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Les participants au contre-forum ne veulent pas être des consommateurs

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Bien que le processus de Bologne gagne lentement mais sûrement les amphithéâtres européens, certains ne cachent pas leurs inquiétudes vis-à-vis des conséquences de la réforme.

Le Forum Européen de l’Education (FEE) se réunira pour la seconde fois du 20 au 22 mai prochain à Bergen en Norvège, en marge de la conférence interministérielle. Créé pour mettre en place une plate-forme de débats alternatifs sur l’enseignement supérieur, le FEE réunit aujourd’hui une trentaine de syndicats étudiants européens, plutôt radicaux : « Sud » en France, « Altrascuola Unicobas » en Italie ou la « Scudag » allemande. Association atypique conçue sur le modèle du Forum Social Européen, elle se clame ouverte à tout individu ou structure adhérant aux 11 points de la Déclaration, adoptée lors de l’inauguration du FEE à Berlin en septembre 2003.

Unis pour dénoncer

A l’époque, plusieurs centaines de manifestants, désireux de replacer le facteur social au cœur du canevas éducatif, s’étaient rassemblés pour une première édition, en riposte au sommet ministériel éponyme. Lieu de contacts et de dialogues, le FEE espère à terme « coordonner une action homogène » à travers tout le continent et « constituer un solide réseau ». Objectif : dénoncer la « commercialisation » des études dans leur ensemble. En apportant une perspective critique du processus de Bologne, l’organisation cristallise le mécontentement, finalement assez global, autour des nouvelles politiques européennes d’enseignement telles que la privatisation de l’éducation et la standardisation des matières. Voilà deux des arguments exprimés par cette entité. Si le FEE n’en est qu’à ses balbutiements, il a au moins le mérite de soulever une question : quel sera l’avenir du droit à l’instruction, par essence désintéressé, dans un schéma calqué sur le modèle économique, soucieux de rentabilité et de performance ?

Effets néfastes concrets

Marry-Anne Karlsen, une étudiante norvégienne de 25 ans, fait partie du comité organisateur du « FEE de Bergen 2005 ». La raison de son adhésion au mouvement ? « Les étudiants sont aujourd’hui considérés comme des consommateurs et non des acteurs ». Depuis la mise en place de « Bologne » dans son pays, pionnier dans l’application de la réforme, elle déplore « une commercialisation évidente de l’éducation. Le système des crédits ECTS, en créant des disciplines compartimentées, entraîne une fragmentation de la connaissance et donc un affaiblissement de la pensée critique », explique t-elle. « De plus, on assiste à un déficit démocratique : pour rendre les facultés plus performantes, on restreint l’influence des organisations étudiantes dans la prise de décision. » Si le FEE ne conteste pas l’internationalisation des études, il veut aller « au-delà des belles paroles officielles en examinant ses véritables conséquences, comme celle du principe de compétition au détriment d’une plus grande coopération. » Marry-Anne fait remarquer ainsi « des effets secondaires importants, comme le combat permanent des petits Etats européens pour préserver leur identité linguistique, ou l’impact des mesures comme le projet de directive Bolkenstein. » D’aucuns vont jusqu’à contester la nature exclusive et élitiste des discussions en cours. « Il faudrait parvenir à une réforme plus démocratique pour que nous puissions devenir partenaires. » Au programme de la seconde mouture du FEE, qui se déroulera au sein de l’Université de Bergen, « pas de rencontre avec des ours des neiges ou des trolls » précise l’invitation. « De nombreux thèmes seront abordés : des effets du GATS ( General Agreement on Trade in Services) à l’avenir des frais de scolarité, en passant par les pédagogies alternatives », lance Marry-Anne. Pour finalement conclure : « On aimerait créer une sorte d’observatoire qui enregistrerait les progrès du processus dans les pays concernés et servirait de banque de données et d’analyses. Et lancer une Journée Internationale de l’Etudiant le 17 novembre pour démontrer que l’éducation est un droit et non une marchandise. »

Dans leurs protestations répétées, les étudiants reprochent à la réforme de favoriser la « scolarisation » des études universitaires, de rendre plus difficile la conciliation des études avec un travail à temps partiel, de réduire l’octroi de bourses avant le doctorat, de désavantager les femmes en matière d’égalité des chances, de contrarier les études interdisciplinaires en forçant le choix d’études monodisciplinaires, de conduire à un numerus clausus qui ne dit pas son nom lors de l’admission au master, de bafouer l’égalité des chances en fonction de l’origine sociale et d’entraîner globalement une intrusion excessive de l’économie dans l’enseignement universitaire. L’ESIB, l’Union Nationale des Etudiants en Europe, membre du groupe de travail sur Bologne, fait part de ses inquiétudes quant à « l’ambiguïté du terme ‘compétitivité’ ». S’il implique une exigence de transparence et de qualité de l’éducation, il risque aussi d’accroître les privatisations et la fuite des cerveaux, tendance à laquelle l’ESIB s’oppose fermement. De même, l’organisation met en garde contre « le détournement de Bologne par des gouvernements qui, profitant du processus, feraient passer leurs propres réformes nationales. »