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Mexico 68

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Strasbourg

Par Frédégonde Rudolf « 1968,ville du crime, cela se passa à Tlatelolco (...])là-bas j'ai perdu mon fidèle ami /(...)il me fit le V de Victoire puis me dit adieu.(...)/C'était un 2 octobre, comment l'oublier?(...)/dans les foyers le deuil est loin d'être fini...une blessure profonde est passée, elle est restée à jamais (...)/ Ça va être le tour de qui maintenant? (...

)/peut être celui du Chiapas ou alors une nouvelle fois celui du DF (Mexico,district fédéral)(...) »(1)

Le 2 octobre dernier- comme chaque année d'ailleurs- une grande marche commémorative a eu lieu outre Atlantique, dans la ville de Mexico, depuis le Zócalo (place principale), en mémoire de tous ces jeunes étudiants mexicains assassinés ce même jour mais durant l'année mouvementée 1968. C' était il y a 41 ans.

1968, l'année de tous les conflits.

1968 fut, dans une grande partie du monde, l'année de conflits sociaux et surtout celle de révoltes d'étudiants. La jeunesse mexicaine fut évidemment influencée par cette explosion de luttes estudiantines. Au Mexique, des goûts nouveaux, des préoccupations différentes émergeaient au sein des jeunes de la classe moyenne. C'était l'époque de la rupture, de la « Onda » ( de la « Vague ») qui généralement passionnait un public étudiant, souvent contestataire.

Seulement, si l'on compare les échauffourées qui se déroulèrent dans la ville de Mexico de juillet à octobre 68 avec notre « Mai 68 », ce dernier prend des allures de « chahuts » d'étudiants car au Mexique- contrairement au pays de l'hexagone- les mouvements estudiantins connurent un dénouement très violent.

D'emblée, l'avènement de l'ère 68 s'annonça rude pour le gouvernement mexicain, en raison de nombreux troubles sociaux qui avaient déjà secoué le district fédéral et divers états du pays. Au pouvoir se trouvaient alors réunis -pour le meilleur et pour le pire- Díaz Ordaz- président de la république mexicaine depuis 1964- ainsi que son comparse Luís Echeverría, ministre de l'Intérieur. Le parti politique que tous deux représentaient était le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel), un parti dit socialiste bien « archaïque » puisqu'il découlait des révolutions mexicaines de 1910-1920. Le PRI s'imposa vers 1929 et détint le pouvoir jusqu'en...2000(!), soit pendant plus de 70 ans, d'où son surnom: le « Parti du monopole » et les diverses accusations de fraude qui persistèrent tout au long de son règne...

Justement, au milieu des années 60, le peuple mexicain manifestait de plus en plus son mécontentement face à ce régime qu'il jugeait trop autoritaire, crapuleux et corrompu. Ainsi un grand nombre de marches de protestation avait lieu dans certains états du pays et, la plupart, dans la capitale et déjà on se plaignait des méthodes de répression violentes utilisées par la police anti-émeute. Les manifestants n'étaient pas uniquement de simples étudiants: il y avait également un grand nombre de parents, de travailleurs, d'ouvriers... bref, des citoyens déçus par le vrai visage du PRI, parti révolutionnaire devenu conservateur qui, jusque là, avait toujours été plébiscité. Au fil des années, ces manifestations prirent une tournure plus importante, après quoi la police mexicaine se trouva dans l'obligation de radicaliser ses méthodes de répression. Le viol d'un grand nombre de droits fondamentaux et inaliénables fut alors consommé. C'est ainsi que les policiers bafouèrent celui qui garantissait une autonomie pleine à l'UNAM (Université Nationale et Autonome de Mexico), occupant de nombreux bâtiments universitaires. Or, depuis 1910, date de sa fondation, le maître mot de l'UNAM avait toujours été: « UNAM, territoire libre d'Amérique »...La colère gronda parmi les étudiants, les professeurs et le recteur même de l'université qui devint leur chef de file. Peu de temps après, un comité de grève fut mis en place, le CNH (Comité National de grève), au sein duquel convergeaient des représentants de diverses facultés et écoles.

Un gouvernement prêt à tout pour sauver les apparences

À cette époque là, le monde entier allait braquer son regard sur la ville de Mexico puisque le 13 octobre 1968 les Jeux Olympiques allaient s'y dérouler. C'était la première fois qu'un pays d'Amérique latine était choisi pour l'organisation d'un tel événement. La ville de Mexico avait donc tout intérêt à soigner son image...

Or au même moment, le CNH décida d'organiser un grand meeting censé avoir lieu le 2 octobre sur la Place des Trois Cultures, soit une dizaine de jours avant les JO.

Le président Díaz Ordaz sentit alors dans ce rassemblement le point de départ d'un véritable embrasement populaire et, craignant l'annulation des JO, chercha un moyen efficace pour freiner ces rébellions. On décida donc la création du fameux Bataillon Olimpia, auquel les autorités politiques donnèrent l'ordre de faire volontairement dégénérer cette manifestation.

Chronique d'une nuit sanglante.

Ce rassemblement estudiantin se déroula alors sur la Place des Trois Cultures et commença aux environs de 17h. Située dans le quartier historique de Tlatelolco, cette esplanade porte ce nom là en référence au glorieux passé pré-hispanique du Mexique ainsi qu'à son histoire coloniale et à son présent. Ainsi, ne vous étonnez pas d'y voir « réconciliés » un ancien temple aztèque et une Église coloniale (« Santiago Tlatelolco »), le tout entouré d'infrastructures modernes datant du début des années 60 que les mexicains doivent à Ernesto Urruchurtu, le « baron Hausmann du 20ème siècle » (cf le bâtiment du ministère des Affaires étrangères etc)...inédit, non?

Dans un premier temps tout se déroula bien. Là s'y étaient réunis de façon très solidaire quelque milliers de mexicains (8 000), de tout âge, catégories sociales et professions confondues, dans le but de protester en chœur contre les dérives totalitaires du gouvernement socialiste et plaider pour un meilleur respect de leurs droits constitutionnels (restauration de l'autonomie de l'université, libération de tous les prisonniers politiques, dissolution de la police anti-émeute, fin de la présence de chars dans les rues, abolition d'un article de loi permettant de poursuivre tout mexicain contestant le régime etc), lesquels chaque jour se voyaient un peu plus bafoués .

Seulement, aux environs de 18h, lorsqu'il commença à faire un peu plus sombre, un hélicoptère surgit dans le ciel. Il volait quasiment au ras du sol puis lâcha soudainement des feux de Bengale de couleur verte. En vérité, il s'agissait d'un code adressé aux agents spéciaux du « Bataillon Olimpia » dispersés secrètement sur la Place, pour signaler le coup d'envoi des feux. En deux temps trois mouvements, des rafales de mitraillettes se firent entendre.

« Ne courez pas camarades, ne courez pas! Calmez-vous, ce sont des balles à blanc! ». Ce jour là les orateurs firent un effort désespéré pour contrôler cette situation si violente. Mais voyant qu'il s'agissait là d'un véritable massacre puisque certains commençaient à tomber sous les balles, les participants tentèrent de fuir. D'aucuns frappèrent à la porte de l' Église Santiago Tlatelolco mais les franciscains n'ouvrirent pas. D'autres se réfugièrent dans les immeubles du quartier mais des hommes en civil ne tardèrent pas à les y rejoindre et massacrèrent tout témoin des atrocités qu'ils leurs firent. Ce carnage eu lieu devant le bâtiment du ministère des Affaires étrangères et bien des gens qui y travaillaient y assistèrent. Mais ce jour là l'indifférence régna.

Les forces de l'ordre, déjà présentes lors du meeting, répliquèrent à coups de canon et mitraillette mais ces dernières et la foule d'innocents étaient cernées. En fait dès le début du rassemblement, les différents membres qui composait le dit Bataillon s'étaient minutieusement positionnés. Au sommet des immeubles qui entouraient la Place des Trois Cultures se trouvaient postés plusieurs tireurs d'élite et c'était eux qui, ayant reçu le signal, tiraient sur la foule et la police mexicaine. De plus, des hommes armés étaient infiltrés dans la foule; la plupart était très jeune et, pour éviter d' être confondus avec les étudiants et d'être alors pris pour cibles, ils portaient un gant blanc à la main. Les soldats qui composaient cette troupe devaient être en tenue de civil pour ne pas mettre en cause l'armée mexicaine. On dit qu'ils avaient été formé aux États-Unis, par la CIA.

« Épargnés » par la justice mais pas par l'Histoire.

Cette tuerie eut un retentissement international et l'on s'en indigna de toutes parts, sauf au Mexique où les retombées immédiates furent minimes en raison d'une subtile stratégie de désinformation.; à quelque jours des JO, il s'agissait de ne pas ternir l'image de l'État mexicain...

En effet, au lendemain du drame, dans la presse mexicaine, on n'évoquait qu'un nombre dérisoire de morts et de blessés. On ne se gêna pas non plus pour rejeter la faute sur la jeunesse mexicaine, leur reprochant une forte collusion avec le régime castriste de Cuba- régime d'inspiration communiste. Il est vrai qu'étant en pleine Guerre froide, ce dernier argument fut de choc. Le président l'alimenta et se félicita même d'avoir sauvé le pays d'un complot international « rouge » qui visait à miner ses institutions, ouvrant par là l'accession à la présidence de Echeverría en 1970.... De plus, les appels de « héros » d'extrême gauche de la fin des années 60, tels que le Che, lui apportèrent involontairement crédit. Une vraie rhétorique de Guerre froide...

En vérité, le nombre de morts oscillait entre 300 et 500 -si ce n'est plus- et cela sans compter tous ces blessés, ces personnes arrêtées, incarcérées dans des prisons, des camps militaires ou mystérieusement disparues...Cette nuit là les ambulances firent un nombre incalculable d' aller - retour.

Une fois la « tempête » passée, à Mexico la vie reprit un calme apparent...Les JO furent inaugurés par le président Díaz Ordaz et se déroulèrent sans troubles, si ce n'est que l'on s'arrangea pour faire voler au bord du balcon présidentiel un cerf-volant en forme de colombe...noire, afin de rappeler qu'un grand nombre de familles étaient en deuil.

En 1970, Echeverría succéda à Díaz Ordaz à la présidence alors qu' à la lumière de tous ces évènements, on aurait pu penser à un vote sanction contre le PRI...

Il n'empêche qu'en dépit de l'omerta pratiquée par les gouvernements successifs du PRI, ce massacre restera imprimé à jamais dans la mémoire des citadins: une cinquantaine de romans( dont un de Elena Poniatowska, La Noche de Tlatelolco, 1971), et de pièces de théâtre ainsi qu'une poignée de films, dont le très réaliste Rojo Amanecer (Aube Rouge, 1989) de Jorge Fons, virent le jour afin de briser le tabou et de perpétuer le souvenir de toute cette génération de sacrifiés dont l'unique crime avait été de vouloir renouveler une société qu'ils jugeaient trop injuste.

Ainsi, depuis ce funeste jour, tous les 2 octobre une marche commémorative a lieu dans la ville de Mexico. Elle rassemble des « vétérans » qui vécurent ce triste événement et de nouvelles générations qui -bien qu'elles ne connurent pas les révoltes de 68- en sont tout aussi solidaire. En souvenir de ces mains d'étudiants qui se levèrent par milliers dessinant le signe « V » pour « Nous vaincrons », on y clame aujourd'hui un slogan qui sonne comme une véritable mise en garde aux gouvernements susceptibles de commettre de nouvelles atrocités à l'encontre du peuple mexicain: « 2 de octubre, ¡No se olvida! » (« Le 2 octobre ça ne s'oublie pas! »).

Jusqu'à aujourd'hui aucun responsable politique n'a été juridiquement désigné et ce, en dépit d'un grand nombre de tentatives...Au début du 21ème siècle seulement, le Comité de 68 réussit à traîner Luis Echeverría, ex-ministre de l'Intérieur et président, sur le banc des accusés pour répondre aux chefs d'inculpation de génocide, homicides, lésions et disparitions forcées, mais, après des années d'atermoiements, la justice mexicaine l'acquitta, faute de preuves alors que d'après un grand nombre de témoignages il était clair qu'il avait tenu le sale rôle...

Certes, cet événement mit brutalement fin à plus de 3 mois de contestation estudiantine contre le gouvernement socialiste du PRI, mais il donna aussi naissance à de nouvelles formes d'opposition. Le « pacte » entre le peuple mexicain et le régime issu de la Révolution commença à se défaire.

« Abyssus abyssum invocat »(2)

Cet événement honteux du 2 octobre 68 n'est pas sans rappeler un autre plus sanglant encore qui eut lieu au même endroit, dans le quartier de Tlatelolco, mais à près de 5 siècles d'intervalles! En août 1521, le grand Conquistador Cortés y fit irruption avec toute son armée, laquelle massacra des milliers d'indigènes (40 000)...Un témoignage macabre nous livre le grand désarroi de ces indigènes face à la destruction de leur cité sacrée et au massacre gratuit de leurs frères: « Ce triste et lamentable sort nous plongea dans l'angoisse/ et des dards brisés gisent sur les chemins/ Les cheveux sont épars/ Les maisons ont leurs toits défoncés et leurs murs rougis/ sur les rues, sur les places, les vers prolifèrent/ tandis que sur les murs s'étalent les cervelles »3... Il est peut être exagéré d'établir un parallèle entre ces deux massacres, mais le malheureux événement du 2 octobre 68 n'est pas connu sous le nom du « Second massacre de Tlatelolco » par hasard: il rappelle à l'évidence le premier. Une stèle commémorative rend hommage à chacun de ces sombres évènements, mais ce ne fut qu'à l'automne 2007 que le Comité de 68 érigea un mausolée aux étudiants. Cependant, la liste des noms inscrits sur la stèle ne serait pas exhaustive: un grand nombre n'y figurerait pas. Le jour même de l'inauguration de ce mémorial, l'écrivaine russe Elena Poniatowska, qui fut -entre autre- une grande figure de la gauche mexicaine, y fit un discours émouvant dans lequel elle rappela tous les faits commis ce jour-là et déclara que le « 2 de octubre 1968, ¡No se olvida! »...

(1) Extrait de « Mexico 68 », chanson du talentueux auteur-compositeur mexicain Fernando Lara.

(2) « Une faute en entraîne une autre ».

(3) Histoire du Nouveau Monde Tome I: De la découverte à la conquête, Bernand et Gruzinsky, Paris, Fayard, 1991 (p.339).

Translated from Mexico 68