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Keep It Mellow : "La musique m'a aidé à accepter mon homosexualité"

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À l’occasion de la sortie de son premier album, Number 13, la chanteuse compositrice gay et non-binaire Keep It Mellow raconte comment la musique l’a amené•e là où elle est aujourd’hui.

Anne Billoët : À quel moment la musique a pris de la place dans ta vie ?

Keep It Mellow : Je faisais du violoncelle au conservatoire depuis l’enfance mais arrivée à douze ou treize ans, j’ai troqué l’archet contre un médiator. J’ai commencé la guitare et me suis inscrit•e à l’activité extrascolaire de musique de mon école, le groupe rock. J’étais une gamine plutôt timide, peu sûre de moi, et commencer à faire du son et à tout relâcher sans avoir peur de ce qu’on pensait de moi m’a fait énormément de bien. J’ai commencé à me faire beaucoup plus de potes à partir de ce moment-là. En même temps, je me suis enhardi•e et j’ai commencé à produire après avec des versions crackées de Logic Pro® [logiciel de création musicale, ndlr].

La musique m'a aidé à prendre confiance en moi et à assumer mon homosexualité

A.B. : Le moment où tu as commencé à faire de la musique c’est aussi le moment où tu as commencé à assumer ton orientation sexuelle, est-ce que tu dirais que les deux sont liés ?

K.I.M. : Totalement. Je me sentais plus sûr•e de moi grâce au groupe rock, et ça m’a encouragé à avoir des relations amoureuses et à être fier•e de mon homosexualité. Tout d’un coup, on me faisait des compliments, on faisait attention à moi et cette positivité m’a complètement renforcé•e. En fait, là où la musique a été déterminante, c’est que grâce au groupe rock j'ai considéré la musique comme mon espace de confiance, comme mon exutoire.

Keep It Mellow qui chante à un concert du groupe rock
Keep It Mellow au groupe rock © Maurice Fainsilber

A.B. : À quels moments la musique a eu un impact sur tes relations personnelles ?

K.I.M. : À chaque fois. Comme au groupe rock où j’ai rencontré mes meilleurs amis, arrivé•e en études supérieures j’ai rejoint un concept similaire qui s’appelait Culture Rock où j’ai rencontré celui avec lequel j’ai co-écrit des musiques et tenu les rôles principaux d’une comédie musicale. Elle s’appelait les Vertiges de l’Amour et c’était plutôt pas mal ! (rires) Mais après, là où ma musique et mes relations sont vraiment liées c’est surtout au niveau amoureux. Je sortais beaucoup à l’époque au Caméléon à Odéon dans le 6ème arrondissement de Paris, qui était équipé d’un piano et d’un orgue au sous-sol. J’y ai rencontré la fille qui a tout changé. J’y jouais un soir et cette belle Brésilienne me regarde, mes amis me disent d’aller lui parler mais je sais pas… je voulais pas au début (rires). On a fini par se fréquenter pendant trois mois avant qu’elle reparte au Brésil. C’était beau, c’était touchant et c’était chill. On s’était attaché•es, en tout cas moi c’était sûr ! Elle a fini par repartir et elle m’envoie un pavé sur la beauté et l’importance de notre relation. Elle me propose de venir au Brésil et je prends son invitation au pied de la lettre. Je mets de l’argent de côté, je travaille, je ne pense qu’à elle. J’étais sourd•e à tout le reste à l’époque. Je prends mes billets d’avion avec mon meilleur ami pour la rejoindre et passer le Nouvel An à Itaunas.

J'étais sourd•e à tout le reste à l'époque

Deux jours après notre arrivée, dans ce coin perdu sur la côte Brésilienne, elle me largue. Et là c’est une claque de réalité que je me prends en pleine figure. Je comprends que je ne m’écoute pas assez, que je fonctionne avec des automatismes romantiques.

C’est là que je suis rentré•e et que j’ai écrit Away. C’est le premier son de tout le projet Number 13. C’est l’histoire d’un robot qui se réveille et qui petit à petit devient humain, explore le monde et commence à comprendre comment il fonctionne.

La peur de ressentir des choses ne vaut rien

J’ai compris que mes émotions valent la peine d’être prises en compte tout comme celles des autres, que cette peur de ressentir des choses ne valait rien. Avant, je ne comprenais pas mes émotions, je ne les acceptais pas, ce qui peut conduire à des situations dangereuses pour soi.

A.B. : Tu as eu d’autres relations qui ont impacté ta musique, ou l’inverse ?

K.I.M. : En fait c’est évolutif. D’un côté cette relation avec la Brésilienne et tout ce qui en a découlé a renforcé mon son, en a fait quelque chose de plus vrai. Ça m’a fait sortir des petites balades mignonnes et ça m’a projeté dans l’écriture de textes pleins de colère, de peur, de questions. Me retrouver dans cette situation m’a forcé à évoluer. C’est toujours quand on est acculé et qu’on pense qu’on n’a plus le choix qu’on avance le plus.

C'est toujours quand on pense qu'on n'a plus le choix qu'on avance le plus.

Cette prise de conscience a eu un impact sur ma musique et ma façon d’être. J’ai rencontré mon ex à ce moment-là, et notre relation a été extrêmement constructive à la fois pour ma musique et pour moi-même. Elle m’a aidé à m’organiser, elle m’a accompagné et quand nous avons rompu, j’ai pris conscience qu’il fallait que je sois capable de me fournir cet accompagnement seule. Encore une fois, je suis à l’étranger, à la Réunion, seul•e, et on se sépare quand je rentre à Paris. Je réfléchis et j’évolue. Je suis rentré•e deux fois plus déterminé•e à Paris, et j’ai écrit, composé et interprété une demi-douzaine de morceaux.

Je ne crois pas qu'un son devrait être confiné•e à un seul arrangement.

A.B. : Quand est-ce que tu t’es rendue compte que tu étais non-binaire ?

K.I.M. : Je le savais depuis mes 15 ans, mais j’ai vraiment commencé à l’accepter quand je suis partie vivre en Espagne en 2020. Grâce à tout ce que j’ai vécu, j’ai proposé un projet béton à l’une des meilleures écoles de musique du monde, la Berklee College of Music, basée à Valence. Le projet s’appelle Number 13, et il est évolutif. Comme Bandersnatch, l’épisode de Black Mirror, mais en version audio et vidéo. C’est ce qu’on appelle un album synesthétique. Je ne crois pas qu’un son devrait être confiné à un arrangement. C’est pourquoi je propose différents chemins pour l’évolution sonore des musiques proposées dans l’album. Et cette philosophie, je l’applique aussi aux êtres humains, moi compris. Je n’ai jamais été entièrement féminine, je fais 1m85, j’ai les cheveux courts, je n’apprécie pas les codes genrés féminins notamment en matière de vêtements.

Keep It Mellow en train de composer de la musique
Keep It Mellow en train de composer

Et arrivé•e à la Berklee, je rencontre des personnalités non-binaires. À Paris, c’était plus compliqué d’assumer cette dualité au sein de moi. Soit on m’appelait mademoiselle, soit monsieur, mais expliquer et développer cette affirmation d’être différent•e était moins évident et moins compris. En Espagne, je trouve mon pronom. “They”, parce que je ne suis ni vraiment masculin, ni vraiment complètement féminine. Je garde le “she”, parce que j’aime être une femme aussi.

A.B. : Ton album est non classé en matière de style, parce que tu penses que la musique comme la personnalité ne devraient pas être enfermés dans une catégorie. Tu peux en parler ?

K.I.M. : Number 13 commence avec Away, ce morceau dans le clip duquel le robot se transforme petit à petit en être humain et commence à découvrir le monde. Au fur et à mesure de son parcours, iel rencontre l’amour, la déception, la colère et puis la paix. L’EP est interactif à trois niveaux, et invite l'auditeur•ice à faire des choix qui vont venir le•a faire intervenir dans la composition de l'album. Comme les relations humaines, la musique ici se crée à plusieurs, dans l'interaction, la réciprocité. Tout le monde a un rôle à jouer. D’abord les textures : le choix de trois matières, cuir, bronze ou velours, va influencer les sonorités des musiques. Le cuir va leur donner un côté plus distordu. Le bronze va être plus aérien, plus clair, et le velours va donner des sons plus doux et intimistes. Ensuite, les couleurs : ça touche la vidéo et le son. Bleu, c’est plus digital, rouge c’est organique. Et pour finir, les animaux : un choix qui vient moduler la vitesse des sons, ainsi que le tempo. Le guépard va être plus rapide et droit, en staccato, alors que le panda va être plus rond, ralenti, et syncopé. À la fin, le robot scanne à travers un filtre mathématiquement binaire le monde autour de lui, et finit par scanner un humain. Quand iel le perçoit, d’autres chiffres apparaissent : un, trois… Et cela donne Number 13.

A.B. : Et pourquoi 13 ?

K.I.M. : Parce que c’est mon chiffre préféré. J’ai toujours eu de la chance les vendredi 13, comme si je volais la chance de tout le monde. Surtout, même si tu es très malchanceux•se, tu finis toujours par rebondir et ça pourrait bien être la meilleure chose qui pourrait t’arriver. Qui plus est, le 1 est binaire, le 3 ne l’est pas. Comme moi, une partie est binaire, une autre non. Et c’est un nombre premier : il est indivisible.

Story by

Anne Billoët

French journalism student, Anne loves music (a world without disco, Hamza and the Red Hot Chili Peppers can not exist), feminism and what's hot and crazy in this world. She really doesn't understand the fear of change and the hate born of comparison.