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Les villages-Rroms, entre rêve politique et réalité sociale

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SociétéPolitique

Quatre ans après leur création en France, les « villages d’insertion » sont aujourd’hui présentés comme le « paradis des Rroms ». Les associations européennes de défense des minorités sont toutefois beaucoup plus sceptiques quant à leur bienfait. Et continuent d’exposer les déboires de la communauté la plus discriminée d’Europe.

Une clôture, des préfabriqués, des vigiles et du gravier. Tout ça au bord d’un périphérique dionysien (Seine St-Denis) situé aux abords de Paris, dans la commune d’Aubervilliers. A fortiori, on se dit que l’on nous garde un secret. Un secret qui permet à 13 fratries de vivoter depuis quatre ans dans des trois-pièces aménagés. Affranchis des caravansérails et autres campements de fortune, des Rroms prospèrent dans un « village d’insertion », un lieu protégé par un maître chien... Financé et soutenu par les pouvoirs publics ! Rêve ou réalité ?

Un havre de paix 

Problème, seules 13 familles y sont accueillies... Un pis-aller

A lire aussi : Le voyage forcé des Rroms de Saint-Denis, sur la Parisienne, le blog de Paris de cafebabel.com

Tout commence par un brasier. En décembre 2007, suite à un incendie qui a ravagé un bidonville à Aubervilliers, la préfecture de Paris a érigé un « village d’insertion ». Géré par les associations Pactarim 93 et ALJ 93, ce site a pour but d’accompagner des familles de Rroms en vue de l’obtention d’un emploi, préalable indispensable à l’acquisition du sésame : le titre de séjour. « Il y a eu une volonté du maire et du sous-préfet de Paris pour construire un centre capable de déboucher vers la régularisation et la scolarisation de plusieurs fratries », précise Nabil Bendami, chargé de développement économique au sein des villages d'insertion et membre de l’Association Logement Jeune 93. Loin de l’insalubrité des bidonvilles, Aubervilliers semble bel et bien symboliser un havre de paix pour les Rroms qui y séjournent.

Un diagnostic social pour filtrer les demandes

Pour eux, c'est retour au bidonville. Le fossé entre les deux situations est profondSeul hic, pour bénéficier du relatif confort de ce village aménagé, il faut savoir se conformer aux critères sociaux que les pouvoirs publics ont établis. Obligation de promesse à l’embauche, obligation de scolarisation des enfants sont autant de points que les associations, mandatées par la préfecture, doivent prendre en compte pour évaluer l’aptitude de chaque famille à s’intégrer. Un diagnostic social qui a l’avantage de filtrer les requêtes. Et si certains chanceux peuvent jouir d’un toit convenable, les autres familles « filtrées » seront priées de rentrer au pays ou de rejoindre les bidonvilles précaires de la périphérie parisienne.

Les villages qui cachent la forêt

« Les gens ne connaissent pas les Rroms. Et malheureusement, ils ont automatiquement peur de ce qu’ils ignorent. »

Si ce n’est pas la panacée, ce dispositif qui compte aujourd’hui cinq villages de ce type en région parisienne, (Montreuil, St Ouen, Aubervilliers, Bagnolet et St Denis) « permet de faire reconnaître les Rroms autrement que par les caricatures que la société véhicule », selon Nabil Bendami. Les clichés : c’est bien cela le problème. Dans la conscience collective, un Rrom est un individu non civilisé voire inassimilable : « un Rrom ça pue. Un Rrom ne sait pas lire. Un Rrom c’est cleptomane ». Pour Ivan Ivanov, directeur général de l’organisation européenne European Roma Information Office (ERIO), « les gens ne connaissent pas les Rroms. Et malheureusement, ils ont automatiquement peur de ce qu’ils ignorent. S’ils ne se mélangent pas avec les autres, les Rroms seront systématiquement discriminés. »

Autant dire que pour lui, la politique française est à côté de la plaque. Il semble évident que parquer des familles dans des habitations aménagées, retirées de toutes vies sociales et gardées par des sentinelles ne répond pas au parangon de la mixité. De fait, selon Ivanov, « villages d’insertions » riment avec « ghettos » : « Ce type de dispositif prospère principalement en France, en Slovaquie et en République Tchèque. Ces projets ne sont pas adaptés à l’intégration des Rroms. Ils créent de la ségrégation. En essayant d’insérer quelques familles dans des villages aménagés, on ne résout pas le problème. On les écarte de la société en essayant de leur imposer un modèle. Et pour moi, l’enjeu est avant tout social », explique-t-il.

En Europe, « C’est de pire en pire »

Selon les vagues estimations que l’ERIO s’est procurée, les Rroms seraient aujourd’hui 10 à 12 millions en Europe. Néanmoins, l’organisation assure qu’ils représentent la communauté la plus discriminées sur le continent. La faute aux Etats, selon Ivan Ivanov, lesquels renâclent à accueillir une population qui ne cesse d’augmenter depuis l’élargissement de l’Union à 27 pays. Face aux barrières sociales, il est quasi-impossible pour un individu de s’installer dans un pays hôte. Ce qui contraint la majorité des Rroms à aller et venir en de perpétuels « voyages pendulaires ».

C’est pourquoi les associations européennes de défense des minorités répètent à l’envie que la situation des Rroms mérite d’être étudiée. Les Etats membres de l’UE ont pourtant abordé deux fois la question durant deux sommets européens consacrés à l’intégration de la communauté. Sans rien acter. « C’est de pire en pire. Au Parlement, tout le monde parlent des Rroms. Ils montrent de l’attention. Mais il n’y a jamais de décisions concrètes qui sont prises. La stratégie UE 2020 doit inclure un nouveau texte spécifique à la situation des Rroms. Mais, franchement, c’est urgent. »

Entre les rêveries politiques et une dure réalité sociale, les Rroms sont dans un demi-sommeil constant. Et de l’aveu de leur représentant, cela pourrait bien durer dix ans.

Photos : Une ©hidden side/Flickr; Village rrom ©"Sunil"/Flickr; Poupées rroms : ©--Sam--/Flickr; ©Chris Devers/Flickr

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.