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Médine : « Mon rap n’est pas religieux »

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La Parisienne

Un livre, un webdocumentaire, un EP et un album prévu pour 2013. En cette fin d’année, Médine a décidé de rimer avec multiple. Mais n’allez pas croire qu’il s’éparpille, ce florilège de projet a pour but de fractionner un seul et même slogan : « Don’t Panik ».

Tandis qu’il fête ses 10 ans de carrière cette année, le MC musulman a rasé sa barbe et gamberge sur les années où il a fait flipper la France. N’ayez donc crainte. Avant, Médine imposait. Aujourd’hui, il invite. Entretien.

 

Qu’est ce que le rap pour toi ?

Médine : Et bien je pense que c’est la meilleure solution pour pouvoir s’adresser à la jeunesse aujourd’hui, le truc le plus ludique et le moins rébarbatif pour faire passer des messages. C’est aussi l’art du pauvre parce que la frontière entre l’auditeur et l’auteur est vraiment très fine. Il suffit d’une feuille et d’un stylo pour écrire en rime et c’est à la portée de tout le monde. On peut très facilement devenir rappeur se mettre à écrire.

« Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant que j’allais être un rappeur engagé. »

Toi, tu as écrit ton premier texte à l’âge de 12 ans via ce que tu as appelé « un processus de filiation » entretenu par les grands frères parisiens comme NTM et IAM. Mais ton militantisme a-t-il été provoqué par un acte fondateur ?

Médine : Il n’y a vraiment pas d’élément déclencheur. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant que j’allais être un rappeur engagé. Je pense que je me suis tourné vers l’engagement au fur et à mesure de ma vie parce que les identités que je porte au fond de moi ont suscité de la peur en France et ont été inscrits au cœur du débat national. Je suis issu de l’immigration, issu des quartiers populaires, musulman et rappeur. Et toutes ces questions sont clairement des sujets traités fréquemment dans les médias. Plutôt que d’utiliser mon art pour exclusivement divertir les gens, j’avais envie de retranscrire ce que pouvait être un jeune issu de l’immigration, des quartiers et être en rupture avec tout ce qui pouvait se dire dans les médias. Donc c’est ma vie d’homme qui a pris un tournant. Je me suis conscientisé par rapport à mes idées. Et comme le rappeur a la prétention d’être l’artiste le plus en phase avec son quotidien – de ne pas trop romancer sa vie, de ne pas vendre du rêve, mon art s’est calqué sur ma vie d’homme.

Tu as commencé à être très provocateur au début de ta carrière avec des albums comme 11 septembre et Jihad dans le choix des titres et des pochettes. Aujourd’hui, penses-tu que les choses, telles que tu les as approchées, auraient pu paraître plus subtiles ?

Médine : Oui, c’est clairement la réflexion que je me suis faite car j’ai réajusté ma « stratégie » - si on peut appeler ça comme ça - de quelques degrés. Je sais que la provocation c’est une méthode – en tout cas c’est comme ça que je conçois le débat. En France, il y a des questions qui se posent trop longtemps et il faut s’en méfier. Des questions d’identité, ou liées au racisme, à l’intégration qui sont vielles d’une trentaine d’années et auxquelles on n’a toujours pas trouvé de réponse. Et seule la provocation peut accélérer le processus en vue de régler ce problème là. J’ai longtemps été dans une démarche très provocante et je le suis encore aujourd’hui à certains égards mais c’est vrai que la provocation peut rebuter certaines personnes et même renforcer certains préjugés chez des personnes qui ne veulent pas rentrer en profondeur dans mon projet, dans mon concept, dans ce que je propose. Donc j’ai réajusté mon discours et je me suis plus porté vers une stratégie qui ressemblerait à de la « dédramatisation satirique ». Et c’est pour ça que je trouve que le slogan « Don’t Panik » désamorce assez bien la situation. J’ai appelé mon album Jihad – le meilleur combat est contre soi-même, on a retenu que « Jihad ». On s‘arrêtait sur mes pochettes comme on s’arrête devant une femme voilée dans la rue. Quand j’appelle mon prochain album Don’t Panik et bien ça invite alors que Jihad, ça impose. Dont Panik c’est n’ayez pas peur, venez découvrir qui nous sommes réellement.

« On s‘arrêtait sur mes pochettes comme on s’arrête devant une femme voilée dans la rue. »

Tu dis une phrase dans le premier morceau « Biopic » de ton nouvel EP Made In (sorti le mois dernier, ndlr): « je me dois de rester droit ». D’où vient cette droiture à laquelle tu fais référence ?

Médine : Pour le dire vrai, ma religion me transmet un certain nombre de valeurs qui me permettent de faire une autocritique quotidienne. Et cette autocritique quotidienne, je la garde en tête. Parce que les fondements de ma vie repose sur des valeurs qui sont elles-mêmes fondamentalement religieuses. Bien sûr, le terme « religieux » fait peur en France. Pourtant ce sont des valeurs humanistes. Cette droiture que j’essaie d’avoir vis à vis de ma famille et de mes auditeurs et bien c’est la même droiture que peut avoir un athée-agnostique-métropolitain-blanc. Sauf que ma particularité, c’est que je puise mes valeurs dans ma foi.

Tu répètes aussi que le rap a un devoir d’éducation et tu essaie de conquérir des espaces habituellement fermés aux rappeurs (espaces de conférences, Science-Po…). Comment se concilient la forme et le fond dans ta démarche. Tu n’as pas peur de sacrifier la valeur artistique du rap en y accolant un discours qui pourrait paraître trop professoral ?

Médine : C’est ma phobie en fait. C’est ce vers quoi je n’ai pas envie d’arriver. Je n’ai pas envie que l’on me voit exclusivement comme un éducateur un peu rébarbatif  ou un donneur de leçons. Mais je n’ai pas envie non plus que l’on me voit uniquement comme un rappeur qui divertirait les gens. Le but de ma carrière est de rester dans l’entre-deux. Le challenge durant tout le long de ma carrière va être celui-ci : allier le fond et la forme. J’en suis conscient,  je le prends très au sérieux. Je n’ai pas envie de délaisser le rap pour le monde du militantisme.

La synthèse ou la symbiose se trouve peut être dans ton slogan « Don’t Panik ». Dans quel but le portes-tu ?

Médine : C’est quelque chose que je prends très au sérieux surtout depuis que j’ai appris que les thèmes du rap français pouvaient trouver un écho au-delà de ses frontières. Je pense au monde militant, au milieu associatif, au domaine intellectuel. C’est pour ça que j’ai fait un bouquin aujourd’hui et que je change de format. « Don’t Panik » c’est plus qu’un morceau ou qu’un t-shirt. J’ai vraiment envie de densifier, de donner la consistance à ce slogan. Voilà pourquoi j’ai écrit avec Pascal Boniface que le sous-titre de ce slogan c’est avant tout la lutte contre les préjugés. J’estime que l’on est dans un dialogue de sourds en ce qui concerne les questions identitaires. Car on se parle entre personnes qui ont des préjugés sur les uns et sur les autres. Et avant de rentrer dans un dialogue sain, il faut se défaire de ses étiquettes qui polluent le débat. Voilà « Don’t Panik » c’est avant tout un slogan qui vise à désamorcer les fausses représentations.

« Je n’ai pas envie de délaisser le rap pour le monde du militantisme »

Certains rappeurs t’ont reproché d’être trop « scolaire » et tu sembles leur répondre dans un morceau de ton dernier EP « Trash Talking » en disant : « que les cancres retournent à leur pupitre et leurs livres, qu’ils demandent pardon pour une décennie de mièvreries ». A qui cette phrase est précisément adressée ?

Médine : Premièrement, cette critique ne m’a pas touché mais je l’ai intégrée. Car c’est aussi ce que le public pensait. Nessbeal avait fait du populisme en disant : « ce que tu fais, c’est du rap de balance, tu ne fais que lire ce qu’il y a dans les bouquins et le resservir aux gens ». Ça ne m’a pas touché dans le sens où cette critique m’installait dans ce que j’avais envie d’être à savoir quelqu’un qui se documente, quelqu’un qui a un véritable bagage et qui ne raconte pas des conneries. Et je n’ai pas envie de mettre en avant mon propre vécu car il n’est pas si passionnant que ça. Je n’aime pas romancer ma vie. J’ai vraiment envie de traiter des vrais sujets d’actualité à la lumière des petites connaissances que j’emmagasine dans mon rapport livresque avec l’histoire, dans les petites conversations que j’ai avec des gens comme Pascal Boniface. Et de parler de cette critique de façon décomplexée - comme dans un morceau comme « 16 vérités » avec Sinik - montre que ça n’a aucune portée sur toi.

Deuxièmement, la phrase est adressée à une partie d’artistes mais aussi à une partie des auditeurs qui font la promotion de la non-qualité en disant « je fais du rap pour du rap. Je fais de l’art pour l’art. » Même si tu dis de la merde, dis-le bien met le dans une bonne musique, dans un bon contexte, dans un bon format. Et montre-moi que tu donnes de l’importance aux mots et aux termes. La phrase ne s’adresse pas à une catégorie de rappeurs qui font que du divertissement, du bling-bling et du ghetto. Non, il s’adresse à la catégorie de ceux qui sont soi-disant dans l’action mais font des morceaux de merde qui abrutissent la jeunesse.

Tu parles de démarche, de rapport livresque, de l’importance des mots…jusqu’où vas-tu pour pondre un titre ?

Médine : Je ne vais pas à la bibliothèque tous les jours déjà ! (rires) J’ai une une méthode un peu particulière par rapport à mes confères. De ce que je connais d’eux, ils écrivent des morceaux qui partent un peu dans tous les sens. Et puis, en fin de production, ils réunissent les morceaux les plus cohérents et donnent un titre à ce packaging. Moi, je travaille à l’envers. Je couche d’abord le titre général, j’en tire toutes les thématiques qui peuvent être en relation avec ce titre et je propose mes conclusions au beatmaker. Ça donne certes – pour reprendre le terme de Nessbeal – un côté très « scolaire » mais au final ça me permet de me documenter, de ne pas m’éparpiller et d’avoir un discours cohérent. C’est une méthode critiquable mais les gens qui suivent Médine aiment cette méthode-là.

Ton approche me fait penser à un autre Normand, Michel Onfray, qui donne des cours dans son université populaire de Caen : la contre-histoire de la philosophie. Avec des titres comme « 17 octobre » (en référence au massacre du 17 octobre 1961, ndlr), as-tu l’impression de faire toi aussi de la contre-histoire ?

Médine : Ça tue ce que tu dis mais si je devais apporter un regard sur ce qu’il se passe ou ce qu’il s’est passé, ce serait plutôt du complément d’histoire. Je peux le dire car un manuel scolaire comme celui de Fernand Nathan a repris ce morceau concernant le 17 octobre 1961 pour illustrer le fait historique. Malgré tout, l’Education nationale a intégré qu’il y a des artistes ou des gens qui n’étudient pas forcément l’histoire mais qui peuvent apporter un peu plus d’éclairages concernant un domaine. Maintenant, ce que tu me dis m’intéresse à fond et je crois que ça va être le titre d’un de mes prochains morceaux.

Tu prends également comme références Malcom X ou le général Massoud dont la démarche t’intéresse parce qu’elle vise l’internationalisation de leurs idées. J’aurais voulu savoir si dans une perspective européenne ou internationale, il y aurait des artistes avec qui tu voulais collaborer.

Médine : Bien sûr. J’y pense déjà. J’aime beaucoup la démarche d’Immortal Technique aux Etats-Unis qui n’est pas simplement un rappeur - il donne aussi pas mal de conférences et a une démarche militante. Cat Stevens aussi, qui quant à lui assume une position : celle de réunir les gens autour d’un message. J’espère pouvoir les réunir sur le prochain album, Don’t Panik.

 « Il y a des rappeurs français qui sont soi-disant dans l’action mais font des morceaux de merde qui abrutissent la jeunesse. »

J’imagine que tu as beaucoup voyagé. Dans tes déplacements ponctuels, aurais-tu vu un modèle de société qui selon toi serait l’exemple d’un bon brassage de culture ?

Médine : Bizarrement c’est dans les pays où il y a le moins de musulmans que j’ai vu un niveau de vie plus respirable (rires). Je ne dis pas que c’est parce qu’il y a moins de musulmans qu’il y a le moins de problèmes. Je dis que comme les questions liées à l’islam et à l’islamophobie  ne polluent pas le débat national, j’ai l’impression que personne ne se regarde avec un œil inquisiteur. J’ai fait quelques pays de l’Asie et je dois dire que c’est assez respirable. Ma femme vient du Laos, et je suis allé visiter son pays récemment. C’était très détendu.

Parce qu’il y a moins d’immigration tu penses ?

Médine : Peut-être. Mais là on est en train faire le jeu de ceux qui proclament les discours anti-immigrés. Il y a de l’immigration mais elle est essentiellement asiatique. Il y a beaucoup de Cambodgiens, de Thaïlandais : c’est de l’immigration frontalière ! Pourtant, ils arrivent à gérer ces flux-là et je trouve qu’il y règne un assez bon vivre. On m’a aussi beaucoup parlé de la Scandinavie. Je n’y suis jamais allé mais dans des pays comme la Norvège ou la Suède, il y a quand même un vivre ensemble intéressant. Là, j’ai lu un rapport qui révèle que ces pays-là sont les mieux notés en termes de mixité. Je suis curieux, j’aimerais bien aller voir par là-bas.

En même temps, il arrive un truc comme Anders Breivik

Médine : J’y pensais. Mais là ça devient paradoxal. Il n’y pas d’endroit où tout est bien, nickel. J’essaie de trouver le moins pire disons. Mais moi, tu sais, je me sens assez bien dans ma ville du Havre où justement on n’est pas hyper pollué par la gamberge qu’il peut y avoir dans la capitale. Au moment de l’affaire sur la burqa en France, moi j’ai vu arriver ça comme un OVNI dans la mesure où je n’avais pas vu une seule burqa dans ma ville. Et en fait, on avait l’impression de vivre l’actualité d’un autre pays. Bref, il y a une sorte de cordon sanitaire autour du Havre et j’en suis assez content.

Mais tu sais d’où ça vient, tu sais pourquoi ?

Médine : Non, je ne sais pas. Je me pose encore la question mais il y a un relationnel entre les gens qui est assez paisible. En tout cas, c’est un climat qui me rassure. Parce que c’est quand je voyage que je ressens une crispation au niveau de mes identités. Et j’aimerais que l’on regarde un peu plus vers le Havre et un peu moins vers la capitale. Ça pourrait être une solution. 

Retrouvez le portrait du rappeur sur le magazine de cafebabel.com : « Médine : la peur et l'argent du beur »

Photos © courtoisie de la page Facebook officielle de Médine ; Vidéos : medine/YouTube

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.