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La Berlinale interroge le racisme et la xénophobie

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Politique, engagé, inclusif, le festival de Berlin est fidèle à sa tradition qui prône la tolérance, l’ouverture des frontières et des esprits. A travers une série de films présentés notamment en compétition et au sein de la section « Panorama », le festival s’intéresse à la notion de l’étranger, de l’exil, du racisme et de la xénophobie.

Lorsqu’il s’installe à Berlin, le jeune réalisateur germano-afghan Burhan Qurbani emménage près du parc Hasenheide et se passionne pour les destins d’un groupe de dealers qui y passent leurs journées. Afin de parvenir à parler de ces personnes en s’assurant d’intéresser son public, il décide de relever un immense défi : porter son roman fétiche, « Berlin Alexanderplatz » d’Alfred Döblin, à l’écran. Il transforme le personnage initial de Franz Biberkopf en celui d’un réfugié venu d’Afrique de l’Ouest qui se retrouve embrigadé dans un gang de dealers et cambrioleurs de la capitale allemande. Présenté en compétition pour l’Ours d’Or, le film « Berlin Alexanderplatz » est une adaptation libre de l’œuvre littéraire majeure d’Alfred Döblin, que Qurbani a passé une grande partie de sa vie à lire et étudier.

Aux côtés de ses acteurs et de son équipe, Qurbani se mesure donc au réalisateur Rainer Werner Fassbinder, dont la série tirée du même ouvrage culte révéla dans les années 1980 certains des plus grands talents de l’Histoire du cinéma allemand - comme Barbara Sukowa ou Hanna Schygulla.

S’opposent à l’écran deux figures masculines : d’un côté Reinhold, un homme blanc, Allemand, interprété par le très créatif et talentueux Albrecht Schuch. De l’autre, Franz, réfugié africain, incarné par Welket Bungué, un acteur et réalisateur portugais-guinéen originaire de la tribu Balanta. Très ému lors de la conférence de presse, ce dernier a expliqué combien lui-même et toute l’équipe du film avaient mis leur sensibilité et leur propre expérience (lui-même est arrivé à Lisbonne à l’âge de trois ans) dans la création de ce récit et de ses personnages. « Si l’on regarde Berlin en tant que microcosme on peut apercevoir l’éclat d’un rêve dans lequel les gens tentent de s’élever. L’important n’est pas ce qu’ils font mais qui ils sont et ce qu’ils veulent devenir. C’est ce que je vois dans ce film. »

Au lieu des treize épisodes de Fassbinder, Qurbani a condensé son film en trois heures prenantes. Certaines performances sont inégales, et la nature du lien entre Reinhold et Franz ne tombe pas toujours sous le sens. Par ailleurs, par son choix de décors, de costumes et de lumières, Qurbani peint Berlin de façon esthétisante et privilégie un certain type de beauté. Un aspect « bien léché », plutôt qu’une vérité. Un tel parti-pris visuel est quelque peu déconcertant, étant donné le type de personnages et les destins auxquels le récit s’intéresse. Malgré tout, on plonge avec intérêt dans cet univers de gangsters et de prostituées. Cette adaptation moderne du roman permet d'aborder des thématiques actuelles comme la domination d’une couleur de peau sur l’autre, le destin des migrants lors de leur arrivée en Europe, les traumatismes intrinsèquement liés à leur parcours et leurs répercussions dans la construction d’une existence nouvelle.

Berlin Alexanderplatz
Berlin Alexanderplatz, de Burhan Qurbani

Ces thématiques sont également reprises dans « Exil », du réalisateur Kosovar Visar Morina, présenté dans la section « Panorama ». Chaque jour, un homme fait le même trajet en rentrant du travail, longeant les palissades des maisons semblables et avoisinantes. Mais ce jour-là, Xhafer sort net de sa rêverie : les yeux vitreux d’un rat mort pendu à la clôture de son jardin le fixent. Xhafer (Mišel Matičević, lui-même enfant de travailleurs « invités ») est Kosovar, marié à une thésarde allemande (Sandra Hüller) et père de trois enfants. Il parle un allemand sans faute, mène sa vie en travailleur ordinaire et discipliné. Mis à part quelques écarts avec la femme de ménage de son entreprise, elle aussi Kosovare, son existence paraît relativement exemplaire. Mais lorsque les signes d’un harcèlement raciste latent se mettent à envahir son quotidien, Xhafer réagit. Mais sa femme soulève l’hypothèse qu’il ne s’agit peut-être pas de racisme. Il ne ressemble pas à un Arabe ou à un Noir, peut-être ses collègues, loin d’être xénophobes, ne l’aiment-ils tout simplement pas en tant que personne ?

Un scénario d’une grande intelligence qui n’enferme pas son personnage principal dans un rôle unique mais pose une série de questions aussi troublantes que passionnantes : Xhafer est-il véritablement victime de racisme et de harcèlement, ou se montre-t-il paranoïaque ? Qui est l’agresseur ? Qui est l’agressé ? Morina donne à voir toute l’ampleur des problèmes liés à l’immigration, l’intégration, la domination, l’inégalité, l’exil et le racisme ordinaire. Sa caméra filme les nuques transpirantes, les fronts en sueur, les cols de chemise mouillés par la moiteur, les longs couloirs mal éclairés, les boîtes qui tiennent lieu de bureaux, aux couleurs et matériaux tristes. Une vie comme une « rat race », qui vient hanter Xhafer jusque dans ses cauchemars et à travers les actes de plus en plus violents qui transforment bientôt son destin.

Présenté lors du festival du film de Sundance en première mondiale, le film parvient parfaitement à exprimer le fléau du racisme, de l’injustice et de l’inégalité, la façon dont ils affectent l’âme humaine et empoisonnent l’existence, se répercutant comme un traumatisme d’un être à l’autre, détruisant toute solidarité, toute générosité, tout élan spontané de cœur, jusqu’à conduire à l’aliénation sociale, familiale et - pire encore - à l’aliénation de soi.

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Exil, de Visar Morina

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