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L’underground de Sonic Youth en tournée en Europe

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Default profile picture David Fabre

Culture

En France depuis le 18 juin, l’exposition intitulée Sonic Youth etc. : sensational fix voyagera dans les musées européens jusqu’en 2009. L’occasion de se plonger dans les activités transdisciplinaires d'un groupe de rock expérimental et non conformiste.

Depuis le début des années 80, Thurston Moore, Kim Gordon, Lee Ranaldo et Steve Shelley ont su agréger une myriade d’artistes dans tous les domaines de l’art. Au rythme des convulsions de l’Amérique, le groupe a multiplié ses dédoublements et ses collaborations devenant une figure incontournable de l’underground américain. Sonic Youth, « c’était le seul groupe de l’histoire du rock à permettre de monter une exposition comme celle-là », affirment Corinne Diserens et Christophe Wavelet, coproducteurs de cet événement bientôt en tournée européenne.

Loin des grandes institutions d’art contemporain, le LIFE (Lieu International des Formes Émergentes) accueille donc les œuvres de Vito Aconci, Olivier Assayas, Glenn Branca, William S. Burroughs, John Cage, Allen Ginsberg, Dan Graham, Mike Kelley, Richard Kern, Jack Kerouac, Tony Oursler, Raymond Pettibon, Richard Prince, Gus van Sant, Leah Singer, Patti Smith, Jeff Wall… « Tous sont des artistes décisifs parce qu’ils partagent une même approche de l’art que les membres du groupe Sonic Youth », explique le commissaire de l’exposition Roland Groenenboom. Les travaux exposés coexistent et se répondent mutuellement dans un parcours entrecoupé de plages de bruit improvisé. « C’est une histoire alternative de la culture contemporaine qui s’esquisse », continue Roland Groenenboom.

(D.F)

Nés de la contre-culture américaine

Exposer la contre culture, c’est faire le pari de l’expression spontanée et vouloir abolir la hiérarchie entre fine arts et low arts. « Ressusciter le passé immédiat », dirait l’artiste américain Dan Graham. C’est aussi montrer le rejet des contraintes et des interdits, un refus d’aliénation et une recherche d’une paix extatique. L’expo Sonic Youth etc. : sensational fix donne à voir les héritiers des artistes de Haigh-Ashbury, Telegraph Avenue et Greenwich Village qui avaient entrouvert les portes de la perception, closes par le bain de sang du Vietnam et les meurtres commandités par Charles Manson… puis les règnes Reagan et Bush.

Ici donc, point de recherche d’une philosophie nouvelle, de rêves de communautés libérées et de discours idéologiques… mais un chaos, une instabilité, parfois juste une indignation. Comme une chanson de Sonic Youth : des mots et une musique taillée en pièces, toujours sensibles, forts et cinglants. « Des rythmes denses intensifiés en les accidentant et en les broyant, juxtaposés avec des morceaux d’ambiance façon bande-son (…), comme un modernisme expressif et brouillon », voilà comment Thurston Moore définissait le son Sonic Youth à la toute première conférence de presse du groupe en 1981. 27 ans plus tard, leurs expériences transdisciplinaires ont amené le groupe à mêler des lignes mélodiques de guitares saturées et un tourbillon de mots parlés et d’images.

De la poésie involontaire

(D.F)Dans l’œuvre de Sonic Youth, il y a une pulsion, un mouvement obsessionnel pour une musique sous tension. Cette « poésie involontaire » est proche du travail d’écriture de Jack Kerouac, à mi-chemin d’un art hallucinatoire et de la réalité du monde. La dérive puis l’extase : « La rue sans joie », « l’aube blafarde des clochards », « les épaves des bas-fonds de l’Amérique » (Sur la Route, 1957). L’exposition est une fuite en avant dans un pays qui s’est bâti en repoussant ses frontières et qui étouffe dans ses limites sociales et morales.

À parcourir les six chapitres de l’exposition qui renvoient chacun à des chansons de Sonic Youth, on pense aussi à la poésie d’Allen Ginsberg, dont le portrait cinématographique réalisé en 1994 par Jerry Aronson est projeté. Tout particulièrement à son poème Howl, cri de défi frénétique lancé à l’Amérique matérialiste, oraison funèbre d’une nation qui a trahi ses idéaux. « J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, affamés, hystériques nus, se traînant à l’aube dans les rues nègres à la recherche d’une furieuse piqûre ». « An angry fix » que Sonic Youth veut sensationnel.

Pervertir une société du conformisme

Les dialogues artistiques proposés dessinent une carte des États-Unis. Selon Corinne Diserens et Christophe Wavelet : « On est loin des clichés de la culture made in USA. C’est plutôt une libre géographie sans carte établie que l’exposition dessine à sa manière, synonyme de liberté, parfois délibérément errante, où surgit progressivement le visage d’une autre Amérique, capable de dialoguer avec certaines scènes de l’art surgies en différents lieux du monde. » Une jam session, un grand collage loufoque et déroutant, d’un lyrisme parfois désespéré mais d’une insolence souvent absurde et drôle.

Ces œuvres explorent l'identité de soi, les fractures intimes, extrapolations imaginaires qui se brisent sur l'histoire. La poésie cinématographique abstraite de Gus van Sant parle tant de la déshumanisation de l'univers industriel que de la frontière entre personnages réels et personnages fictifs. En 2005, Last Days lui permettait d'achever une trilogie expérimentale par les déambulations d'un héros esseulé, perdu, aux sentiments insaisissables, abandonné de tous et inconnu de personnes. Derniers jours d'un déjà mort, mélopée funèbre et errance suicidaire d'une idole du Nord-Ouest des États-Unis. Ombre éclatante de la contre-culture, l'icône émoussée attendait la délivrance, le nirvana. Kim Gordon, membre de Sonic Youth, jouait alors le rôle d'un manager reprochant au héros d'être un « rock'n roll cliché » tandis que Thurston Moore, ami et mentor de Kurt Cobain, était le conseiller musical du film.

Des photographies de Jeff Wall aux Nurses du peintre Richard Prince, une Amérique des paradoxes se dévoile. A la fois tragi-comique, chimérique et parfois repoussante, déviante et interlope. L’artiste Mike Kelley par exemple, recherche les limites d’un art désenchanté, crasseux et vulgaire. Une régression, une perversion, pour mieux déféquer la société conformiste bien pensante nord américaine. Cette exposition est une révolte et une soif absolue d’ivresse et de passion loin de la pensée compromise et formatée.

Au LIFE de Saint-Nazaire (France) du 18 juin au dimanche 7 septembre 2008. L’exposition partira ensuite au Museion de Bolzano (Italie) du 10 octobre 2008 au 4 janvier 2009, au Kunsthalle Museum de Düsseldorf (Allemagne) du 31 janvier au 26 avril 2009. A suivre : Musée de Malmö (Suède), Etats-Unis et Mexique.

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