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La crise à la lumière de l'histoire du XXe siècle

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Jean Anot

La Parisienne

Et si la crise actuelle trouvait ses racines dans l’histoire mouvementée du XXe siècle européen ? Adonnons-nous à une petite et instructive plongée dans notre passé. 1919

Les obus ont cessé de pleuvoir sur le Nord de la France et la Belgique. De l’Allemagne, tenue pour responsable des quatre années de guerre, les alliés exigent le prix fort : 132 milliards de marks-or.

Alors que menace l’instabilité sociale et politique, la jeune République de Weimar peine à répondre à ces exigences et, entre autres solutions, augmente la cadence de la planche à billets. Mais la production de monnaie a tôt fait d’engendrer une hyperinflation – on a plus de monnaie, on achète plus et par conséquent, les prix montent et la monnaie se dévalue. De janvier à novembre 1923, les prix doublent toutes les 49 heures ! Las de difficultés socio-économiques immenses et aggravées par la crise de 1929, de plus en plus d’allemands se tournent vers les totalitarismes et leur promesse de lendemains qui chantent. En fait de lendemains qui chantent, l’expérience nazie laisse l’Europe en ruines.

1949

La jeune Allemagne de l’Ouest se redresse et érige son passé en contre-modèle. Le nazisme ? La loi fondamentale jette les bases d’une démocratie forte et institutionnalise le devoir de mémoire. Weimar ? Plus jamais d’hyperinflation, le Deutsche Mark sera fort. Et le miracle ouest-allemand se produit : la république fédérale devient l’une des premières puissances industrielles mondiales. Elle exporte à tout-va.

1989

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Le mur tombe. Exit la République démocratique et l’utopie prolétarienne. La RFA offre, au prix fort, le libéralisme à leurs compatriotes de l’Est. La réunification coûtera 1300 milliards d’euros à l’Allemagne, soit plus de la moitié de son P.I.B. en 2008.

Années 2000

Forts de la dérégulation du secteur financier, les investisseurs des pays de l’OCDE exigent des taux de rendement du capital sensiblement plus élevés. Aux entreprises européennes et américaines de s’adapter. Les solutions sont peu nombreuses : on délocalise en masse une industrie jusqu’alors rentable dans les pays émergents pour répondre à l’appétit des investisseurs. Les pays émergents ont tôt fait d’y voir leur intérêt. En conséquence des investissements massifs qu’ils reçoivent d’Europe et des États-Unis et de la croissance qui s’ensuit, ces pays auraient dû voir leur monnaie s’apprécier, ce qui aurait naturellement et progressivement réduit leur compétitivité. Mais certains pays, la Chine en tête, empêchent leur monnaie de s’apprécier en rachetant massivement de la dette américaine. Aux gouvernants occidentaux d’expliquer aux citoyens ce qui se passe et de légitimer les changements. Est donc inventé le mythe d’un monde émergent qui, de lui-même, serait devenu économiquement viable (oubliées les hausses plus élevées des investisseurs occidentaux) en même temps qu’est inventé le concept de la société de la connaissance et de services. Certes plus rien n’est manufacturé en Europe et en Amérique du Nord, mais il nous reste le « savoir ». Le savoir ? Pêle-mêle : la recherche fondamentale et le R&D (Research & Development) ainsi que les services, financiers ou informatiques. Pour toutes les autres formes de « savoirs » – repassage, cuisine ou ménage à domicile – est inventé le chèque emploi-service. Mais la société de service se révèle peu prospère. Dès le début des années 2000, les ménages européens se sont appauvris, ne s’en rendant pas compte grâce à l’accès au crédit facile.

2007

La machine donnant du crédit à n’importe qui s’enraye, victime de son succès.

2008

Tétanisées par la contamination de produits financiers basés sur ces crédits qui ne valent rien, les banques ne prêtent plus. Pour éviter le pire, Europe et États-Unis consentent à recapitaliser les établissements bancaires tout en intégrant dans les comptes publics les « dettes pourries ». Dit autrement, la dette, immense et intacte, n’est plus une dette privée mais devient une dette publique – plus immense encore.

2009

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Les marchés boursiers saluent le redressement des entreprises. Les gouvernements annoncent en grande pompe la « Reprise ». En fait de reprise, la majorité des entreprises, à défaut de pouvoir vendre, s’adaptent en jouant de la seule variable d’ajustement qui leur reste : la variable humaine. Le personnel est réduit et rémunéré au minimum. Ce modèle d’une croissance économique sans croissance véritable est né dans le Japon et l’Allemagne des années 90 et se généralise désormais en Europe et aux États-Unis. Il est vrai aussi que les entreprises ont désormais à leur avantage de ne plus avoir de dettes, pour partie refilées aux États.

2010

Les dettes publiques sont si importantes qu’elles menacent d’asphyxier certains États. Bien que la Grèce produise proportionnellement autant que la France, les investisseurs prennent peur et demandent aux PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne) de réduire drastiquement déficits et dettes publics. L'Allemagne se joint à eux et met en exergue son modèle : les travailleurs sont soumis à une extrême flexibilité mais les entreprises y gagnent en productivité, exportent dans le monde entier (quoique pour moitié en Europe) et contribuent ainsi à la croissance allemande. Du reste, l’Allemagne a déjà payé pour la RDA et ses réticences à payer pour une bonne partie du continent peuvent paraître légitimes. Bon gré, mal gré, les États se plient à la volonté des marchés et annoncent des plans de rigueur. Dettes et déficit publics, en Europe, seront drastiquement réduits avant 2016, voire 2012 pour certains d’entre eux. Le déficit de la zone euro sera ramené à moins de 3 % avant cette échéance. Épilogue heureux ? Absolument pas. En réduisant les investissements publics et en imposant la rigueur à tous, l’Europe se condamne à détruire la dernière source de croissance qui lui restait : la consommation. Les États-Unis, eux, peuvent continuer pour quelques temps encore à avoir des dettes et déficit plus importants qu’en Europe. Les marchés ne le leur reprocheront pas tant que les émergents et les pays de l’OPEP continueront à acheter leur dette, soucieux de ne pas voir s’effondrer le dollar. La question est de savoir quand prendra fin cet accord tacite.

Lorsque les marchés se rendront compte que la dette publique n’a de sens que si on la rapporte au niveau de la dette privée (qui, elle, a massivement diminuée) et surtout lorsqu’ils se rendront compte que la rigueur tue toute croissance en Europe, que même l’Allemagne s’effondre faute de pouvoir exporter dans une Europe en récession profonde, alors ces derniers changeront peut-être d’avis.

Certains objecteront en évoquant le succès de certains plans de rigueur passés : ceux du Canada, de la Suède ou de l’Italie au début des années 90. Ces pays s’étaient imposé une cure d’austérité et au final, avait retrouvé de la croissance tout en assainissant leurs finances publiques. Ceux là oublieront de préciser que parallèlement, ces pays avaient dévalué leur monnaie pour pouvoir exporter et ainsi tenir le coup. L'Europe pourrait faire de même : une violente cure de rigueur qui, grâce à une dévaluation massive de l’euro (tel un euro à un dollar voire moins), ne la tuera pas. Mais les allemands, hantés par le souvenir des années 20, continuent de voir dans l’euro l’héritier du Deutsche Mark et refusent une dévaluation qui seule, pourtant, pourrait peut-être sauver l’Europe du pire.

Par Quetzalcóatl

Photos : Une ©Lisa Brewster/Flickr; Deutsche Mark ©amonja/Flickr; Central Bank ©U-g-g-B-o-y/Flickr

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