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L’Europe à la recherche d’elle-même

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La Parisienne

Paralysie économique, constitutionnelle… L’Europe traverse une période difficile. L’essai d’Elie Barnavie,  L’Europe frigide,  revient quant à lui sur un problème de fond de l’Union : sa crise identitaire.

sad day foe europe« Comprendre la nature du problème, c’est déjà la moitié de la solution ». Telle est l’ambition d’Elie Barnavi, vis à vis de la question du blocage européen. Fort d’un regard tout à la fois extérieur (l'auteur est Israélien) et intime (son expérience dans la diplomatie européenne, et ses connaissances d’historien), il se veut franc et libre. Le titre (« L’Europe frigide ») comme le style sont en effet percutants. Tout en mettant en avant le mérite de l’expérience européenne et ses réussites, il pointe ses tares sans détour. L’Union semble aveugle, bien plus que frigide : elle ne voit pas ce qu’expriment les refus français et irlandais aux referendums. Au delà des raisons plus ou moins justifiées de ces refus, ils sont des faits qui ne peuvent être contournés, ou traités avec mépris. Ils sont l’expression de l’inadéquation du projet européen, de son impasse actuelle. L’idée principale de l’ouvrage est que cette impasse est de l’ordre du culturel. L’Europe comme communauté regroupant des Etats différents et autonomes, doit fédérer autour d’une Histoire réappropriée, d’une culture commune, de symboles forts. La mystique européenne est à réinventer.

Redéfinir l’identité européenne

Mais pour cela il faut connaître et être conscient de sa propre identité. Or le flou autour des questions de frontières, d’adhésions et de possibles candidatures montre combien l’Europe se méconnaît. Dans une peinture (trop) rapide des grandes périodes qui ont façonné le continent, sont retenus l’influence successive de la Grèce pour son introduction de l’art, philosophie et la politique, de Rome et l’invention de droit et de la citoyenneté, des barbares et leur hiérarchie féodale basée sur une contrat et enfin de l’Eglise, notamment pour son souci de la transmission du savoir. Est ainsi mis fin à la polémique des racines chrétiennes de l’Union. « Intelligemment conçue, une pédagogie de l’Europe peut et doit être inclusive sans être exclusive ». Assumer cette part d’Histoire n’est donc ni revenir sur la laïcité ni aliéner les fils d’immigrés devenus Français. Dans le cadre de cette longue Histoire, des valeurs européennes sont nées : le primât de la rationalité (le célèbre « ose penser » des Lumières), la laïcité, la solidarité et, fortement liée à elle, l’égalité. Avec tout ce que cela pose comme problème de concurrence, notamment entre égalité et liberté comme l’a si bien montré Tocqueville. Mais jusque là rien de nouveau, si ce n’est le rappel clair de ces valeurs.

L’élargissement sans introspection est une grave erreur 

Plus intéressant est le refus de l’auteur d’admettre la diversité comme valeur et de la réduire à un simple fait. La diversité, c’est justement le contraire de l’union qui doit être au cœur de la pédagogie européenne. « Ce dont les européens ont besoin n’est pas tant qu’on exalte ce qui fait leur différence, mais qu’on leur révèle ce qu’ils ont en commun ». Une fois connues et reconnues son histoire mais aussi sa géographie, l’Europe doit oser poser des limites strictes à son extension. Pour Elie Barnavie, l’Europe c’est ni la Russie, ni la Turquie envers qui on a fait preuve d’irresponsabilité en acceptant l’impossible candidature. L’élargissement sans introspection est une grave erreur ; aller dans ce sens, « les valeurs de l’Europe ayant vocation à embrasser le monde, c’est condamner l’Europe politique à mort » et l’abandonner au Traité de Rome. La simple proximité ne doit pas engendrer des adhésions mais des coopérations à géométrie varaible. Ainsi définie, territorialement comme identitairement, l’Europe doit absolument s’assumer comme telle.

Retrouver la confiance en soi, et agir

Sur le sol, cela veut dire considérer l’immigration comme un contrat à obligations mutuelles. Et de la part de l’immigrant, le respect des valeurs européennes. Le modèle multiculturaliste à l’anglo-saxonne a faillit dans sa prétention d’intégration et doit être revu pour établir un « seuil de tolérance », selon l’expression mitterrandienne. Prendre confiance en soi, c’est aussi cesser le laisser-faire entre les Etats de l’Union : l’auteur insiste sur l’idée qu’elle est actuellement comme un club sans règle. Pour des impératifs de cohérence et de bon fonctionnement, l’Europe doit faire respecter des règles strictes et sanctionner réellement les écarts. Aujourd’hui sa passivité est réduite à une attitude absurde : « on lui crache à la figure, elle constate avec un sourire contrit qu’il pleut ». Pour y remédier, l’auteur propose un système d’exclusion temporaire. Pour une fois l’idée est osée, au moins sur le papier. Sur une plus petite échelle, s’assumer c’est enfin agir de façon claire et concertée sur la scène internationale.

Dépasser le repentir colonial et agir responsablement

Reprenant des arguments en vogue, Elie Barnavie critique avec virulence une Europe devenue « culture de l’auto flagellation ». Dépasser le repentir colonial et agir responsablement, telle est bien plutôt l’exhortation. Sans tomber dans un néocolonialisme douteux, il est possible de porter des projets de développements ciblés, pensés sur l’amont comme sur l’aval, et dans le respect de l’intégrité et autonomie des pays. L’Europe s’illusionne quant à sa particularité dans les règlements internationaux. Et sa lutte contre l’unilatéralisme à l’américaine n’est pour l’essayiste que la marque de sa faiblesse, de sa propre impossibilité d’être sur le devant de la scène. Or ce retour de l’Europe parait envisageable, sous réserve de discipline, dans une période où l’Amérique, « Atlas fatigué », est en crise. L’urgence est donc le rétablissement d’une Europe de la défense, qui dépasse les intérêts étatiques, pour parler fort et d’une seule voix : « une Europe qui agit sur la scène internationale en ordre dispersé est une Europe qui ne compte pas ». Le fiasco de la réponse à la guerre en Irak en est la preuve criante.

Un livre qui manque d’ambition

A travers cette succession d’observations, on cerne bien le projet d’Elie Barnavie : faire preuve de pédagogie et analyser point par point la crise identitaire européenne. C’est ce qui fait à la fois son intérêt et sa faiblesse. En effet, le problème est si large, complexe, que la pertinence de son livre est entravée par son traitement rapide. Parfois, le tableau global frise la caricature ; comme quand il dresse le portrait d’une économie mondialisée et sauvage : « ces traders survoltés, shootés à la coke, qui jouent à la finance sur leur écran d’ordinateur comme nos enfants à la guerre sans savoir ce qu’ils font ». L’art de la formule a son revers… Ne peut-on pas éveiller la conscience du lecteur contemporain autrement que par une langue vague et provocante ? Et est-ce que celui ci ne peut pas lire un essai de plus de 150 pages ? 

Crédit photo : Tiago Menezes/FlickR

Alice Lemaire