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L’enfer est pavé de bonnes intentions

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« Urbi et Orbi ! » Le choix du nouveau Pape a semblé en décevoir plus d’un. L’écran de fumée dissipé, les sobriquets fusent. Benoît XVI aura quelques efforts à fournir, pour quitter sa chasuble de théologiens et endosser sa bure de pasteur humaniste.

Dès ses premières semaines de pontificat, Benoît XVI – et la réputation d’homme de fer qui le précède- a laissé entrevoir quelles seraient ses ambitions : s’inscrire dans la continuité œcuménique de son ami et prédécesseur Jean-Paul II dont il a fait ouvrir, avec cinq années d’avance, le procès en béatification et adopter une ligne de conduite théologique conservatrice en tout point opposée à ce que souhaitait la majorité des personnes concernées, à l’heure où les forces vives du catholicisme sont pleinement anémiées.

Il y a quarante ans, ce très saint homme nous eût semblé incroyablement révolutionnaire, lui qui prit une part active aux travaux du Concile de Vatican II. Il est d’autant plus troublant de constater son attachement aux théories de la Congrégation pour la doctrine de la foi, alors qu’il passa autrefois pour le pourfendeur d’une Eglise trop antique dans un monde trop moderne. Et personne ne s’y trompe !

Un Pape à l’image de l’homme

Sur tous les continents nous attendions un pape humain, au fait de nos inquiétudes et de nos conditions de vie ; un pape capable de nous entendre et nous guider, un pape qui ferait évoluer son Eglise. Mais nous avons eu un Pape intellectuel, au passé douteux, à l’image incertaine, qui devra engager les meilleurs « spin doctors », ces faiseurs d’image positive, pour orchestrer la grande « opération sympathie » qui le rendra … humain ? Et apparemment, certains mécanismes ont été mis en œuvre pour que le pape, dès sa première journée, fasse bonne impression. Proche des citoyens qui sont venus le saluer, Benoît XVI s’est montré allègre et sûr de lui, très éloigné de sa timidité qu’on lui connaissait. Son attitude lors de sa première homélie s’est, elle aussi, voulue rassurante. Alors même si son nouveau nom a donné une certaine assurance à l’ancien Ratzinger, on ne peut s’empêcher d’y voir les effets d’outils de communication efficaces.

Jean-Paul II a su soulever des vagues incommensurables et inégalées d’enthousiasme papal, partout où il a mené son combat pour la paix des hommes (guerre froide, communisme, capitalisme, terrorisme, génocide…) et pour la paix des croyances (avec les juifs, les protestants et les orthodoxes notamment). Son époque a été celle de l’ouverture de l’urbi à l’orbi, de la ville au monde. Et Benoît XVI ne devrait surtout pas s’engager sur la même voie : au lieu de ne penser qu’à cette ouverture, il est temps pour le Pape de s’intéresser à la condition des siens, de réfléchir aux évolutions de la société, de proposer des adaptations de la doctrine à la foi, car sans l’adhésion de l’Eglise, le pontificat n’a pas de sens. Ainsi, comme il l’a dit dans son discours devant l’Académie catholique de Bavière, « Pourquoi je suis encore chrétien ? : il n’y a que dans l’Eglise qu’il est possible d’être chrétien, et non pas à côté de l’Eglise. » Passons à l’acte !

Beaucoup n’attendaient-ils pas, en effet, que le nouveau Pape, les deux pieds dans son Eglise et dans son époque, grâce à son pouvoir incroyable mais inégalé, sauve l’Afrique, les hommes, les femmes et les enfants qui là-bas, souffrent de la doctrine qui interdit la contraception et le préservatif, meurent de cette doctrine, sans assistance, sans Dieu, sans amour ? Quelles valeurs humanistes cette doctrine peut-elle bien véhiculer ? Il me semble que si Benoît XVI acceptait que la foi ne soit pas seulement la règle et son application drastique, mais aussi l’amour, qui passe par l’assistance du prochain, tout serait tellement plus simple. Exactement comme les mots de Jean-Paul II ont pu, dans un autre contexte, influer sur le cours de l’histoire et changer la vie des hommes. Allons, Pape, dis seulement une parole et l’Afrique sera guérie.

Opération sympathie

Mais cette parole semble rester coincée et la seule chose que Benoît XVI a proclamé est l’« opération sympathie ». J’ai peine à croire que la mise en place rapide d’une adresse électronique ou la promotion de son fan-club suffiront pour faire d’un théologien exigeant un pasteur proche de son troupeau, plein d’amour et de compassion pour ses brebis pécheresses… Et tout cela s’apparente d’ailleurs bien plus largement à une vaste opération de communication digne d’un Mitterrand se faisant limer les dents qu’à l’avènement d’une ère spirituelle. Pourra-t-on pétitionner par e-mail pour demander l’autorisation d’utiliser des préservatifs sans risquer l’excommunication ?

Ainsi, pour Benoît XVI, plutôt qu’une « opération sourire », ce sera l’« opération écoute des attentes des chrétiens ». J'ai l'impression qu’elle guidera bien mieux ses pas vers l’acceptation populaire. Loin des Panzer Cardinal et autre rottweiler de la foi, gageons que Benoît XVI saura faire le choix des hommes.