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La Grèce, pays de l’or noir ?

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Athènes

Par Sylvie Gruszow (*)

La Grèce sortira-t-elle de son marasme grâce à l’exploitation d’énormes gisements de pétrole et de gaz enfouis en mer Ionienne et en mer Égée ? C’est la rumeur qui, de chaines télévisées en réseaux sociaux, enfle depuis quelques semaines en Grèce.

Il ne se passe plus une journée sans un reportage qui explique que, d’ici 5 à 8 ans, la Grèce pourrait grâce à ses ressources en hydrocarbures devenir la clé de tous les problèmes énergétiques de l’Europe. Sur les chaines télévisées, des experts, pétrochimistes ou géologues, avancent des estimations qui font tourner la tête. 100 milliards de barils ? 170 ? Les indices sont très forts, disent les experts, pour penser que le plancher océanique grec renferme au moins autant de trésors que celui de Chypre, pays qui vient de lancer ses premiers forages après une longue phase exploratoire. Les volcans de boues qui laissent échapper du méthane sont une indication forte de gisements, or de tels volcans « il y en a beaucoup en mer Égée », soulignent ces mêmes experts devant des journalistes plutôt dubitatifs face aux chiffres avancés. Ces prédictions optimistes qui se fondent également sur plusieurs études géologiques et sismiques (1) et sur l’analyse tectonique de la zone sont-elles réalistes ? Pour en avoir le cœur net, la Grèce a commandité une mission exploratoire à la société norvégienne PGS. Un de ses navires de recherche explore depuis quelques semaines le plancher de la mer Ionienne et de la mer Égée au Sud de la Crète. Il a 90 jours pour terminer son travail. Après quoi, les grecs disposeront d’une cartographie très détaillée des zones potentiellement riches en hydrocarbures. Et pourront alors lancer des appels d’offre auprès des compagnies de forage.

zee_sgLe navire de la Société norvégienne PGS effectue actuellement des tests sismiques en Grèce pour cartographier de potentiels réservoirs d’hydrocarbures (crédit : PGS).

En toile de fond à ces débats qui agitent la sphère médiatique grecque, il y a bien sûr l’exemple de Chypre : ce pays a déclaré que ses ressources en hydrocarbures pourraient lui assurer au moins 150 ans de consommation énergétique. Alors, malgré la mise en garde de l’Institut Hellénique des Hydrocarbures qui en appelle à la prudence (2), la Grèce se met à rêver… Seul hic au tableau : contrairement à tous les autres pays d’Europe du sud, la Grèce n’a pas encore déclaré de façon officielle auprès des Nations Unis sa « zone économique exclusive » ou ZEE (3), autrement dit le domaine marin et sous marin sur lequel le pays a théoriquement des droits d’exploitation. C’est sur ce point – peu connu – que plusieurs experts multiplient ces dernières semaines leurs interventions à la télévision mais aussi devant des salles pleines à craquer, à Athènes et en province. En 1995, la Grèce a signé les accords de Montego Bay qui fixent aux pays les règles et la procédure à suivre pour exploiter et/ou préserver leur domaine marin au-delà des eaux territoriales (4). Mais ensuite bizarrement tout s’est arrêté : elle n’a pas déclaré officiellement ni délimiter sa ZEE. Or l’enjeu est de taille : la Grèce possède la seconde plus grande ZEE de Méditerranée après l’Italie. Soit un demi-million de km2, c’est-à-dire 3 fois la taille du pays ! Mais sans délimitation ni déclaration officielles de sa ZEE, la Grèce ne peut prétendre à exploiter ses ressources potentielles. « Elle est le seul pays de l’Europe du sud qui n’a pas déclaré sa ZEE. Chypre l’a fait en 2004 et a signé une délimitation de ZEE avec trois de ces voisins : L’Égypte, le Liban et l’État d’Israël. Du coup, ce pays a pris de l’avance dans la recherche d’hydrocarbures » fait remarquer Nikos Lygeros, conseiller stratégique en Grèce et à Chypre. La pression du voisin turc sur Athènes a sans doute freiné le processus car La Turquie a émis un casus belli, dans le cas où la Grèce en viendrait à délimiter une ZEE. Plus au sud, tous les feux sont au vert : la Lybie et l’Égypte ont un positionnement globalement positif sur la délimitation de la ZEE grecque. Certains observateurs font valoir que si la Turquie ne veut pas entendre parler de ZEE grecque, rien n’empêche la Grèce d’avancer sur ce dossier avec ses autres voisins. « Malgré les pressions turques, Chypre a délimité sa ZEE et la Turquie n’a pas bougé » observe l’un des experts. Avec l’avancée de l’étude exploratoire norvégienne, il se pourrait qu’Athènes accélère sur ce dossier dans les semaines qui viennent. Lors de ses vœux télévisés de bonne année, le premier ministre Antonis Samaras a mis au premier plan la reconnaissance de la zone économique exclusive, « AOZ » en grec. Nombre d’observateurs se demandent s’il ne s’agit pas avant tout de faire oublier la pilule amère des augmentations et privatisations en tous genres qui se préparent notamment dans le secteur de…l’énergie : « "Les plans prévoient que l’entreprise publique de gaz naturel, DEPA, privatise 65 % de ses actions pour rembourser la dette" » fait remarquer le journaliste americain F. William Engdahl. Une privatisation qui intéresse de près la Russie ce qui ne laisse pas d’inquiéter les Etats-Unis (5). Par ailleurs, le gouvernement a annoncé en décembre dernier que les tarifs de l’électricité allaient augmenter de près de 20% en 2013.

(1) The importance of Eastern Mediterranean gas fields for Greece and the EU : http://www.pytheas.net/docs/20120119%20The%20Economic%20and%20Geopolitical%20importance%20of%20Eastern%20Mediterranean%20gas%20fields%20for%20Greece%20and%20the%20EU.pdf.

(2) http://www.elliny.gr/includes/event/elliny_deltio_typou_12dec12_DB.pdf.

(3) La Zone Économique Exclusive est située au-delà de la mer territoriale et s’étend jusqu’à 200 milles marins de la ligne de base. La mer territoriale ayant une largeur de 12 milles marins, le régime juridique de la ZEE s’étend sur une largeur réelle de 188 milles marins. 99 % des ressources halieutiques se situent dans les ZEE, à moins de 200 milles marins des côtes.

(4) La Convention sur le Droit de la mer a juste 30 ans : elle a été signée le 10 décembre 1982 à Montego Bay en Jamaïque : http://droitnature.free.fr/Shtml/ConvDroitMer.shtml et http://www.un.org/News/fr-press/docs/2012/AG11323.doc.htm.

(5) http://french.ruvr.ru/2013_02_17/Gaz-les-USA-mettent-en-garde-la-Grece-contre-une-cooperation-avec-la-Russie.

(*) Sylvie Gruszow, journaliste indépendante : sciences et société.

Elle a travaillé plus de 10 ans au Magazine La Recherche au poste de rédactrice en chef adjointe.

Elle dirige le festival franco-hellénique "Les Rencontres de la Terre", coordonne et anime des conférences et débats sur les questions de science (environnement, physique, chimie, archéologie, biologie, etc.).

Langues : anglais, grec, notions de russe. Doctorat de géophysique Livre : "L'identité : qui suis-je ?" (Editions Le Pommier).

Elle vit et travaille à Paris et à Athènes

http://about.me/sylviegruszow