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Les jeunes partent pour mieux revenir

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Culture

Une région sinistrée par cinquante ans de communisme et un conflit ethnique : la perspective n’est pas très tentante pour les jeunes kosovars. Pourtant, ceux qui s’échappent reviennent au pays, après leurs études et quelques années passées à l’étranger.

Pour le cerveau kosovar qui a l'occasion de fuir son pays, le retour peut sembler optionnel. 45% de chômage, un marché noir prolifique, un PIB de 1 000 euros par an et par habitant et une corruption endémique : la situation économique au Kosovo n’a rien pour faire rêver.

Exemple de ce phénomène qui menace de gangrener toute l'Europe de l'Est : la Pologne. Malgré une économie florissante, nombre de jeunes diplômés polonais, médecins, ingénieurs ou architectes, n'ont pas hésité à migrer vers l’Ouest, attiré par les sirènes européennes. Le gouvernement de Varsovie tente aujourd’hui de les faire revenir. En vain.

Cette situation ne rencontre que peu d'écho parmi la jeunesse kosovare. « Pourquoi aurais-je du travailler en Suède ? », demande Miranda, une jeune informaticienne, qui a obtenu son Master l’année dernière en Scandinavie. « On m’a proposé un emploi là-bas, mais j’ai refusé pour revenir au Kosovo. Car ici, je peux œuvrer pour l’avenir de mon pays. »

Miranda fait partie de la jeune génération, sortie de l’enfance au moment des frappes de l'OTAN sur la Serbie en 1999, qui a eu par la suite l'opportunité de pouvoir étudier. Contrairement à leurs parents, qui ont eux vécu les répressions culturelles de l’ère Milosevic. Entre 1986 et 1999, l’université de Pristina est restée fermée de facto aux albanophones pourtant majoritaires : l’enseignement était uniquement dispensé en Serbe.

Visions d’avenir

(Photo: ©Andrea Decovich)

Miranda considère son expérience à l’étranger comme un atout pour le développement du Kosovo. « Maintenant que je suis de retour et que je travaille, pourquoi ne pas envisager à l’avenir, de collaborer avec des laboratoires de recherche en Suède ? J’ai appris à connaître ce pays et j’y ai maintenant des contacts. Nous pourrions créer une structure à Pristina et envoyer d’autres jeunes se former là-bas. Ainsi, mon expérience pourrait servir à d’autres».

La jeunesse kosovare, qui représente près de la moitié des deux millions d’habitants, juge important d'avoir dorénavant l'opportunité de partir étudier ou travailler à l’étranger. Mais le retour au pays est loin d'être une exception.

Velmir et Besart, deux étudiants en relations internationales à l’Université de Pristina, n’ont pas encore quitté le Kosovo qu’ils savent déjà qu’ils reviendront chez eux. Le premier voudrait partir en France, le second aux Etats-Unis.

« Si je veux partir, c’est avant tout pour revenir », explique Besart. « Pour ramener tout ce que je peux apprendre, ici, de nouvelles idées, de nouvelles pratiques ».

Cette volonté de retour, Besart l'explique par la Constitution. «Il y est écrit que nous devons servir le Kosovo », précise t-il. « Mais c’est plus qu’un devoir. Je ne sais pas comment l’exprimer avec des mots : c’est quelque chose qui prend aux tripes ».

Bourses et visas

L’Université de Pristina encourage ses étudiants à partir et le bureau des relations internationales ne cache pas ses ambitions, malgré les difficultés. « Environ deux cents étudiants partent tous les ans à l’étranger, mais seulement cinquante disposent d’une bourse d’études. Les autres partent grâce à leurs propres moyens, » commente Jehora Lushaku, la responsable du bureau.

« L'un des problèmes majeur, c’est l'obtention d'un visa. Nous ne faisons pas partie de l'espace européen et la procédure est longue et chère, environ soixante euros par étudiant ». En terme de destination, c'est l'Europe qui réunit les suffrages des candidats au départ, beaucoup de Kosovars ayant là-bas de la famille émigrée.

Quand Miranda, Velmir et Besart disent vouloir revenir avec de nouvelles compétences au Kosovo, ils suivent indirectement, la politique mise en place par leur gouvernement : «L’envoi d’étudiants à l’étranger répond parfois à une demande bien spécifique. Si par exemple, le ministère de l’Energie se rend compte qu’il a besoin de deux spécialistes sur tel sujet, il va proposer deux bourses pour partir étudier cette question et les employer à leur retour », souligne Lushaku.

Pour être en phase avec le modèle européen et faciliter les échanges, l’Université de Pristina entend intégrer progressivement le processus de Bologne. « Notre objectif n’est pas seulement de faire partir des étudiants mais aussi d’en faire venir, de toute l’Europe. L’année prochaine, un nouveau programme sera mis en place, le 'CEEPUS': cent étudiants de la fac partiront et nous accueillerons cent élèves étrangers. »

Des organismes étrangers, comme l’Institut Français, le Goethe Institut ou le British Council, proposent eux aussi des financements pour inciter les jeunes à partir. « Ils font signer des contrats aux étudiants, avec une clause les engageant à revenir une fois leurs études terminées », poursuit Lushaku. « Eux aussi veulent fixer les jeunes diplômés au Kosovo, là où il y en a le plus besoin».

Génération post-1999

«Les jeunes qui partent aujourd’hui reviennent, car ils savent qu’ils ont de meilleures opportunités que les autres pour trouver un bon travail ici», constate Ilir Hoxha, responsable d'un projet pour la jeunesse, financé conjointement par la Banque Mondiale et le gouvernement de Pristina. Hoxha a lui-même obtenu un Master en management des systèmes de santé à la prestigieuse London School of Economics (LSE), en Angleterre.

«Avant la guerre, ceux qui partaient le faisaient par désespoir, car l’avenir n’existait pas au Kosovo. Aujourd’hui c’est différent. Accéder à l'indépendance est un grand challenge, difficile à relever mais susceptible d'amener des effets positifs. Nous avons besoin de nos jeunes pour cela », juge encore Hoxha.

Si les jeunes diplômés sont prêts à revenir et rester au Kosovo pour construire un nouveau pays, qu’en est-il des plus pauvres ? Miranda est bien consciente de la réponse. « Ils ne rêvent que de partir aux Etats-Unis pour travailler. Ils seraient prêts à mourir pour ça. C’est pour cela que nous devons développer notre pays, pour que les Kosovars aient envie d’y vivre ».

Photos: Marcher sur le trottoir du Boulevard Mère Teresa en construction (Andrea Decovich)