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Le boycott : du pouvoir pour les grands et les petits

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Il n’y a rien à faire. Si les reportages sur les scandales des grandes enseignes comme LIDL et Haribo indignent, le citoyen se retrouve bloqué aussitôt que s’éteint son poste de télé. Pourtant, des plateformes et des gens sont en train de prouver que le boycott a un impact. Enquête sur des particuliers qui ont choisi de ne pas se laisser faire. 

Nestlé, Lactalis, Coca-Cola... À chaque enseigne son scandale. Si en France, la machine médiatique tourne encore au rythme des rebondissements de l’affaire Lactalis, c’est en Allemagne que résonne l’un des plus grands baroufs liés à une grande marque alimentaire. Au tour d’HARIBO de prendre place sur le banc des accusés. Car derrière le sourire attendrissant du petit ourson jaune, se dissimuleraient des pratiques qualifiées d’« esclavagisme moderne », un manque d’hygiène et de la maltraitance animale. C’est un reportage de la chaîne publique allemande ARD qui dénonce ces conditions déplorables de production. On y apprend notamment que la firme exploite des travailleurs brésiliens dont les conditions salariales et sanitaires relèvent d’une violation des Droits de l’Homme. Le documentaire a rassemblé 2,75 millions d’auditeurs dans les foyers allemands. Mais à la fin du programme, c’est souvent la même histoire qui se répète inlassablement : l’indignation se dilue dans le quotidien et finit par ne plus rien provoquer.

« Cela me donne l’impression de retrouver du pouvoir »

Dit autrement : être informé ne suffit plus. L’heure serait à l’action et les consommateurs, à travers le boycott pourraient stopper net les pratiques barbares de certaines entreprises. Mathilde, une jeune étudiante en psychologie, adore les Dragibus. Comme beaucoup d’autres, elle a vu tourner sur les réseaux des vidéos et des articles sur l’affaire Haribo. Par un « like » ou un « share » elle approuve et donne de l’écho à l’information. Mais elle n’est pas dupe... « Le fait que je puisse partager ou supporter des infos me donne l’illusion de participer à la lutte contre ces pratiques, d’une certaine manière, ça me dédouane… ». La jeune femme nous confie qu’être une « indignée du canapé » a ses limites car ce n’est pas par le clicktivisme qu’elle va réellement « participer à l’effort de guerre ».

En quête de liberté dans sa consommation, Mathilde participe donc à des campagnes de boycott en ligne. Le principe est simple : se rassembler sur le Web pour arrêter collectivement d’acheter un produit. Le stratagème fonctionne puisqu’il permet, d’après elle, de redonner du sens à l’acte de consommation. L’étudiante précise : « Le boycott me donne l’impression de retrouver du pouvoir sur ce que je consomme. C’est moi qui choisis d’acheter ou non un produit. ». Suite aux révélations de Greenpeace sur les méthodes de pêche dévastatrices de l’enseigne, Mathilde nous confie par exemple, ne plus acheter de thon en boîte Petit Navire.

Levent Acar s’est beaucoup penché sur ce type de comportement. À tel point qu’il en est venu à fonder, il y a deux ans, la première plateforme de boycott citoyen : I-boycott.org. Pour lui, cet engagement citoyen s’inscrit dans une évolution générale de la « consommation responsable ». Signe que la prise de conscience commence à faire son petit bout de chemin, la France a vu ses ventes de produits équitables augmenter de 40,2% en 2016 lorsque le bio a progressé de 20% par rapport à 2015* (selon le guide en ligne Mes courses pour la planète, nda). Pour Acar, une entreprise évolue si le marché l’y oblige. Et comme c’est le consommateur qui se trouve au bout de la chaîne, c’est à lui que revient le rôle de « gardien de l’éthique ». La vraie solution consiste alors à comprendre les mécanismes économiques de la société pour en guérir les dérives à travers le boycott. Le chef de fil de l’association complète : « Boycotter individuellement c’est "faire sa part", Boycotter collectivement c’est établir un contre-pouvoir ».

De Gandhi à Cash Investigation

De Martin Luther King à Nelson Mandela en passant par Gandhi, le boycott a martelé l’histoire de retournements démocratiques. Il a permis au peuple de reprendre la main sur le pouvoir en s’attaquant au talon d’Achille du grand capital : l’argent. Dans le monde ultra-connecté qui nous entoure, le consommateur s’arme aujourd’hui d’un outil d’information de poids : le numérique. « Cependant Il faut faire attention à ne pas devenir des simples consommateurs de scandales, il faut y donner suite et capter l’émotion pour l’inscrire dans la durée », prévient Levent Acar. En France, les gros succès d’audience des documentaires liés aux scandales des grandes enseignes, comme Cash Investigation sur LIDL (3,8 millions de téléspectateurs, ndlr) sont là pour le rappeler : si le grand public est attiré et concerné par le problème, la majorité peine à trouver des moyens d’agir. C’est d’ailleurs sur ce constat qu’Acar a décidé de fonder sa plateforme citoyenne avec l’objectif de replacer le pouvoir dans les mains du consommateur.

Gérée par une équipe de bénévole, I-boycott donne à tous les citoyens le droit de lancer ou de participer à une campagne de mobilisation. Le mouvement se veut rassembleur puisque la communauté numérique est composée de plus de 100 000 personnes et dispose d’antennes dans 13 villes de l’Hexagone, précise le porteur du projet. Qui précise aussi qu’en tant que consommateur et via notre pouvoir d’achat, chacun de nous a un rôle à jouer dans la régulation des règles éthiques : « Chaque geste de consommation nous donne un pouvoir chargé de conséquences : celui d’accepter ou non un système ».

Grâce au numérique, le boycott se démocratise pour rassembler sans contrainte temporelle ou géographique. Souvent, il cristallise le travail mené sur le terrain par les associations comme les interpellations envers une marque, des campagnes de sensibilisation et autres démarches de résistance citoyennes non violentes. Cet ensemble de mobilisations incite de plus en plus les entreprises à incorporer l’éthique dans leur logique économique. Depuis 2017 en France, un décret d’application les contraint même à adopter ce qu’on appelle une RSE, pour Responsabilité Sociétale des Entreprises, comme un devoir de vigilance.

Une campagne de boycott peut s’avérer désastreuse pour l’image de marque d’une entreprise et cela se traduit par une diminution des ventes des produits de l’enseigne. Volkswagen aurait par exemple accusé un recul de ses ventes de 5% dans le monde dans l’année suivant le scandale de ses moteurs truqués. Les consommateurs ont donc traduit très concrètement leurs mécontentements.  

Et ce n’est pas différent de ce que dit Mathilde : « Les marques ont intérêt à rentrer dans une logique préventive plutôt que d’attendre que la campagne de boycott tombe car il est difficile de racheter son image ». L’actualité liée aux scandales de Lactalis et à sa mauvaise communication semble corroborer parfaitement les dires de l’étudiante : le patron de l’entreprise a mis des semaines à soigner sa communication avant de sortir du bois. La pression des consommateurs et du Législateur ont même fait de l’éthique une donnée quantifiable, qui peut désormais être prise en compte comme un facteur économique. Selon une étude du cabinet McKinsey, 36% des grands patrons interrogés placent désormais la RSE ans le top 3 de leurs objectifs.

« Le boycott n'est pas une logique punitive »

Avoir des marques plus éthiques, c’est avant tout permettre aux enseignes d’évoluer. C’est pourquoi, selon Levent Acar, le boycott économique n’est véritablement efficace que s’il est bienveillant : « Le boycott ne doit pas être réalisé dans une logique punitive. C’est la construction d’un dialogue qui donne la possibilité à la relation consommateur-entreprise d’évoluer positivement ». Sur la plateforme I-boycott, l’entreprise est alertée lorsqu’une campagne est menée à son égard. Elle dispose alors de deux droits de réponses afin de prendre en compte les revendications et de communiquer aux indignés sa prise de décision. Suite à cette réponse, un vote est mis en place pour décider collectivement des suites de la campagne.

Par exemple, en répondant favorablement aux revendications qui lui étaient adressées, la marque Oasis est parvenue à lever le boycott mis en place sur sa marque. En 2016, l’enseigne avait été critiqué pour son partenariat avec les cirques Pinder, eux-mêmes accusés de maltraitance animale. « C’est le principe de la démocratie appliqué au marché », résume Levent. Cette mécanique semble fonctionner puisque la plateforme revendique déjà quatre victoires.

Comme le disait Anne Lappe, professeure et écrivaine engagée en faveur de l’économie durable, « Chaque fois que vous dépensez de l’argent, vous votez pour le type de monde que vous voulez ». Mais bouder un produit n’est pas simple lorsque le conditionnement ou même la nécessité nous rappelle à l’ordre. Il faut donc trouver un équivalent qui réponde à nos critères de sélection : le « buycott ». Conceptualisé pour la première fois dans les colonnes du Los Angeles Times, le concept consiste à choisir un produit à la place d’un autre pour des raisons éthiques.

Une étude réalisée par Unilever démontre que désormais 1/3 des consommateurs orientent leurs achats en fonction des comportements sociaux et environnementaux des marques. Le buycott rentre donc dans la logique marchande en devenant une considération économique et marketing pour les entreprises. Pour éclairer le consommateur, pléthore de labels, médailles et autres distinctions ont fait leurs apparitions. Difficile alors de se repérer, cette même étude confirme que 21% des interrogés choisiraient activement des marques si elles mettaient clairement en valeur leurs engagements sur le packaging. Mathilde nous affirme qu’entre plusieurs produits similaires, elle choisit toujours celui qui se démarque par un label responsable : « Lorsque j’achète du café, par exemple, je me réfère toujours au label Fairtrade ». Pour présenter des nouveaux produits aux consommateurs, I-boycott a mis en place une section « alternative » dans laquelle les internautes proposent et votent pour les meilleures équivalences aux produits incriminés. « Le buycott à toute sa place à prendre dans une économie fondée sur la consommation, c’est un cadre pour l’économie », souligne Levent Acar.

Une internationale citoyenne 

Si le boycott est un en soi un acte politique qui agit sur la société, il doit être impartial pour conserver son indépendance. Selon le fondateur d’I-boycott, il faut faire attention à la récupération politique. Autrement dit, le camp du plus « faible » peut vite être exploité par celui du plus « fort ».

La plateforme I-boycott est, elle, gérée par une association mais les campagnes sont proposées et approuvées par la communauté avant leur lancement. Elles doivent aussi s’aligner avec le cadre légal des législations en vigueur. « Lorsqu’un citoyen lance une campagne, elle rentre dans une période d’incubation pendant laquelle elle sera soumise au vote et à la critique de la communauté », précise Levent. Cela lui permet d’éviter ainsi la diffamation et les fausses informations. La campagne dispose ensuite de 30 jours pour rassembler un minimum de 1000 boycottants pour être publiée. Le droit de réponse des entreprises constitue également un garant moral. « C’est l’idée de donner la main sans pour autant la perdre », déclare Acar. Le consommateur étant bien celui qui garde le dernier mot.

Une fois le cadre bien fixé, la limite restante est celle du nombre, car c’est bien la quantité de personnes qui participent qui rend légitime un boycott aux yeux des entreprises (et des autres consommateurs). À en croire Levent, a l’image des grandes entreprises qui évoluent à l’international, les contre-pouvoirs doivent également traverser les frontières pour que la mobilisation soit la plus efficace possible. Une internationale du boycott ? « Par les plateformes de boycott, on prend conscience de la mobilisation. La force du collectif nous porte et transforme un acte solitaire en action de mobilisation massive », répond Mathilde. Alors, c'est beau la vie ?