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#masmujeres : la suite du #metoo en Espagne

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Si l’Espagne a tardivement accueilli le mouvement #MeToo, de nouvelles voix s’élèvent dans le pays pour réclamer plus de femmes aux postes de direction et pour défier les règles du paraître.

#MASMUJERES (#PLUSDEFEMMES) : un message simple, clair et fort, en lettres capitales blanches sur des éventails rouges. Les artistes appelant à plus d’égalité dans l’industrie du cinéma les ont arborés sur le tapis rouge, à leur arrivée à la cérémonie des Goyas de l’Académie espagnole plus tôt ce mois-ci. Quand le mouvement #MeToo a brusquement débarqué en Europe l’année dernière, l’industrie du cinéma espagnol a maladroitement tenté d’imiter le ton vindicatif des Golden Globes. Flop total. Mais au lieu de disparaître, le mouvement pour l’égalité des sexes a fait son retour sur la scène espagnole cette année, avec un message national, fort et honnête.

La 33e cérémonie des Goyas - l’un des prix cinématographiques les plus prestigieux du monde hispanophone - s’est tenue à Madrid pour la seconde fois. L’édition de cette année a été une véritable avancée par rapport à 2018, boostée par le hashtag #MasMujeres, une version favorablement revisitée du #MeToo. Carmen et Lola, l’idylle lesbienne largement récompensée et mise sur un pied d’égalité avec le film Call Me by Your Name, a volé la vedette de la soirée. La cérémonie des Goyas 2019 a montré que la diversité au sein du cinéma espagnol n’est pas seulement une aspiration, mais qu’elle devient réalité.

Récompensé par les Goyas de la meilleure réalisatrice pour un premier film, et du meilleur second rôle féminin, Carmen et Lola raconte l’histoire de deux jeunes femmes de la communauté rom madrilène qui tombent amoureuses l'une de l'autre. Elles se retrouvent alors aux prises avec les codes et la répression de leur groupe. S'il ne s’agit que d’une fiction, elle possède une véritable vision documentaire. Le film a été tourné à petit budget et avec des acteurs en grande partie amateurs. D'ailleurs, les deux actrices principales sont elles-mêmes roms et ont connu des épreuves semblables à celles dépeintes dans le film.

La réalisatrice primée, Arantxa Echevarría, a dédié sa récompense à « celles et ceux incapables de se mettre dans la peau d’autres personnes, celles et ceux qui ne croient pas aux violences à caractère sexiste ». Une référence claire à Vox, parti politique d’extrême droite espagnol en pleine croissance. Ce parti est pour la première fois entré au Parlement régional d’Andalousie et a réclamé l’interdiction du mariage homosexuel ainsi que le retrait de la Loi de protection intégrale contre la violence de genre. Cette réglementation progressiste a été adoptée en Espagne en 2004 en réponse au nombre de cas élevé de violences faites aux femmes. « On peut mesurer la maturité d’une société à la place que les femmes y occupent », a déclaré Arantxa Echevarría dans son discours aux Goyas. Des mots qui n’étaient pas sans rappeler ceux de Michelle Obama, l’ancienne Première dame des États-Unis, lors d’un rassemblement politique d’Hillary Clinton à quelques semaines des élections présidentielles américaines de 2016. La chanteuse Ibeyi a elle aussi repris la citation de Michelle Obama dans son titre « Deathless » : « On évalue chaque société à la façon dont elle traite ses femmes et ses filles ».

Au cours de cette cérémonie des Goyas, l’élan d’émancipation des femmes a atteint son apogée quand l’actrice Eva Llorach, sacrée meilleur espoir féminin, a demandé l’aide du public dans la salle pour rejouer à l’espagnole ce qu’elle a appelé le « moment Frances ». Eva Llorach a été récompensée pour son rôle dans Quién te Cantará, l’histoire d’une chanteuse célèbre qui perd la mémoire et doit apprendre à retrouver sa voix. Eva Llorach a demandé à Penelope Cruz d’ouvrir la marche et de se lever, tout comme Frances MacDormand l’avait demandé à Meryl Streep. Toutes les femmes nominées aux Goyas se sont levées avec elle. 29 femmes étaient présentes dans la salle pour 113 hommes.

« C’est tellement difficile d’être une femme. Vous êtes si peu nombreuses. Je voudrais demander à tous les scénaristes, les créateurs, les producteurs et les actrices qui ont l’opportunité de financer leurs propres projets de créer des histoires avec des personnages féminins. En particulier des personnages aux âges où nous devenons invisibles, à partir de la quarantaine et plus tard, à la cinquantaine, à la soixantaine… Nous continuons d’exister, nous ne sommes pas rangées dans un placard. J’ai l’idée révolutionnaire que le cinéma peut changer les choses, qu’il peut mettre fin aux clichés qui nous écrasent. Je crois qu’à travers le cinéma, nous pouvons progressivement faire de ce monde un endroit plus juste et égalitaire», a déclaré Eva Llorach.

C’est la chanteuse de flamenco Rosalía, récompensée aux Grammy Awards, qui s’est chargée de l’interlude musical. Pour réaliser cette éblouissante prestation, l’artiste était accompagnée de la chorale classique professionnelle Cor Jove de l’Orfeó Català, pour une version remastérisée du classique du flamenco espagnol « Me quedo contigo », pour le moins innovante.

Une égalité qui va bien au-delà des femmes

Quand les femmes réclament l’égalité, c’est toute la société qui peut en bénéficier. Cette cérémonie des Goyas portait sur l’inclusion sociale dans un sens plus large, celle des groupes minoritaires en tous genres qui se sont auparavant sentis sous-représentés au sein de l’industrie cinématographique. Le prix du meilleur film a été décerné à Campeones (Champions), une comédie dramatique qui fait chaud au cœur et qui parle d’une équipe de basket-ball aux besoins particuliers.

« Quand nous avons commencé le tournage, certains les appelaient "les personnes handicapées" », a déclaré Javier Fesser, le réalisateur du film. « Puis il y a eu une évolution et on les a appelés "les personnes aux aptitudes différentes". Et maintenant, on a finalement trouvé un terme plus juste : celui de champions. » Jesús Vidal, philologue et diplômé d’un master en journalisme, a été sacré meilleur espoir masculin. L’acteur, qui ne voit qu’à 10% à un oeil, est devenu la première personne malvoyante à remporter un prix Goya. Jesús Vidal a commencé son émouvant discours de remerciements en disant : « Trois mots me viennent à l’esprit là maintenant, et ce sont : inclusion, diversité et visibilité ».

Lorsque la cérémonie des Goyas de 2018 avait voulu imiter celle des Golden Globes, cela n’avait rien donné. La condamnation des crimes d’Harvey Weinstein n’avait pas directement parlé au public espagnol et européen. Il fallait que le mouvement de protestation surmonte l’élément déclencheur original et qu’il aille plus loin : voir plus de femmes à des postes de direction, obtenir l’égalité salariale, mettre fin à la discrimination fondée sur l’âge, et transcender les règles de la beauté. Après une année historique pour les femmes en Espagne, cette cérémonie des Goyas a provoqué une levée de boucliers.

Le mouvement #MeToo espagnol de 2018 a connu trois étapes. Sa naissance a été largement célébrée dans la rue avec des rassemblements sans précédent lors de la journée du droit des femmes en mars. La colère de l’indignation s’est transformée en manifestations, suscitées par le jugement controversé du procès « la manada » (« la meute ») dans lequel plusieurs hommes ont violé une jeune femme lors des fêtes de San Fermín à Pampelune. Puis, le pays a connu une grande victoire quand le nouveau gouvernement socialiste est devenu le premier au monde à se targuer d’un conseil des ministres comptant plus de femmes que d’hommes.

Si nous avons quelque chose à retenir des Goyas 2019, c’est qu’on ne peut tout simplement pas copier-coller un mouvement social d’un pays à un autre, tout comme l’expression artistique ne s'imite pas. L’industrie cinématographique espagnole a trébuché sur le mouvement #MeToo en 2018. Mais cette année, nous avons assisté à une réponse espagnole claire et nationale à l’ère de l’émancipation des femmes dans le milieu du cinéma. L’Europe est en train de trouver sa propre voix, et nous pouvons attendre beaucoup plus du mouvement #MasMujeres dans les mois et les années à venir

Story by

Irene Benedicto

Irene is a journalist with 7 years of experience working in communications. She combines her freelance activity, writing for a broad range of national and international publications with her job as a press officer at La Caixa Foundation, where she manages the communications strategy for the international development projects. She was U.S. correspondent for Efe News (Agencia Efe), the largest news agency worldwide in the Spanish language, in Washington DC. She also works as an auditor at the fact-checking and verification agency VettNews, based in New York.

Translated from #MASMUJERES and the coming of age of Spanish cinema: Three films to watch