
Népal : Rhinocéros, prêt, partez !
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Lena EUGÈNE« Bien sûr la jungle c'est dangereux. Mais je vais t'apprendre quelques trucs. Si un rhinocéros attaque, il te faut grimper à un arbre ou courir en zigzag de façon à ce qu'il ne puisse pas te suivre aisément. » Alors que Mohan m'explique comment survivre en jungle subtropicale, je me sens soudain nauséeuse. Peut-être que la célèbre marche dans la jungle n'est pas sans danger après tout?
Les conseils de Mohan ne s'arrêtent pas là : « si tu croises un tigre, il faut le regarder dans les yeux et ne jamais lui tourner le dos car les tigres attaquent toujours par derrière. Et si on rencontre un ours, il faut rester groupé car en groupe nous leur ferons peur plus facilement.» Légèrement embarrassé, Mohan me sourit. « Nous essaierons, bien sûr, de te défendre. » Bizarrement, je ne me sens pas entièrement en sécurité accompagnée de mes, plutôt petits, guides népalais et leur bâtons en bambou.
Mais il est trop tard pour faire demi-tour car nous avons déjà pénétré dans la jungle. Alors que la plupart des parcs nationaux sont seulement accessibles en jeep ou à dos d'éléphant, l'administration du parc national du Chitwan, dans les plaines sud du Népal, est assez relax sur le sujet. « Bien sûr que tu peux te balader à pied dans la jungle ! » dit Raj, le propriétaire de mon hôtel. Heureusement, de cette façon c'est également moins chèr. Toutefois, si on tient compte du nombre considérable de rhinocéros, d'éléphants sauvages, d'ours paresseux et de léopards, ainsi que des plus ou moins 80 tigres Royaux du Bengal parcourant le Chitwan, un occidental ne peut que trouver ça imprudent. Néanmoins, Mohan m'assure que ces prédateurs ne sont pas vraiment dangereux et qu'il nous faut seulement faire attention aux ours et aux éléphants avec leurs petits. Plus nous nous éloignons de la rivière Rapti, qui est la frontière naturelle entre le nord du parc et les villages de la tribu locale, les Tharu, plus le paysage est à couper le souffle. Des forêts sèches de sal, ou les feuilles mortes bruissent comme à la maison, s'ouvrent sur de larges prairies au dessus desquelles planent d'impressionnants nuages gris de pluie qui s'amoncellent dans un ciel violet. Au loin, je devine un grand pommier éléphant encore voilé par la brume matinale, et de petites collines couvertes de forêts denses qui mènent « au coeur de la jungle.» Beaucoup de Népalais font référence à Chitwan dans son entier avec cette sombre et belle métaphore, ce qui n'a pourtant pas l'air de déstabiliser Mohan et Ashish. Au moins pas plus que les innombrables ours et rhinocéros. Pendant que nous déjeunons, riz frit et oeufs durs, nous entendons les barètements d'un combat de rhinocéros tout près. Mohan sourit, « C'est la saison des amours ! »
Chitwan est l'un des plus célèbres sites touristiques du Népal. Fondé en 1973, c'était le premier parc national du Népal, et a été déclaré Patrimoine Mondial de l'humanité en 1984. D'incroyables paysages et un relativement grand nombre de mammifères et d'oiseaux ont provoqué un énorme afflux de touristes au cours de ces vingt dernières années. Si vous venez en haute saison, vous arpenterez la jungle avec une horde d'étrangers. Cela signifie que les chances de voir un rhino seront quasiment nulles, me dit Raj, qui déplore la commercialisation du parc bien qu'en tant que propriétaire d'hôtel, il en tire des bénéfices. Heureusement, je me suis retrouvée a Chitwan bien en dehors de la saison, pendant l'oppressante vague de chaleur qui précède la mousson, et n'ai remarqué qu'un ou deux touristes au départ de ma randonnée. Les gros prédateurs se font également rares, au contraire des petits : je dois continuellement me défendre contre les tiques.
À midi, je n'ai vu qu'un crocodile, deux ou trois cerfs et un nombre impressionnant d'oiseaux sautant, flottant et gazouillant. Mais Mohan, qui semble connaître chaque sentier, espèce d'arbre et animal du parc, me dit d'être patient. Après avoir débusqué une paonne et ses poussins par inadvertance, et mangé de la mangue verte avec du sel, nous nous promenons sur une sorte de barrage à travers les prairies étonnamment vertes qui se courbent des deux côtés. Alors qu'une tempête se prépare et que Mohan condamne les plans pour de nouvelles constructions de barrages d'eau, deux rhinocéros se bousculent timidement de l'autre côté de la digue non loin de nous. Mohan sourit joyeusement : « ils sont là ! Un mâle et une femelle ! » Nous ont-ils vu? Probablement pas, dit Ashish, et explique que les rhinocéros sont très myopes. Longtemps après qu'ils aient disparu dans les roseaux, je suis toujours émerveillée par la taille des deux rhinos quand soudain Mohan me dit de m'arrêter. Sur notre gauche, un autre gaindaa mâche et marmonne dans les hautes herbes, mais on ne peut que deviner son dos.
Alors que je me demande si nous nous ne nous sommes pas approchés de trop près du rhinocéros, nous entendons un grondement sourd s'élever soudain de la prairie derrière nous. Mohan et Ashish sont immédiatement sur leur garde, ont un échange rapide en népalais et me font signe de ne pas bouger. Un tigre. Dans les hautes herbes derrière nous et probablement pas très loin. À cause de l'herbe, nous ne pouvons rien voir, même après que nous ayons gravi une petite colline toute proche. Un silence à couper au couteau tombe sur la prairie et même les oiseaux ne poussent plus leur cris d'alerte. Le terrifiant rugissement se fait étendre une nouvelle fois. Au-dessus de nos têtes, les nuages se changent en tours de fer, il commence à bruiner et je me demande tout bas si ce sont mes derniers instants. Immobiles, nous nous asseyons sur la colline pendant quelques très longues minutes durant lesquelles je révise les astuces de survie de Mohan. Finalement le rugissement se fait plus lointain. Le tigre semble avoir choisi une autre route. Remarquant la sueur froide sur mon front, Mohan rit, " C'est l'avantage de ce boulot : le risque!"
Deux heures plus tard, la nuit commence à tomber et nous pataugeons dans la rivière Rapti. Ces marches dans la jungle sont-elles vraiment sûres? Je demande à Mohan qui retrousse son pantalon. "Rien n'arrive jamais. Parfois les éléphants attaquent les guides locaux, mais c'est très rare." De retour au village une jeep s'arrête face à nous, les pneus crissant. Un jeune Népalais avec une profonde cicatrice, encore fraîche, sur le visage salue Mohan et rit. "Regarde ma cicatrice ! La semaine dernière j'ai été attaqué par un ours ! Sur le chemin du retour, au crépuscule, je me souviens soudain de ce que Prakash, un autre employé de l'hôtel, m'avait dit : " si tu te fais attaquer par un tigre, joins tes mains face à ta poitrine, incline-toi et dis namasté!" Ce qui dans ce contexte signifie probablement : "j'accepte mon sort avec joie. Vous pouvez me manger à présent."
Néanmoins, cette marche dans la jungle ne m'a pas réellement effrayée. Les grandes prairies, collines brumeuses et nuages noirs sont bien trop beaux pour ça. Mais la prochaine fois, je ferai une plus longue marche dans le Chitwan, pendant au moins trois jours au vrai "coeur de la jungle". Et j'emporterai mon propre bâton de bambou.
Translated from Nepal: Spot a Rhino, Steady, Go!