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Internet, un outil pour transformer la Bosnie ?

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ORIENT EXPRESS REPORTER tripled

(Photo (cc)guerry-monero/flickr -http://www.facebook.com/Guerry.Images) « In Bosnia they don’t have roads but they have Facebook. » Cette sentence sans appel ne vient pas de Bosnie mais du biopic sur la vie de Mark Zuckerberg, The Social Network. Aussi simpliste qu’elle puisse paraître, cette idée est pourtant vraie. La Bosnie d’aujourd’hui demeure dans une situation chaotique.

Les divisions ethniques persistent et le pays s’est transformé en un puzzle politico-administratif dont on ne compte plus les échelons. Mais l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux pourrait discrètement contribuer à une évolution sociale profonde et durable, affirme Simon Benichou.

En février 2012 s’est tenue pour la première fois à Sarajevo une conférence sur le thème de la responsabilité politique et des nouvelles technologies. Chercheurs, journalistes, activistes de la région mais aussi du monde arabe ou des États-Unis ont fondu sur la ville pour débattre de la surveillance citoyenne des gouvernements ou de la manière dont Internet peut contribuer à fédérer des mouvements civiques. Invités à expliquer leur communication sur le Net, les représentants des partis bosniens se sont retrouvés sous le feu des critiques. « Tous les partis ont des comptes Facebook, Twitter, YouTube, mais ils s’en servent uniquement comme un nouveau vecteur de publicité. Il n’y a pas de dialogue, pas d’interaction avec les électeurs, estime Damir Kapidzic, chercheur en sciences politiques à l’université de Sarajevo. Seuls deux partis ont fait des mises à jour depuis les élections. » La faute aussi à un manque de culture du dialogue sur les réseaux sociaux. Internet n’a réellement fait sont entrée dans la société bosnienne qu’entre 2004 et 2007. Si le réseau se développe rapidement, il faut du temps pour que les citoyens s’approprient pleinement tout son potentiel.

De la corruption au clientélisme

« Que tu sois ingénieur, universitaire ou astronaute, si tu n’es pas lié à un solide réseau, tu vas te retrouver très limité dans tes choix. »

Depuis les accords de Dayton, le système politique de la Bosnie-Herzégovine ressemble à un jeu de stratégie pour maniaques : trois entités aux statuts différents, une fédération composée de deux districts bosniaques et croates, une république serbe, un district neutre en partie géré par l’ONU, une présidence élue pour 4 ans composée d’un Serbe, un Croate et un Bosniaque qui gouvernent à tour de rôle pendant 8 mois… Tous ces éléments ont permis d’aboutir à une relative stabilité, mais pas à créer une cohésion nationale. La corruption et le clientélisme demeurent et freinent le développement du pays. Une très grande partie des électeurs votent en fonction de leurs intérêts ethniques, ce qui ne pousse pas vraiment les élus au compromis et à la responsabilité. « Les partis politiques sont soit au service d’une ethnie, soit multiethniques et populistes, explique Damir Kapidzic. Et les journaux sont également liés à un parti ou à un groupe ethnique. »

Tariq Kapetanovic. Tariq Kapetanovic.

Depuis son compte twitter, Tariq Kapetanovic n’hésite pas à interpeller publiquement les ministres sur des questions locales. Assis à la terrasse de son cybercafé situé dans un quartier où vivaient les apparatchiks sous Tito, au nord-ouest de la ville, il se montre volontiers affable et blagueur. Pourtant, son parcours n’a pas été des plus simples. Coincé à Sarajevo pendant le siège de la ville, il doit attendre la fin de la guerre pour partir étudier le journalisme aux États-Unis. À son retour, il découvre que ses diplômes ne sont pas valables en Bosnie. « J’ai alors étudié les sciences politiques, mais je ne voulais pas m’engager et me retrouver prisonnier dans un système clientéliste. J’ai donc décidé d’ouvrir un cyber café (le KA5aNCafe, ndlr). Comme ça, je peux gagner ma vie sans me lier les mains. » Parallèlement, il commence à bloguer sur la vie quotidienne à Sarajevo et sur l’impact de la politique à l’échelle locale. Aujourd’hui, il partage sa vie entre son café et son travail de consultant en relations publiques sur les réseaux sociaux, auprès des marques ou d’un jeune parti politique. Optimiste lorsqu’il évoque l’évolution des technologies à Sarajevo, Tariq Kapetanovic l’est beaucoup moins au sujet du monde politique et de la corruption qui l’entoure. « Que tu sois ingénieur, universitaire ou astronaute, si tu n’es pas lié à un solide réseau, tu vas te retrouver très limité dans tes choix. Beaucoup de gens ne trouvent pas de travail pour ces raisons. Le changement sera long car c’est vraiment ancré dans les mentalités. »

« La seule chose que l’on peut faire, c’est continuer à se battre »

Il existe pourtant des pistes : les portails en ligne comme Klix ou Buka, très fréquentés par les jeunes, sont beaucoup moins dépendants des partis et des groupes ethniques que la presse et la télévision. Et d’autres initiatives pourraient finir par influer sur le système médiatique. Comme celle d’Ermin Zatega. Depuis 6 ans, ce colosse aux yeux clairs enquête pour le Center for Investigative Reporting, un des rares médias totalement indépendant. Des affaires de corruption locales à l’appropriation des ressources naturelles par des compagnies privées, personne n’y échappe. Pourtant, Ermin ne cache pas son scepticisme sur l’avenir du pays. « Parfois j’ai des élans d’optimisme, mais pas en ce moment. J’ai le sentiment que nous sommes en train de perdre la bataille contre la corruption. En tant que société, en tant que journaliste et en tant qu’être humain. Mais la seule chose que l’on peut faire, c’est continuer à se battre. »

C’est ce que fait inlassablement Zasto ne, une association qui se charge de promouvoir les initiatives sociales autour des nouvelles technologies. D’abord active dans les mouvements pacificateurs au début des années 2000, la structure s’est progressivement transformée en plateforme pour des projets qui utilisent Internet de manière militante. Le local exigu de l’organisation se cache dans un quartier où des barres d’habitation de style années 60 enserrent des carrés de pelouse jaunie par le soleil de juillet. Rien de moderne ne se semble pouvoir naître ici… Un sentiment que balaie Tijana Cveticanin lorsqu’elle évoque Istinometer, un site internet qui utilise le fact-checking pour exposer les propos délibérément contradictoires ou mensongers des politiciens. Une manière d’aider les Bosniens de toutes ethnies à se saisir des enjeux politiques

Tijana Cveticanin. Tijana Cveticanin.

Et si les technologies influençaient directement la politique ? « Depuis 20 ans, la Bosnie se maintient dans un état d’apartheid ethnique », estiment les membres du Parti Pirate Bosnien. Sur le modèle de leurs cousins européens, ils veulent créer une structure détachée des influences nationalistes qui s’appuie sur la responsabilité individuelle de ses membres tout en créant une vision collective. Un véritable paradoxe en Bosnie, où les partis sont majoritairement constitués sur le modèle « une ethnie, un chef, une structure ». L’idée n’est encore qu’à l’état d’embryon, mais le collectif prend son temps afin de créer un mouvement crédible et durable. « Cela Même si les gens ne comprennent pas forcément toute notre démarche, ils réagissent très positivement au mot “pirate“. Cela peut paraître anodin, mais c’est pour nous le signe que les Bosniens n’acceptent plus l’inertie du système et réclament une alternative. »

En partenariat avec l’Office franco-allemande de la jeunesse (Ofaj), cet article fait partie d’Orient Express Tripled, une série d’article par cafebabel.com écrit par des journalistes résidents dans les Balkans, en Turquie, en France et en Allemagne. Plus d’informations sur le blog ici.

Photos : Une (cc)guerry-monero/flickr ; Texte : © Alfredo Chiarappa, pour “‘Orient Express Reporter II” par cafebabel.com ; 

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.