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Pegida : pourquoi tout se passe à Dresde ? (3/3)

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Emilie Pardon

Société

Les vraies réponses se trouvent souvent dans les bonnes questions. Pour expliquer l'ampleur du mouvement réactionnaire allemand Pegida, il faut s'interroger sur la ville où tout a commencé, Dresde, ainsi que sur sa culture politique et sociale très particulière.

Le fléau qui ravage la Saxe (et Dresde en particulier) depuis des années, des décennies, commence petit à petit à se résorber. Le fait que Pegida ne séduit pas vraiment les jeunes – comme on l'attendrait de n’importe quel mouvement social « réussi » – est motif d’espoir. Le réseau « Dresden für Alle » (Dresde pour tous) est lui, par contre, majoritairement porté par des gens très jeunes et engagés. L’aggravation de la situation publique rappelle tout particulièrement aux jeunes que la démocratie, l’État de droit, la tolérance religieuse, les droits fondamentaux, la liberté de la presse et l’ouverture des frontières ne vont pas de soi, mais que sont des droits pour lesquels il faut se battre. Et que la tentation du totalitarisme doit être activement rejetée.

Dans de nombreux endroits de Saxe, de nouveaux mouvements de société civile se sont cristallisés autour de certaines questions – généralement par opposition aux néonazis ou aux fermetures d’écoles - et ils accompagnent depuis longtemps de manière créative et constructive la vie de leur communauté. De cette manière, ils peuvent développer de nouvelles perspectives même dans les petites villes et les villes de taille moyenne. 

La prespective d’un État centralisé est donc remise en cause. La société civile dans les villes et les communes a gagné en confiance en soi. L’opinion publique régionale est de plus en plus confrontée à l’opinion publique nationale et internationale. À Dresde, des sphères comme celles des sciences, de la culture et de l’économie  - qui ont depuis longtemps dépassé les frontières de la province, mais qui continuent de vivre un peu en vase clos - doivent maintenant prendre conscience de leur propre valeur.  

Désormais, la branche saxonne du parti CDU est face à un dilemme : faut-il s’en tenir à une politique d'État centralisé ? Cette conception de la politique est marquée non seulement par les principes de gouvernance conservateurs importés de la période post-réunification, mais aussi par les « blockflöten » (littéralement: les « flûtes à bec », désignaient en RDA les partis d'opposition, ndt.) toujours prédominants. On pense à des politiciens comme le Ministre-Président Stanislaw Tillich et le chef du groupe CDU de Saxe Frank Kupfer, qui appartenaient déjà au groupe CDU à l’époque de la RDA (les partis d'oppositions étaient représentés dans un bloc sous la tutelle du parti central dont ils n'étaient que des satellites, ndt.) et qui occupaient des petites fonctions plutôt insignifiantes dans l’appareil d’État et du Parti. C'est cette politique d'État central qui a permis à la CDU, durant les dernières décennies,  de plus ou moins discrètement maintenir dépendant d’elle l’économie, la culture, les sciences, le sport et les communes par le biais d'une forme de clientélisme. De cette manière, le gouvernement pouvait, pour un temps, maintenir une certaine stabilité et garder un contrôle discret sur de larges aspects de la société.

À la mode RDA

Cette forme de centralisation de l'État trouvait encore à s'exprimer lors de la grande manifestation du 10 janvier qui devait être un signe en faveur du cosmopolitisme. La société civile n’a pas du tout été associée à l’organisation de la manifestation. Et c'est seulement avec réticence que ses représentants y étaient prévus comme intervenant. À la mode RDA, les associations et les institutions sociales ont été obligées de participer à la dernière minute. Il semblerait que les « chefs » de l'État de Saxe n’aient pas encore remarqué que la plupart de ces groupes étaient déjà plus avancés. Les universités, les acteurs culturels et les églises manifestaient déjà depuis des semaines. La « direction » de l'État et du parti de Saxe a vraiment du mal avec les comités citoyens (d'aides aux réfugiés par exemple) et les réseaux et alliances (tout particulièrement l'alliance très réussie « Dresden Nazifrei » - Dresde sans nazis - qui fait de la résistance contre les manifestations annuelles de commémoration des bombardements du 13 février). Par principe, un parti ne répond pas à des invitations à participer à des rencontres de réseaux ou d'alliances de la société civile. 

L’autre alternative qui, à mon avis, est la plus prometteuse serait de développer les associations non pas vers des partis d’État, mais en partis citoyens. Cela exige de la part des politiciens un peu de réflexion, de créativité et d’investissement. Cela pourrait permettre au parti d'éviter un naufrage lors d'un changement de l’opposition dans un avenir plus ou moins proche. Par contre, une réflexion doit aussi être menée chez tous les acteurs de Saxe.

Était-il nécessaire d’attendre une initiative du gouvernement saxon pour mettre sur pied une très grosse manifestation ? N’y avait-il pas assez (et cela, l'auteur le dit aussi comme une autocritique) d’acteurs avec suffisamment de confiance en soi et d’expérience pour mettre en place une telle manifestation, même sans le gouvernement (mais certainement pas contre celui-ci) ? C’est justement cette indifférence que l’on pensait enfin avoir surmontée. La démonstration en avait été faite il y a déjà des années à l'occasion de l'élection à la mairie gagnée par une initiative citoyenne et avec le soutien du « SPD », de « die Grünen », du « PDS » et de la « FDP » contre le parti d’État. Et surtout, lorsque les catastrophes des inondations ont été surmontées grâce à l’engagement citoyen. Il faut maintenant prendre des responsabilités dans les villes et les communes et accepter l’énorme défi de se présenter comme alternative crédible au niveau national. 

Ce texte de Dietrich Herrmann pour la Heinrich-Böll-Stiftung est repris ici grâce à sa licence Creative-Commons. Retrouvez la partie 1 et 2 de l'analyse.

Translated from Pegida: Warum gerade Dresden? (Teil 3)