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Orka : l'écho des Îles Féroé

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Culture

De passage à Paris, nous avons rencontré Jens Thomsen, l'homme qui se cache derrière le projet musical féroïen Orka. Avec pour principe de composer dans des lieux toujours plus insolites comme dans une ferme pour leur premier, le musicien a en partie composé son quatrième opus dans un cinéma désaffecté et dans une gare de Bombay. 

16h à Paris, un après midi ensoleillé, j’ai rendez-vous avec le leader de groupe Orka, Jens Thomsen, au point Ephémère sur le canal Saint Martin. Problème : je ne sais pas vraiment à quoi il ressemble et mon niveau d’anglais est resté coincé dans une salle de lycée. Les doutes se dissipent à mesure que Jens s’approche de moi. Le leader d’Orka a l’allure du bon pote du nord avec qui on partagerait un verre de Brennivin. Pas très grand, les cheveux hirsutes, le visage caché par une barbe de viking, Jens est enseveli sous un pull en laine et un pantalon en tweed. Le mal du pays, sûrement. Je devine un « nice to meet you », le stress m’emporte, et c’est parti pour une heure de discussion à chercher ses mots. Pourtant le musicien, aussi décontracté que sa coupe de cheveux, me rassure sur mon anglais et surtout, commence par un conte, que seuls les Féroïens sont capables de déclamer. 

Capturer l'essence d'un lieu 

L’histoire commence dans une ferme des Îles Féroé. Quelques jeunes s’enferment dans la propriété du père de Jens pour y faire de la musique. Jusque là, la trame est banale et résonne comme celles de toutes les bandes de potes à qui il est arrivé de faire un bœuf. Jens décide alors de corser les choses. Le challenge ? Utiliser l’endroit de la répèt tel qu’il est, c’est à dire sans instrument de musique. L’idée ? « Que l’album résonne comme les ondes de ce lieu. » Ainsi, les membres du groupe commencent à fabriquer leurs instruments à partir du matériel agricole à disposition. Les gars se munissent de compresseurs d’air et de bouteilles d’eau puis découvrent des choses, comme le fait que le son diverge en fonction de l’air injecté dans un récipient. Amusé, le groupe bidouille deux semaines et se rend compte qu’ils sont en train d’écrire un album, qui aura un nom – Livandi Oyõa - une fois que le tout sera retravaillé et mixé dans un studio. 

Ainsi naît Orka. Un projet musical hybride, crée en huit clos, à la faveur des éléments. En parlant avec des linguistes, Jens Thomsen découvre que, dans la langue féroïenne, il y a quantité de sons qui imitent le bruit de la mer, le flux et le reflux des vagues. En effet, la musique d'Orka est très connectée à la nature. « C'est un mélange de culture et de nature, c'est comme la musique française qui a son propre environnement », précise Jens. Les paysages l'affectent beaucoup et se ressentent énormément dans sa musique, « différentes natures, différentes villes qui créent différentes musiques ». Ainsi, le lieu où il se trouve influence fortement sa création. En bref, l’activité principale de ce jeune musicien tient en quatre lettres : « Orka », avec qui il jouit d’une liberté totale, même s’il produit aussi de la musique pour le théâtre et pour d’autres artistes. C’est lui qui est à l’initiative du projet, qu’il a mené pendant quelques années aux Iles Féroé et qu’il poursuit désormais à Londres où résonnent justement « des tempo différents ». C’est aussi à Londres qu’il a effectué ses études de musique au début des années 2000. « Quand tu habites les Îles Féroé, tu es un peu coincé parce qu'il te faut 600 euros pour quitter l'île, donc voyager c'est tout de suite très compliqué, ça te prend des années d'aller à Paris par exemple, alors que de Londres, en 1h30 tu y es ! ». 

Yann Tiersen et des combinaisons thermiques

Grand voyageur, il a posé un peu ses bagages en Bretagne à l’occasion des RencontresTransmusicales de Rennes et de là, s’en est suivi une rencontre hors du commun. C’est en 2008 que Jean-Louis Brossard, directeur artistique du festival, le met en relation avec Yann Tiersen dans l’idée de créer un duo avec Orka, le temps du festival. S'ensuit alors une résidence aux Transmusicales et une tournée avec Yann Tiersen qui accompagne le groupe en Allemagne, en France, en Pologne, en Suède... Jens Thomsen confie à ce propos que cette collaboration était « organique ». À la base, Yann Tiersen devait être un « guest mais il est devenu une sorte de 6ème membre du groupe, beaucoup plus qu'un invité, c’est devenu un ami ». L'entente musicale est tellement naturelle qu’Ólavur Jákupsson, chanteur d'Orka à l’époque, deviendra la voix derrière les projets de Yann Tiersen. 

Alors que l’album précédent Òrò (2011) a été enregistré « dans une vieille usine très froide avec un vent gelé et des combinaisons thermiques » qui habillaient les musiciens, le nouveau disque Leipzig a été réalisé au cœur de cette ville qui donne son nom à l’album. Orka a choisi un vieux cinéma abandonné où régnait une atmosphère « exceptionnelle, calme et paisible » pour la composition de ce dernier album. Les autres enregistrements ont été captés dans une gare de Bombay avec un vieux magnétophone basique, mais aussi dans une petite église à Sibrandahûs aux Pays-Bas et sur un bateau à Hong-Kong. Le projet d’Orka est de retranscrire au maximum l’âme de ces lieux pittoresques et d’y « créer leur petit univers ». 

Amateur du centre « The Pound Arts », dans le Wiltshire, un comté dans le sud ouest de l’Angleterre, le groupe Orka aime utiliser tous les sons déjà présents dans leur environnement : « un chaos avec une vue spécifique », précise Jens Thomsen. La mission de ce centre artistique est d’offrir la possibilité de s’engager dans les arts, indépendamment de l’âge, de l’expérience ou de la capacité, en partant du principe que l’art peut transformer la vie des gens. Et avec Orka, on comprend bien le lien avec leur principe : faire de la musique sans artifices, en se servant déjà de toutes les sonorités qu’offre le lieu où ils se trouvent. Ainsi, beaucoup d’improvisations rythment leurs morceaux, ce n’est qu’à l’étape du studio qu’ils organisent leur structure musicale pour délivrer une musique intuitive presque tribale imprégnée de leurs voyages remplis de paysages atypiques.

Orka - « Black Ice Age »

Écouter : Orka - Leipzig

Par Laurence Moisdon