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L’eurogénération : pourquoi faire ?

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Le zinc de l'Europe

Aujourd’hui, on est le 9 mai 2008, et si mes calculs sont bons, ça doit faire 58 ans que Robert Schuman a sorti de son chapeau sa fameuse déclaration demandant la création d’une Europe du charbon et de l’acier. Je vais pas vous infliger un cours sur la construction européenne, le reste appartient à l’histoire, comme disent les footballeurs.

Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Au-delà des institutions et des politiques communes, certains identifient une « eurogénération », une sorte d’ homo europeus qui personnifierait l’idéal des pères fondateurs de créer une unité d’esprit entre les peuples du continent. C’est la génération Erasmus, celle de ceux qui ont eu la chance de vivre l’Europe réelle, d’expérimenter la différence culturelle, le multilinguisme. Mais aussi parfois la distance, l’angoisse et l’incompréhension.

Beaucoup pensent que cette eurogénération, c’est un peu l’assurance-vie de Union. En permettant à des jeunes de vivre une expérience « transnationale », on crée un attachement personnel à l’idée européenne. C’est très beau. Mais c’est à double tranchant.

Aujourd’hui, l’ homo europeus est à la croisée des chemins. Parce que vous ne vous en rendez peut être pas compte, alors que nous luttons tous pour obtenir de simples stages, alors que certains parviennent enfin à arracher leurs premiers emplois stables, mais notre génération est en train d’arriver aux affaires. Et là, il va falloir se poser LA question : l’eurogénération, pour quoi faire ?

Parce que partir une, voire plusieurs années à l’étranger, apprendre plusieurs langues, garder des amis dans tous les pays du monde, si c’est pour ne rien en faire à la fin, et bien il valait mieux rester chez soi ! Se contenter de ce qu’on a accompli, se complaire dans l’illusion d’appartenir à une sorte d’élite européenne et multiculturelle, ce serait trahir l’idéal qui nous a amené là où nous sommes.

Moi, je crois que cette eurogénération a la capacité d’inventer un nouveau langage et de nouveaux modes de communications. Je crois qu’elle sera capable de dépasser cette opposition stérile entre une supposée élite pro-européenne mondialisée et des opinions publiques qu’on maintient de force dans leurs vieilles représentations nationales. Je crois qu’elle apportera l’Europe réelle, partout et pour tous.

Je viens de relire cette fameuse déclaration Schuman. Elle est d’une incroyable brièveté. Parce qu’elle est habitée par un sentiment d’urgence. Dans la deuxième partie du texte, le mot « immédiatement » revient deux fois. Le message est clair : l’Europe c’est maintenant !

Le problème qu’on a avec l’Europe, et qui s’est révélé avec les divers référendums, c’est pas qu’on n’en parle pas, on en parle tout le temps ! Le problème, c’est que le débat est complètement asymétrique. D’un côté, ceux qui ont compris que les institutions communautaires existent bel et bien, et qui réfléchissent à la mise en place de politiques communes efficaces. De l’autre, ceux qui sont encore en train de se demander si on doit faire l’Europe ou non…

C’est la grande mode en ce moment de gloser à n’en plus finir sur l’émergence d’une opinion publique européenne. Le truc, c’est que je vois pas comment on va pouvoir créer une opinion publique sans opinion ! Qu’est-ce qu’on propose, quelles sont les idées, quels sont les forces en présence ?

Et c’est là que notre « eurogénération » entre en scène. Nous devons maintenant mettre de la politique en Europe. Mais pas au sens que l’entendent Nicolas Sarkozy et d’autres leaders populistes. Mettre de la politique en Europe ce n’est pas transposer les divisions nationales à Bruxelles. C’est mettre en valeur d’autres débats, d’autres oppositions, et les exposer publiquement. Faut-il limiter les subventions agricoles ? Faut-il durcir les objectifs d’émission de gaz à effet de serre ? Faut-il supprimer la politique régionale ? Toutes ces questions, et d’autres, nous devons les aborder frontalement, quitte à inquiéter, quitte à opposer.

Donc, conclusion, on arrête les discours Bisounours à base de « l’union des peuples européens », on arrête de dire que l’Europe c’est l’avenir et on se met à parler Marché intérieur, droit de la concurrence et politique du consommateur. En ces temps d’inquiétude sur le pouvoir d’achat c’est peut être pas une mauvaise idée… Surtout, on arrête de croire que le langage d’expert c’est ce qui rend les institutions européennes crédibles. On simplifie ! Et tant pis si on fait des approximations, de toute façon si c’est pas nous, ce seront les anti-européens qui le feront ! L’ « eurogénération », ce sera la génération d’une Europe enfin décomplexée.

Il y a très longtemps, dans une vie antérieure, quelqu'un m’a dit dans un TGV Lille-Paris : « Vous les gars de l’Europe, vous vous dites que, de toute façon, en France personne n’y comprend rien. Alors vous vous cassez tous à Bruxelles, et résultat en France on y comprend toujours rien ». Imparable. J’ai toujours rien trouvé à répondre à ça…