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Le monde dans une bouteille d'Eau de Cologne

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Jane Mery

SociétéPolitique

Il n’y a pas de miracle : l’Eau de Cologne, célèbre dans le monde entier depuis des siècles, a profité de la situation géographique idéale de la ville qui lui donne son nom. Au cœur de l’Europe, Cologne peaufine sa stratégie pour tisser des liens à l’international.

(Farina-haus.de)L'italien Giovanni Maria Farina, créateur de la première Eau de Cologne, a dû se retourner bien des fois dans sa tombe. Alors qu’il imaginait un parfum au nom de la ville où il avait choisi de faire fortune en 1703, il a été dépassé par sa création. Mille fois pillée, bien faite, mais contrefaite, la fameuse Eau « de Cologne » est devenue générique, désignant ni plus, ni moins, un parfum léger (contenant peu d’essences) que seules nos grands-mères, dit-on communément, aiment encore porter. Par bateaux sur le Rhin jadis, dans les avions au départ du Köln Bonn Airport aujourd’hui, le produit s’est exporté dans le monde, faisant rayonner le nom de Cologne à l’international. Enfin…

« Les gens ici sont un peu plus italiens qu’allemands »

« Désormais, les gens ne font pas le lien entre l’eau et la ville », estime le président directeur général actuel de la Maison Farina, Johann Maria Farina, portant dignement le nom de l’illustre ancêtre, transmis de père en fils, tout comme d’ailleurs, la recette du parfum (on parle d’agrumes et de bergamote, mais chut). Confortablement installé dans son bureau jouxtant un mini-musée à la gloire de son aïeul, il raconte inlassablement son histoire en cette année anniversaire (le produit fête ses 300 ans). La confusion causée par des dizaines de plagiats est venue à bout de l’original, malgré des décennies de procès. Cologne s’est noyée dans ses flacons d’eau. Aujourd’hui, la cathédrale plantée à deux pas de la Maison du parfumeur venu d’Italie, est bel et bien le produit phare sur lequel la ville allemande, et ses spécialistes du tourisme, communique dans le pays et hors de ses frontières.

(J.M)

Attractions touristiques

Ainsi, le site historique le plus fréquenté d’Allemagne, icône locale, attire six millions de visiteurs à l’année (dont près de 65 % d’Allemands). Imbattable. Pour booster son offre touristique, Cologne a d’ailleurs plutôt opté pour une stratégie transfrontalière (notamment en partenariat avec Amsterdam et Bruxelles, très bien reliées par le train) qu’en joignant ses forces avec les autres grandes villes du pays, notamment Hambourg ou Frankfurt avec qui Cologne se dispute régulèrement la troisième place du classement national : « Nous attirons plus d’étrangers que Hambourg, même si nous devrions encore plus nous ouvrir à l’international, confirme Claudia Neumann, responsable des relations publics à KölnTourismus. A part sa cathédrale, Cologne a deux autres points forts : le business qui attire 70 % des personnes qui dorment une nuit à l’hôtel, lors des 40 foires organisées chaque année par exemple, et sa réputation d’être ouverte d’esprit, relax et multiculturelle. Sauf cas d’exaspérations bien légitimes des habitants face aux 2000 bus stationnés aux abords du centre-ville en journée lors du marché de Noël… »

(J.M)Ce « caractère » a été façonné dès le Moyen-âge, alors que la ville était déjà un carrefour commercial de l’Europe, idéalement située sur le Rhin et dotée, encore aujourd’hui, d’un réseau de transport très dense. Il a contribué à attirer nombres d’investisseurs étrangers… en premier lieu notre cher Giovanni Maria Farina, né dans le Piémont : « Au 18e siècle, Cologne était libre d’empire, subordonnée à aucun Etat, et donc très attractive comme plaque tournante commerciale, pour tous les entrepreneurs, estime l’héritier Farina, c’est aussi pour cela que Cologne n’est pas une ville allemande classique. Elle a toujours été orientée vers l’international. »

Draguer les multinationales

(J.M)Résultat, 184 nationalités cohabitent dans une ville jeune (la deuxième université d’Allemagne accueille 60 000 étudiants) et 20 % de la population a des origines étrangères. Cette idée de Cologne, très « open », s’exporte au-delà de l’Allemagne. Paradoxalement, cette réputation inquiète aussi les responsables locaux qui souhaitent attirer les investisseurs. Victor Vogt est responsable du business à l’international à la Chambre de commerce et d’industrie de Cologne. « Les gens ici sont un peu plus italiens qu’allemands », lance-t-il, le discours bien rôdé. Face à l’expression « Kölsche Klüngel » (qui évoque le « manque de transparence » propre à « Köln »), une blague locale qui attise la curiosité du visiteur, il explique qu’à Cologne « on s’éloigne un peu du cliché selon lequel les Allemands sont droits et efficaces. Les gens ne sont pas comme celaici, et les étrangers qui arrivent pendant le Carnaval par exemple, alors que tout le monde fait la fête, perdent aussitôt leurs idées préconçues. Effectivement pour le commerce, peut-être cela ne transmet-il pas toujours la meilleure image. »

« Le luxe, c’est une niche. C’est vrai, notre parfum n’est pas accessible à n’importe qui… »

Avec agilité et une pointe d’humour, Victor Vogt décline les points faibles et forts de sa ville : « Cologne ressent les effets de la récession mondiale car son PIB s’appuie sur plus de 50 % d’exportations. Mais les entreprises du secteur des services (assurance, médias, ITC…) permettent de tenir l’équilibre ». Cap sur les Etats-Unis : après avoir créé des liens avec des villes jumelées en Chine et en Inde, « nous développons une nouvelle stratégie pour présenter la ville comme un lieu commercial, essentiellement en Europe et outre-Atlantique, poursuit Victor Vogt. Bien sûr Cologne seule ne fait pas le poids face à Londres ou Paris. Pour être compétitif, nous devons unir nos forces avec les voisines Düsseldorf et Bönn. Dans notre région, sont déjà installés de nombreux acteurs mondiaux. » Des multinationales comme Sony, Toys ‘ R’ Us ou Barilla, Microsoft, ont choisi Cologne pour s’implanter en Allemagne.

Bureaux avec vue sur le Rhin

(Marie Kprata)Que ce soit dans le secteur de l’industrie chimique qui est le plus gros employeur, la construction automobile en grande difficulté, l’ingénierie mécanique ou électronique, les radios et télévisions qui font de Cologne la capitale allemande des médias… la stratégie de Cologne n’est pas de se vendre « comme une destination commerciale bon marché » : « Nous cherchons à attirer les sièges sociaux. Cela passe par l’architecture notamment. » Actuellement, sur les bords du Rhin, à quelques centaines de mètres de l’immense brasserie « Früh am Dom », où s’assoient les étrangers assoiffés, les grues se dressent aux côtés de monstres d’acier et de béton pas finis. Bientôt ici, de beaux bureaux avec vue sur le fleuve.

Du premier choix. C’est aussi la stratégie qu’a choisi la Maison Farina pour survivre : « Le luxe, c’est une niche. C’est vrai, notre parfum n’est pas accessible à n’importe qui… », reprend Johann Maria Farina qui emploie localement 50 employés. Sa petite entreprise (la plus vieille de Cologne selon la famille) poursuit l’œuvre d’une lignée, même si l’âge d’or semble désormais loin. Car aux abords du Dom, sur les étals des marchands de souvenirs, une Eau de Cologne à l’emballage bleu turquoise appâte le client… Il s’agit là d’une autre marque, d’une autre Maison, d’un marketing plus agressif. Même l’odeur est différente : l’Eau de Cologne 4711, créé en 1792, challenger incontesté des Farina, se vante d’exporter ses cartons de flacons dans plus de 60 pays. Chaque nez retrouvera le sien...

Merci à Yvonne et à toute l'équipe de cafebabel.com à Cologne !

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