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Les vieilles habitudes ne meurent pas

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Default profile picture Delphine Leang

Dans une Russie désorientée, Poutine profite du manque de confiance du pays pour réaffirmer ses prises de position. Analyse de l'image d'un tsar des temps modernes.

La guerre froide a peut-être pris fin mais Russie et Etats-Unis, patries des relations internationales, continuent d'abriter les deux plus puissants gouvernements sur terre. Le sort de ces gouvernements va se jouer cette année au cours d'une élection démocratique. L'une est couverte par des millions de pages dans la presse et des heures de débats télévisés. L'autre passera pratiquement inaperçue, élément révélateur d'un système peu susceptible de changer. Aux Etats-Unis, le coude à coude électoral rendra possible la présence d’un nouveau président à la Maison blanche à la fin de l'année, sans certitudes. La Russie, elle, sera dirigée par le même homme. Un homme qui a gravi les échelons du KGB dans les années 90 pour atteindre le poste de Premier ministre à peine neuf ans plus tard : Vladimir Vladimirovich Poutine.

Anciens fleurons

La Rossiyskaya Federatsiya (Fédération de Russie) a vu naître l’une des plus grandes cultures du monde, de Tchekhov, Dostoïevski, et Tolstoï à Chostakovitch et Rachmaninov ; de grands musiciens, chanteurs, danseurs, artistes, et gens du cirque ; de grands maîtres d'échecs et un nombre impressionnant d'excellents sportifs. Pourtant ce pays à la grandeur passée est à la dérive. Il a perdu beaucoup de sa confiance en lui et Poutine a su tirer parti de ce climat d'incertitude à la fois pour relancer son cher pays mais aussi pour s'établir fermement dans le paysage politique. Sous le régime de Poutine, des directeurs de chaînes de télévision indépendantes de Russie ont été agressés, des changements dans la société civile se sont produits, et une série d'enquêtes criminelles a porté contre quelques-uns des oligarques russes les plus puissants. Un jeune Russe déclare : « Poutine est certainement en train de s'implanter très efficacement en s'attaquant aux oligarques et en consolidant la base de son pouvoir. Et bien que ce ne soit pas un facteur primordial, il est très inquiétant que la Tchétchénie ne soit plus à l'ordre du jour et que la communauté internationale ait, dans une plus grande mesure, laissé à Poutine la liberté de gérer le problème à sa manière sans peur de représailles. »

De plus, le 24 février, dans une manoeuvre surprise, Poutine a limogé tout son gouvernement en expliquant qu’un tel geste était « lié à [sa] volonté de montrer [ses] positions sur l'avenir du pays après le 14 mars 2004 ». Autrement dit, Poutine s'est entouré d'hommes à ses ordres.

Je suis le maître du château...

Quoi de plus évocateur du « Poutinisme » qui s'est emparé du pays. Malgré les pertes en Tchétchénie passées sous silence, la dissolution surprise de son gouvernement, et la pauvreté qui règne encore en Russie, Poutine se voit enveloppé d'une aura féerique qui le transforme en un objet de curiosité et d'affection pour son pays. Il est devenu le tsar intouchable des temps modernes, comme le fait remarquer Steve Rosenberg, correspondant de la BBC en Russie : « La radio nationale diffuse des chansons pop sur Poutine. Son visage décore les boîtes de chocolats et les T-shirts. On peut acheter des jeux de société Poutine, des cure-dents Poutine. Il y a même des robes de mariée sur lesquelles s'affiche le portrait du président. »

Poutine a créé une image si forte et si attrayante que même si une alternative existait, elle aurait peu de chance de survivre. L'Union européenne, partisan traditionnel de la démocratie et de l’état de droit, a fermé les yeux sur des violations des droits de l'homme et des irrégularités judiciaires avérées. L'intégration de dix nouveaux Etats membres cette année ne risque pas d’altérer les relations entre l'UE et la Russie : la possibilité pour les nouveaux entrants de faire entendre leur voix étant l’objet de discussions acrimonieuses. Les leaders européens, comme de nombreux Présidents et Premiers ministres dans le monde, entretiennent des relations cordiales avec l’homme fort du Kremlin. Le monde extérieur n'offre aucune alternative au système Poutine : les Russes, si fascinés et fidèles à leur président, pourraient-ils le faire ? Cette élection est une formalité. Peu de gens, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Russie, savent que Sergei Glazyev, Irina Khakamada, Nikolai Kharitonov, Oleg Malyshkin ou Sergei Mironov sont les cinq autres prétendants au poste. Ils ont tous une alternative à offrir, mais ils savent que leurs rêves de pouvoir ne se concrétiseront jamais.

Points forts et points faibles

Pourtant, la personne même du président offre une alternative à son système. Ses spectaculaires paris politiques et sa volonté de s'attaquer aux industriels les plus puissants vont le rendre vulnérable à des attaques personnelles et politiques. Cette théorie fait écho au discours de John Bowis, eurodéputé britannique, et Vice-président de la Délégation parlementaire auprès d'un groupe de pays de l'ex-URSS : « La force de Poutine est aussi sa faiblesse. Il a fait usage de la force dans sa politique intérieure et extérieure pour affermir son pouvoir dans son pays. Il joue aussi un nouveau ‘Grand Jeu’ ».

Il n'y a toutefois pas, pour le moment, d'alternative au système Poutine, et le tsar lui-même jouit d'une côte de popularité de 80%. La réalité étant aussi qu’on a arraché aux Russes toute possibilité de croire qu'ils avaient besoin d'une alternative. Ironie : la seule alternative peut venir de Poutine lui-même. Il sera déjà en train de réfléchir à la Russie qu'il va laisser derrière lui quand il se retirera de la scène politique et il est déjà en train de fabriquer un système capable d'installer un protégé loyal.

Poutine ne relâchera pas son emprise sur sa patrie. Il n'y aura pas d'alternative. La Russie va inévitablement finir par en pâtir. Comme toujours, il est difficile de se débarrasser des vieilles habitudes.

Translated from Russia, Old Habits Die Hard