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Lyudmila Petrushevskaya : l’âme à l’oeil

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Culture

Dès le début, les histoires de cette renommée auteure russe donnent le ton : des phrases brèves, où les personnages, sortant soit d'une histoire de journal provincial soit d'un cauchemar sans fin, se retrouvent prisonnier d'un enfer à la suite d'une simple action, humaine et terrifiante

« Il était une fois une femme dont le fils s'était pendu. » « Il était une fois un père qui n'arrivait plus à trouver ses enfants. » « Il était une fois une femme si grosse, qu'elle ne rentrait dans aucun taxi et quand elle prenait le métro elle prenait toute la place dans l'ascenseur. » « Il était une fois une femme qui avait une fille appelée Gouttelette ; c'était un bébé aussi petit qu'une gouttelette, et elle ne grandit jamais. »

Avec ces premières lignes aussi sombres que captivantes, Lyudmila Petrushevskaya, auteure d' Il était une fois une femme qui essaya de tuer le nouveau-né de sa voisine, dévoile toute une série de fables modernes vacillant entre réalisme lugubre et un lumineux et troublant surréalisme. Tout comme dans Les Gens de Dublin de James Joyce publié en 1914, nous nous glissons à travers les rues et les voix, dans un nul part alcoolisé. Entre Moscou et la campagne, des vies s'éteignent dans des meurtres absurdes, des chats doués d'intelligence mâchouillent des corps humains et de petites âmes innocentes sont englouties dans un amour maternel étouffant et destructeur.

Dans l'une des nouvelles, la terreur véritable vient du fait que l'intrus « ne fait même pas attention. Cette personne n'essaye même plus de se cache »

Petrushevskaya répartie ses dix-neuf nouvelles sur quatre sections : « Chansons de l'Est Slave », « Allégories », « Histoires de Fée », et « Requiems ». Chaque nouvelle est courte et précise, dotée d'une structure minutieuse, et cependant aussi remplie de mutants asymétriques et malléables, à l'image des deux danseurs classiques qui se retrouvent, dans l'une des nouvelles, fusionnés l'un à l'autre en un seul corps. « Nina m'a invitée chez elle, et j'y ai vue d'étranges choses », une citation d'une des nouvelles. C'est avec ce genre de simple tour de phrase que Petrushevskaya dissèque les curieuses choses qu'elle offre à voir au lecteur, les laissant décider de ce qui est vrai, ce qui paraît vraiment étrange et ce qui est d'autant plus déformé par la perspective en miroir de foire de ses narrateurs. Dans la nouvelle Il y a Quelqu'un dans la Maison, la terreur véritable vient du fait que l'intrus « ne fait même pas attention. Cette personne n'essaye même plus de se cacher ».

Rongé d'inquiétude

Petrushevskaya est née à Moscou en 1938. Ses nouvelles sont publiées depuis des décennies, mais ce n’est que récemment que son travail a connu un succès critique international. On tenta de l'empêcher d'écrire durant l'époque soviétique, malgré le fait que son travail n'est que très peu politique au sens strict du terme. Sa perception des inquiétudes et de la cruauté insidieuse au sein des vies et des foyers russes n'allait de toute évidence pas de paire avec la volonté d'utopie socialiste de l’État. Malgré la désapprobation provenant des censeurs soviétiques et de la norme de l'époque, ses nouvelles sont désormais de fascinantes observations des divers degrés de vie quotidienne russe, où mythes pré-urbains se développent tels des cerceaux de vignes accrochés à des tours d'habitation urbaines. Comme un regard à travers un trou de serrure.

Comme le notent les traducteurs américains Keith Gessen et Anna Summers dans l'introduction de l'édition Penguin : « Tout comme Soljenitsynea révélé au mondel'intérieur des camps de prisonniers, Petrushevskaya a décrit pour la première fois l'appartement soviétique exigu d'une nuit de noce, le danger ne résidant non pas seulement dans l'échec sexuel mais également dans la possibilité que la belle-mère ivre ne fasse irruption. » La désolation interminable des nouvelles de Petrushevskaya, évoquant la cruauté absurde et insidieuse des personnages d'Edward Gorey (un univers indifférent, peuplé à égal mesure de bourreaux et d'imbéciles), peut amener à se poser la question de l’intérêt d'une telle lecture. Qu'est-ce qu'un lecteur pourra tirer de tout cela ? Mais son talent littéraire réside dans son habilité à rendre les rares moments d'espoir d'autant plus lumineux de par leur rareté, comme dans l'histoire de cette famille vivotant de peu de revenus, les larmes aux yeux et la faim au ventre, se nourrissant de champignons et de pissenlits, perdus dans leurs pensées. Les nouvelles de Petrushevskaya ont peut-être des intrigues dignes de cauchemars, mais elles laissent aussi la part au rêve.

Photos : une courtoisie de © Penguin; Texte: Lyudmila Petrushevskaya à "McNally Jackson book store" à New York, 2009 (cc) David Shankbone/ wikimedia/ David Shankbone official site

Translated from Book review: ‘There Once Lived A Woman Who Tried to Kill Her Neighbour’s Baby’ by Ludmilla Petrushevskaya