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L'opinion publique en débat, analyse d’un intellectuel français

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La Parisienne

Lundi soir, c’est Jacques Julliard, journaliste et historien, qui a pris la parole. Pour nous parler de quoi ? D’un sujet très tendance : l’opinion publique. Pourquoi ? Parce qu’il a écrit un livre sur le sujet, « La Reine du monde ».

Et aussi parce qu’il pense qu’on avance d’une démocratie représentative à une démocratie d’opinion… cela ne m’étonnerait pas que l’expression « démocratie participative » ait effleuré l’esprit d’une bonne partie du public !

Prudent, Jacques Julliard commence par mettre les choses au clair : « ne me faites pas dire que je célèbrerais la mort du système représentatif, comme je l’ai lu dans le plusieurs critiques. » Non, il estime que le changement dépasse la préférence de l’un ou de l’autre des systèmes.

Il va donc nous montrer comment l’opinion publique bouscule trois piliers de la démocratie représentative : le suffrage universel, le Parlement et les partis politiques. Selon Jacques Julliard, l’opinion publique est en train de prendre une place que les institutions ne lui reconnaissent pas.

Le déclic du référendum de 2005

En mai 2005, nous nous sommes prononcés par référendum sur le projet de traité constitutionnel européen. Chacun se souvient sans doute du résultat. Jacques Julliard avait, à l’époque, écrit plusieurs articles engagés en faveur de l’Europe. Il a dit son étonnement d’avoir été pris à partie avec autant d’intensité et de quantité (il précise aussi avoir gardé tous les messages, par souci d’historien). Les lecteurs lui ont dit : « Vous ne nous respectez pas ». Ils étaient donc frustrés de ne pouvoir s’exprimer alors même qu’ils étaient invités à se prononcer par référendum, analyse Jacques Julliard. Et de se tourner vers Elizabeth Guigou, qui animait le débat avec Jean-Noël Jeanneney : « Vous c’est tout ». Les lecteurs ont reproché aux médias d’être de plus en plus séparés mais aussi à la classe politique. Plus tard, Elizabeth Guigou estimera que si les partis politiques ne se remettent pratiquement pas en question, les médias le fond encore moins.

Peut-il rester ?

Voilà la question qui revient comme un leitmotiv ces derniers jours. Les médias publient des sondages et posent cette question alors que, explique Jacques Julliard, du point de vue institutionnel, il ne s’est rien passé. Le président devient responsable devant les sondages comme le Premier ministre l’est devant le Parlement.

La France n’est pas championne du monde du temps de grève, et non !

Jacques Julliard souligne le fait que les grèves n’ont plus pour but de faire céder un patron mais de faire appel à l’opinion publique. Aussi on assiste à une multiplication des grèves d’avertissement, des grèves de vingt-quatre heures. C’est pourquoi les Français ont l’impression qu’il y a beaucoup de jours de grèves alors que les statistiques montrent que c’est loin d’être le cas, par rapport à nos voisins européens.

Jacques Julliard pointe aussi du doigt le fait que les grèves sont de plus en plus visuelles. On fait défiler des cercueils pour symboliser ce qu’on a peur de perdre. L’image est forte, elle peut passer au journal de vingt heures et alerter l’opinion publique.

L’opinion publique est-elle assez fiable ?

Si le décompte des voix du système démocratique est incontestable, les résultats d’un sondage le sont tout de suite beaucoup moins…Qui plus est, l’opinion est très forte quand elle parle de ce qu’elle connaît – la baisse du pouvoir d’achat que nous vivons tous – mais bien moins sur la question de la bombe nucléaire en Iran, par exemple.

Jacques Julliard avance alors qu’il faut certainement beaucoup se méfier de l’opinion. Ceci dit, qu’on s’en méfie ou pas, elle sera toujours là. Et c’est tant mieux, selon lui, puisqu’elle reflète un désir de participation. Aussi, plutôt que de s’en effaroucher, il faut en tirer les conséquences.

Et puis au dix-neuvième siècle, les adversaires du suffrage universel avançaient des arguments curieusement similaires : le vote sera trop émotionnel, versatile et mal informé. Tiens, donc !

« Je ne vous cache pas que j’ai beaucoup appuyé la candidature de Ségolène Royal car je crois qu’il faut associer les citoyens à l’élaboration de la loi », conclut Jacques Julliard. Même s’il regrette que la socialiste s’obstine à utiliser le terme « jury » (jury populaire) qu’il trouve mal approprié.

De la démocratie représentative à la démocratie d’opinion, donc ? Nos amis anglo-saxons diraient peut-être que nous n’avons pas tout à fait adopté le système représentatif, concède toutefois Jacques Julliard. Et ils n’auraient pas tort, estime-t-il.

Compte-rendu réalisé par Haude-Marie Thomas