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L'Europe au pied du mur

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Strasbourg

Par Guillaume Ferrand

On les pensait voués à la disparition. Pourtant, les murs-frontières se maintiennent et se renforcent dans plusieurs pays. Initialement, érigés pour préserver la paix et la sécurité, ils ne font souvent que perpétuer des conflits et des injustices.

Outre les exemples connus entre le Mexique et les Etats-Unis, entre Israël et Palestine ou entre les deux Corées, ils existent encore en Europe. Mais on préfère les passer sous silence et y célébrer la Chute du Mur de Berlin, qui n’en finit plus de faire l’actualité depuis sa disparition.

De l’actualité du mois de mars, isolons deux informations, deux lieux : Berlin et Chypre. D’un point de vue politico-économique, on le sait, l’un use (abuse ?) de son influence sur l’autre. En analysant les choses un peu plus en profondeur, il peut sembler ironique que Berlin (la ville à proprement parler) soit largement endettée. Pour remédier à cela, la municipalité allemande cherche des investisseurs pour rentabiliser de nouvelles et luxueuses infrastructures. Pour la construction de celles-ci, le maire n’hésiterait pas à sacrifier quelques pans de son histoire, à savoir l’un des plus grands tronçons restant du Mur (l’East Side Gallery, véritable galerie d’art à ciel ouvert), encore fièrement érigé en guise de mémorial, faisant bel et bien partie intégrante de la ville ; et pour cause, le site est classé monument historique depuis 1992. Cette décision n’a évidemment pas fait que des émules et nombreux sont les Berlinois à s’en être indignés. L’ironie prend encore un peu plus de sens lorsque, au regard de l’actualité, on se rend compte que l’île de Chypre est elle-même traversée par un mur et que Nicosie est la seule capitale au monde qui soit encore coupée en deux depuis la chute du Mur de Berlin. Or, récemment Prix Nobel de la Paix et forte du passé allemand, il peut sembler étrange que l’Union européenne ne fasse qu’imposer un joug économique et financier sur l’un de ses pays membres, fut-il en crise, sans se soucier davantage de cette situation. L’occasion pour nous de faire un rapide état des lieux de ces murs qui existent encore en Europe, et qui, pourtant n’ont pas le même pouvoir touristique et médiatique que feu celui de Berlin. On distingue deux types de murs : ceux qui, à l’inverse du Mur de Berlin, servent à stopper non pas l’émigration mais l’immigration, comme c’est le cas à Ceuta et Melilla (cf. ci-dessous), et ceux qui servent à délimiter et/ou séparer deux territoires ou communautés en conflits, comme à Chypre ou en Irlande du Nord.

AUX PORTES DE L’EUROPE, CEUTA ET MELILLA

D’un point de vue politique (et historique), elles appartiennent à l’Espagne, d’un point de vue géographique, au Maroc. Rabat les considère d’ailleurs comme villes occupées. Cette situation alimente en permanence le conflit hispano-marocain, et concerne, par conséquent, l’Union européenne. Ceuta et Melilla (respectivement 19 et 12km², 70 000 habitant à elles deux), deux « villes autonomes » sont enclavées sur la côte méditerranéenne et constituent les seules frontières terrestres qui existent entre l’Union européenne et l’Afrique. Portes d’entrée sur le Vieux continent et l’espace Schengen, elles sont entourées d’un dispositif imposant : outre les classiques barbelés, ce sont des tours de guet, détecteurs de mouvements et autres caméras infrarouges qui permettent à la « Guardia Civil » (soldats espagnols et marocains) de surveiller les frontières... En 2005, plusieurs clandestins y sont morts, ce qui a fait revenir sur le devant de la scène les débats sur la politique d’asile et d’immigration menée par l’Europe (cf. archives et documentation sur http://lci.tf1.fr/monde/2005-10/melilla-ceuta-forteresses-europeennes-assiegees-4901489.html, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/d000478-ceuta-et-melilla.-villes-espagnoles-ou-dernieres-colonies-en-afrique-par-yves-zurlo/article ou http://www.france24.com/fr/20080513-reportage-espagne-maroc-immigrant-clandestin-douane-ceuta-melilla). Loin de renoncer à l’assouplissement de sa politique, l’Europe a eu pour réaction de surélever et renforcer les fortifications, les rendant plus sécuritaires mais également plus impénétrables. L’espace Schengen reste ainsi bien protégé, malgré les assauts toujours plus nombreux et toujours plus massifs de migrants en quête d’El Dorado.

CHYPRE, LA LIGNE VERTE *

La « ligne verte », zone démilitarisée et contrôlée par les casques bleus, sépare depuis 1974 la partie turque de la partie grecque. Bien que l’ensemble du territoire de Chypre fasse en droit partie de l’UE, seule la partie grecque, au sud, communément appelée République de Chypre, est internationalement reconnue.

Le nom « la ligne verte » provient d’un simple tracé au crayon – vert, donc – qu’un général anglais aurait fait sur une carte en 1964 (Chypre a été une colonie britannique jusqu’en 1960), alors que des tensions entre les populations du Nord et du Sud se faisaient déjà ressentir.

Le parallèle avec Berlin est d’autant plus tenace que depuis 2003 les autorités turques ont ouvert plusieurs points de passage, dont le plus important est celui de la rue Ledra à Nicosie, qui permettent aujourd’hui de timides échanges entre les deux zones. Cette annonce n’a pas suscité la même ferveur que celle qu’a connue Berlin, ni sur l’île elle-même, ni au sein de la communauté internationale à en croire cet article de Libération paru à l’époque.

L’entrée de Chypre dans l’Union européenne a cependant permis à des villages entiers de vivre à l’intérieur de la zone tampon et d’y développer diverses activités, telles que l’agriculture, désormais subventionnée par la PAC. Depuis 2004, année d’adhésion à l’UE, cette zone a en effet été en grande partie déminée par l’ONU, rendant ainsi une partie de ce no man’s land aux civils, qu’ils appartiennent à la communauté grecque ou turque. Cependant, ces communautés peuvent vivre en bonne intelligence en dehors de cette zone. Ainsi, le village de Pyla qui se trouve en zone grecque, est par exemple connu pour être le seul à Chypre où Grecs et Turcs vivent côte à côte L’urbanisation et le développement de Nicosie ou du village de Pyla, liés à l’adhésion à l’Union européenne, à la crise actuelle et aux résolutions de l’ONU (cf. Plan Annan), tendront-ils, à terme, à unifier l’île entière et les générations futures ? Ce processus, qui demeure fragile, dépend maintenant des volontés politiques.

BELFAST, LES MURS DE LA PAIX

Alors que le 9 novembre 2009, des dizaines de milliers de personnes fêtaient le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, les jeunes de Belfast se demandaient jusque quand tiendraient leurs murs. Murs qui, affirmaient les autorités de l’époque, étaient censés n’être que provisoires. Erigés en 1969, les « murs de la paix » (pour ne pas parler de murs de la honte) désignent une série de lignes de séparation construites à Belfast, en guise de réponse aux violences entre les quartiers catholiques et les quartiers protestants (ou unionistes et indépendantistes) qui sévissaient durant le conflit nord-irlandais. Bien que ces « Troubles » soient officiellement terminés depuis 1997, les murs figurent encore parmi les incontournables dans les guides touristiques : comme à Berlin, ils sont chargés d’histoire et abondamment peints. Selon les décomptes, ils seraient aujourd’hui entre 80 et 100, soit plus nombreux que depuis les accords de paix. Le dernier d’entre eux a été construit en 2007, suite à un acte isolé parvenu quelques mois plus tôt. C’est alors la cour d’une école primaire, fréquentée aussi bien par des élèves issus de familles catholiques que protestantes, qui a fait office de zone tampon. Ce réflexe sécuritaire montre que le traumatisme est encore présent en Irlande du Nord, et que les habitants se sont habitués à la ségrégation. Un moyen, finalement, de se sentir en sécurité, à défaut de véritable paix. De minces brèches sont ouvertes afin de libérer le passage, mais refermées sitôt le week-end venu, afin de contenir les débordements. Cette situation ne fait qu’entretenir l’instinct grégaire et certains habitants de Belfast affirment même qu’il est plus dangereux de vivre à côté d’un mur que partout ailleurs en Irlande du Nord... Les solutions deviennent alors problème.

Toujours en se basant sur l’actualité sachons que le mur qui divise la Corée depuis 60 ans est celui qui s’apparente le plus au rideau de fer, dans la mesure où cette zone démilitarisée de quatre kilomètres de large divise un état capitaliste d’un état communiste et autoritaire. Ajoutons à cela les menaces belliqueuses, et les similitudes sont d’autant plus flagrantes. Ironie toujours – voire, dans ce cas, pure hypocrisie – puisque la ville de Séoul, à l’instar d’une centaine de villes dans le monde, dont Strasbourg (dans le quartier du Conseil de l’Europe), détient un petit bout du Mur de Berlin...

Qui veut pousser la réflexion un peu plus loin et ouvrir le débat peut se demander si, dans notre monde globalisé, l’exemple de la chute du Mur de Berlin est encore viable. Pour plus d’informations, il existe ce site, spécialement dédié http://www.lesmurs.org/ ou encore ce dossier spécial, réalisé par le quotidien québécois La Presse. Un diaporama est également accessible ici.

Photo : Lucie Dupin Belfast, 2008

) Plus d’infos à ce sujet sur http://echogeo.revues.org/12655