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« L’Afrique a-t-elle jamais été mûre pour la dictature ? »

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Si l’Afrique reste sous-développée, c’est dans l’intérêt des anciennes puissances coloniales. La politique africaine de l’Europe échappera-t-elle au néo-colonialisme ? Réponse de François-Xavier Verschave, grand expert des relations franco-africaines.

Ce grand spécialiste, décédé le 29 juin dernier, a dirigé pendant 10 ans l'association Survie, qui s'engage pour la démocratie et le respect des droits humains en Afrique. Ses livres « La Françafrique », «  Noir silence » dénoncent la politique néo-coloniale de la France, qui empêcherait le développement du continent.

Des milliards d’Euros d’aide au développement ont été transférés par les pays européens et par l’Union Européenne depuis l’indépendance des pays d’Afrique. Pourquoi le continent souffre-t-il toujours autant ?

Il faut distinguer la situation des anciennes colonies françaises et anglaises. L’indépendance des pays francophones a été confisquée pour mettre en place des néo-colonies au sens strict, c’est-à-dire des gouverneurs à la peau noire qui maintiennent pour l'essentiel les rapports d'exploitation de type colonial. Ces systèmes-là sont encore très souvent en place. La cause de la pauvreté est très simple : nous avons des gouvernements illégitimes qui représentent des intérêts extérieurs –un certain nombre des ces présidents sont des salariés d'Elf [ancienne compagnie pétrolière française, qui a fusionné avec TotalFina] par exemple. Ils servent Elf et la France, mais pas leur pays. Ils se font soigner en France, leurs enfants font leurs études en France : ils ne se préoccupent donc pas de la santé et de l'éducation dans leurs propres nations. Du côté britannique, les mécanismes à l’oeuvre sont différents, conséquence d’une pratique coloniale spécifique, l’ «indirect rule ». Les Anglais se sont retirés de ces territoires et n'y ont pas placé de gouvernements directement pilotés depuis Londres.

Maintenant, quel est le rôle de l'Europe là dedans ? Le problème de l'Europe, c'est qu'elle ne s'intéresse pas vraiment à sa relation avec l'Afrique. Elle a tendance à déléguer l'aspect politique, le plus important, aux anciennes puissances coloniales, c’est à dire à la France, à la Belgique, à la Grande-Bretagne, un petit peu le Portugal. Avec leur savoir-faire, qui est un savoir faire d'exploitation coloniale.

Au début des années 90, Jacques Chirac postulait que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ». Aujourd’hui, un aspect central des Accords de Cotonou est la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. L’avis de la France a-t-il changé ?

Le prix Nobel Wole Soyinka a répondu à la phrase de Chirac : « Croyez-vous que l’Afrique ait jamais été mûre pour la dictature ? ». On oublie toujours que l'Afrique a derrière elle des millénaires de traditions politiques qui étaient tout sauf des systèmes totalitaires. Même s’ils ne représentaient pas la même forme de démocratie que nous connaissons, tout a été balayé par les siècles d'oppression extérieure. L'Afrique doit reconquérir les fondements, les mécanismes de la légitimité politique. Evidemment, ce n'est pas aux anciens colonisateurs de donner des leçons. Depuis une quinzaine d'années, tous les peuples africains réclament la possibilité de choisir leurs dirigeants et de chasser ceux dont ils ne veulent plus. L'Europe est dominée par quelques grandes puissances qui « s'intéressent » à l’Afrique, notamment la France, qui a mis en place des systèmes de fraude électorale généralisés : même Mobutu à la fin de sa vie disait qu'il était prêt à se soumettre au verdict des urnes, si c'était la France qui organisait les élections.

La France n'a donc finalement toujours pas accepté la démocratie en Afrique, une attitude contraire aux Accords de Cotonou ?

La France organise et soutient des dizaines de dictatures en Afrique, y compris les pires caricatures comme au Togo, au Gabon ou avec Mugabe. Quand le peuple malgache s'est soulevé contre la fraude électorale, la France a soutenu le dictateur Ratsiraka jusqu'à la dernière limite. Mais tout n’est pas motif à désespérer. En 1990, il n’y avait pratiquement aucun gouvernement élu démocratiquement en Afrique. On en compte aujourd’hui un quart sur les 54 États. Donc les choses avancent. Ce qu’on peut dire, c’est que dans tous les cas, la France a mis des bâtons dans les roues de cette évolution, et que, généralement, les autres pays de l'Union européenne se sont inclinés devant le « savoir faire » de la France.

Comment l'initiative autonome de l’Union Africaine pourrait-elle contribuer à l’émancipation et la résolution des problèmes du continent ?

Tous les grands leaders de l'indépendance africaine étaient panafricanistes. Ils savaient que pour sortir le continent de son aliénation, il faudrait qu’il soit uni. Et que les frontières dont ils avaient hérité, les frontières de la colonisation, étaient des frontières par certains côtés impraticables. Pour tous ces gens, il n'y avait aucun doute, l'indépendance, l'émancipation, serait panafricaine. Ce mouvement panafricain a été saboté, notamment par la France et il est aujourd'hui en train de renaître. L'Union Africaine peut contribuer à instaurer certains mécanismes de légitimité politique et de solidarité africaine. La mise en place d’une sorte de Conseil de sécurité, d’une Cour africaine des droits de l'homme etc... feraient émerger des mécanismes de régulation politique. Une démarche absolument fondamentale.

Quelle politique européenne souhaitez-vous pour l’Afrique ?

Nous avons placé une certaine lueur d'espoir dans la politique africaine de l’Europe. Nous avons pensé que dans une Europe à 25, la part de pays qui n'ont pas une tradition coloniale - et qui peuvent donc regarder la relation avec l'Afrique avec un regard relativement détaché des intérêts coloniaux - l'emporterait. Mais si nous sommes inquiets, c'est parce que l’on a plus souvent l'impression que ce sont les anciens pays coloniaux qui sont en train d'apprendre leurs méthodes néocoloniales aux autres pays, plutôt que l'inverse.

Interview publiée le 27 juillet 2004 dans le dossier « Afrique : La responsabilité de l'Europe »