des langues officielles sans enflammer le parlement.

Le statut non officiel actuel de l’anglais à Bruxelles présente une ressemblance frappante avec la situation en Belgique avant la Loi d’Égalité de 1898, à la suite de laquelle le Néerlandais a été vaguement reconnu. C’est la loi du vote plural de 1893 qui a en grande partie suscité le besoin politique de reconnaître le néerlandais cinq ans plus tard. Cette loi avait créé un nouveau groupe d’électeurs (tous les hommes belges de plus de 25 ans avaient dorénavant le droit de voter une ou plusieurs fois lors de la même élection), mais puisque de nombreux nouveaux électeurs ne parlaient que le néerlandais, les politiciens devaient utiliser cette langue-là pour les atteindre.

Dans la Belgique actuelle, les citoyens européens se sont vus octroyer le droit de vote aux élections municipales en 2000, alors que les étrangers non ressortissants de l’UE ne peuvent se rendre aux urnes que depuis 2006. Les citoyens européens peuvent aussi voter aux élections européennes. Mais jusqu’à présent, en raison d’un manque d’intérêt et de participation, l’influence des électeurs étrangers a été négligeable à Bruxelles (environ 7 %). Si tout le monde s’était inscrit et avait voté lors des dernières élections municipales d’octobre, l’électorat d’origine étrangère aurait constitué environ 30 % du total des voix bruxelloises (80 % des étrangers à Bruxelles sont des citoyens européens). Cela fait de ce groupe un filon qui reste à exploiter par les partis traditionnels. Mais afin de pouvoir le faire, les politiciens vont devoir vaincre l’apathie de ce nouvel électorat en communiquant dans une langue que ces électeurs comprennent bien (l’anglais) et en abordant des questions qui les concernent.

Par ailleurs, la situation des étrangers anglophones dans notre ville ressemble aussi à celle des minorités francophones habitant les communes flamandes autour de Bruxelles. Il y a de clairs parallèles socio-économiques et culturels, en ce sens qu’il est question de nouveaux venus, souvent aisés, qui apportent avec eux une langue qui n’est pas (encore) utilisée par les autorités locales. En gardant ceci à l’esprit, les facilités administratives dont bénéficient les minorités francophones à Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Sint-Genesius-Rode (en français Rhode-Saint-Genèse), Wemmel et Wezembeek-Oppem constituent un précédent intéressant pour les 30 % d’étrangers de Bruxelles. En 1963, ces communes ont reçu un statut « semi-bilingue ». En d’autres termes, les francophones peuvent effectuer les formalités administratives relatives à leur carte d’identité, à leur permis de conduire, à leur enregistrement, etc. en français.

Il est aussi essentiel d’insister sur le fait que depuis la création de la frontière linguistique officielle entre 1921 et 1962, les frontières linguistiques étaient mobiles, et le statut linguistique des communes n’était pas gravé dans la pierre. Toute commune pouvait devenir bilingue tant qu’elle comptait une communauté de 30 % de ses habitants parlant l’autre langue. Ce quota a été utilisé par les Flamands pour maintenir le statut bilingue au sein de l’agglomération bruxelloise après 1930, quand la communauté néerlandophone de Bruxelles est devenue une minorité. Il a aussi été utilisé en 1954 afin d’incorporer les communes de Ganshoren, Evere et Berchem-Sainte-Agathe à l’agglomération bilingue.

Une réconciliation

Les étrangers anglophones de Bruxelles peuvent s’identifier aux points sensibles et aux épreuves traversées autrefois par les deux communautés dominantes à Bruxelles. Mais la différence est qu'ici, l’anglais ne divise pas les communautés et ne les monte pas les unes contre les autres. Au contraire, l’anglais pourrait aider les Belges à mieux se comprendre. Au début des années 1960, quand la fixation de la frontière linguistique a été réalisée, Bruxelles n’était pas encore la capitale internationale qu’elle est aujourd’hui. Le processus d’intégration européenne était tout nouveau, et ce n’est qu’en 1967 que Charles de Gaulle a effectué le retrait de la France de l’OTAN, forçant les quartiers généraux de l’organisation à déménager à Bruxelles. En 1962, le français s’opposait au néerlandais en Belgique, et les lois linguistiques qui ont suivi sont le résultat direct de ce différend.

Mais revenons en 2019 où les querelles se sont visiblement calmées. Les politiques et les lois linguistiques devraient ainsi être réexaminées pour s’assurer qu’elles sont toujours en phase avec la réalité. Il est temps d’oublier le passé douloureux et de voir le trilinguisme comme une véritable opportunité pour Bruxelles. Si le Royaume-Uni quitte l’Union Européenne à la fin de ce mois de mars, la perspective d’une Bruxelles trilingue en ferait une destination attrayante pour les compagnies basées à Londres. Le simple fait de prévoir des facilités administratives serait déjà un pas dans la bonne direction afin d’attirer plus d’entreprises internationales. En effet, les professionnels internationaux seraient rassurés sur le fait qu’ils ne devront pas apprendre une nouvelle langue pour obtenir un permis de stationnement.

Mais pourquoi mettre en place des facilités linguistiques pour l’anglais uniquement ? Ceux qui s’y opposent diront sans doute que la communauté de locuteurs natifs anglophones à Bruxelles est relativement petite. Il n’existe pas de grandes zones d’habitation où vivent uniquement des citoyens britanniques, australiens ou nord-américains, et il n’y a pas une nette anglo-représentation de 30 %. Ainsi, on pourrait affirmer qu’il n’est pas nécessaire de prévoir des facilités administratives pour les anglophones. Bruxelles est en réalité une mosaïque de nationalités, cela ne fait aucun doute, et une grande partie des 30 % d’étrangers sont en fait des Français. Qui plus est, il est évident que certaines autres langues, comme l’espagnol, l’arabe, l’italien et le turc sont parlées par de grandes communautés qui comptent plus de locuteurs natifs que l’anglais. Les détracteurs pourraient donc s’opposer aux facilités pour les anglophones, en affirmant que les autres communautés linguistiques pourraient elles aussi vouloir obtenir des facilités par la suite.

Et puis même si Bruxelles ne compte pas une grande communauté de locuteurs natifs anglophones, tous les groupes d’étrangers européens utilisent l’anglais pour communiquer entre eux. C’est une langue que la majorité des jeunes Européens apprennent en seconde langue, et elle aide donc à jeter des ponts entre les communautés et les nationalités. En plus de citoyens européens, il y a des communautés d’Asiatiques, d’Africains et de Sud-Américains qui préfèrent s’exprimer en anglais plutôt qu'en français ou en néerlandais. Bruxelles est devenue une métropole de minorités, qui ont tendance à utiliser l’anglais comme lingua franca. Et pour ce qui est des possibles revendications de la part d’autres groupes linguistiques, il faut insister sur le fait que l’anglais est la langue principale utilisée au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, institutions toutes deux basées à Bruxelles. En prévoyant des facilités pour l’anglais, Bruxelles engloberait enfin la communauté internationale dans son ensemble, puisque c’est la langue qui unit la majorité de ses résidents (étrangers). La plupart des Bruxellois ont des connaissances de base en anglais, alors que tout le monde ne parle pas l’espagnol, l’arabe, l’italien ou le turc. En général, ces langues ne sont parlées que par les membres de leurs communautés respectives. Et à vrai dire, mettre en place des facilités pour ces langues-là conduirait probablement à plus de division et à moins d’intégration mutuelle.

Quelle mise en œuvre ?

Il existe deux possibilités pour l’instauration officielle de l’anglais à Bruxelles. La première serait de faire de toute la Région de Bruxelles-Capitale une région trilingue. Cela donnerait automatiquement aux étrangers la possibilité d’interagir avec le gouvernement en anglais à tout moment. En même temps, cette option serait une opportunité idéale pour actualiser les institutions bilingues actuelles et désuètes, qui sont en réalité surtout francophones. En 2019, il serait peut-être temps de mettre un terme à la mascarade du bilinguisme officiel qui n’existe que sur le papier, et de travailler activement en faveur d’une ville de Bruxelles trilingue orientée vers l’international. Cette option est souhaitable, mais elle pourrait aussi se révéler quelque peu inapplicable, car il serait à la fois coûteux et chronophage de tout rendre trilingue, et cela ne serait pas forcément pertinent pour tous les services publics.

La deuxième possibilité serait de prévoir des facilités administratives pour les étrangers anglophones semblables à celles dont bénéficient les francophones dans les six communes flamandes autour de Bruxelles. Cette solution semble plus réalisable à court terme, dans la mesure où cela ne changerait pas le statut linguistique de Bruxelles. Ainsi, tout resterait bilingue comme ça l’est pour le moment, mais sur demande, les étrangers pourraient effectuer les démarches administratives pour leur carte d’identité, leur permis de conduire, leur enregistrement, etc., en anglais. Et adopter cette solution ne demande pas la création d’une autre communauté linguistique et d’encore plus de bureaucratie. En Belgique, la simplicité est la clé. Alors là maintenant, des facilités administratives élémentaires pourraient représenter la meilleure solution pour faire de Bruxelles le vrai cœur de l’Europe.

Translated from The case for English in Brussels