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On a été coupés...

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Le Puy de Babel

La pièce commence avec une petite mort et une mort pour de vrai. Nous on n’a rien sentis…. À l’ouverture de Littoral, mise en scène par son auteur Wajdi Mouawad, à la maison de la Culture de Clermont-Ferrand, Wilfrid raconte « le coup de sa vie ». Il « baaiiisait là » – le comédien est québécois – et puis il a « éjaculééé d’un coup d’téléphone ».

C’est par l’annonce de la mort de son père qu’il est interrompu au moment de l’extase. On deviendrait adulte le jour où en jouissant, l’image de la mort nous assaille. La mort est venue frapper à l’oreille de Wilfrid. Elle le lance dans un parcours des entrailles de sa vie.

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Littoral est la première d’un quatuor de pièces – le Sang des promesses – avec Incendie, la déchirante Ciels et la somptueuse Forêts. Les répliques lourdes de sens des deux dernières avaient été soutenues par des mises en scène alliant vidéos projetées sur écrans et sur corps, musique électrique et décors majestueux. Dans cette version de Littoral, au contraire, Mouawad nous sert les poncifs froids du théâtre contemporain bricolé – de la peinture rouge pour le sang, un drap blanc recouvert de peinture bleu pour la mer – et rend l’ironie risible. Le second degré parfois très juste – « C’était la première fois que je perdais mon père et je savais pas du tout quelle attitude adopter. » – sombre souvent dans le mélo, la mélasse, le mielleux.

Littoral est la quête d’une identité. La chevauchée vers la terre natale où les cimetières sont pleins pour y enfouir un père que la famille rejette. La mère de Wilfrid est morte en lui donnant naissance. Son père a alors voyagé, fui. C’est parce qu’il se trouve dans un frigo de morgue que son fils va pouvoir le rencontrer et retracer son histoire au fil des lettres qu’il lui a écrites à chacun de ses anniversaires et n’a jamais envoyées.

Littoral est le combat de celui qui doit tuer ses fantômes pour devenir un homme, pour distinguer la vie de ce qu’il voudrait qu’elle soit – « Pourquoi j’ai toujours cette impression d’être dans un film ?! »  Le combat individuel est celui d’une communauté toute entière. Wilfrid, cherchant un lieu de sépulture pour son défunt père, croise sur son chemin d’autres jeunes orphelins dont les histoires tragiques racontent celle du Liban. Ensemble ils vont marcher pour aider Wilfrid et raconter leurs aventures, « faire exploser des bombes dans la tête des gens ». Tout excités qu’ils sont à l’arrivée de chaque nouveau compagnon de route, ils s’esclaffent : « Alors viens ! Suis-nous ! Viens raconter ton histoire avec nous ! » « Trop d’histoires tuent l’Histoire. » dit l’un deux. C’est vrai !

Dans une distribution très inégale, Jean Alibert, alias le chevalier Guiromelan (un rêve) amuse et émeut. Les comédiennes gloussent et sur jouent. Elles agacent à juste titre en tantes hystériques mais sont peu convaincantes en jeunes vengeresses. Des flash-back montrent les parents de Wilfrid jeunes, heureux et amoureux sur la plage. Alors… ils rient. Ils pouffent. Ils ricanent.

Comme dans les autres pièces de Mouawad, on est à la frontière entre le cinéma, l’odyssée et le théâtre. En recréant Littoral, l’artiste a voulu redonner son goût d’antan à sa pièce qu’il a écrite il y a quinze ans, à la sortie de l’école de théâtre : « Comment faire pour ne pas trahir celui que j’étais il y a quinze ans ? Comment ne pas le tromper comme celui qui retouche son journal d’enfance des années plus tard pour lui donner un sérieux plus prononcé ? » Le balai qui se fait perche pour un technicien de cinéma et la caméra née d’une guitare ont leur charme mais ce retour en arrière forcé a comme un goût d’artifice. Ces choses qui font qu’on aime le travail de Mouawad adulte, on ne les retrouve pas.

Qu’importe, les Clermontois qui s’étaient réjouis toute la semaine à l’idée d’applaudir à nouveau le Québécois ont, comme à leur habitude, ovationné l’artiste imposé.