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Internes en médecine : « le pire, c’est qu’on passe pour des nantis »

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Société

Lundi dernier, l’Intersyndicat national des internes en médecine a appelé à la grève pour protester contre leurs conditions de travail, de plus en plus hallucinantes. Pour se rendre bien compte du diagnostic, nous avons contacté un ancien interne d'un CHU de province, docteur depuis deux semaines, qui nous explique que sauver des gens dans ces dispositions, ce n’est pas une vie. 

cafébabel : Tu n’es pas trop crevé en ce moment ?

Simon : Si parce que je viens de terminer l’internat. Je suis docteur depuis deux semaines. Du coup, j’ai plus de responsabilités. Je suis en maternité et je dois gérer des trucs un peu chauds comme ce que l'on appelle des hémorragies de l’accouchement. C’est ce changement de statut qui est un peu stressant et qui explique que je sois un peu fatigué.

« La promesse de poste, c'est à celui qui sucera le plus fort »

cafébabel : Tu n’as pas beaucoup dormi ?

Simon : Non, j’étais de garde ce weekend donc j’ai fait des nuits blanches. Là ça va, je suis de consultation aujourd’hui, je peux souffler un peu.

cafébabel : Tu fais quoi comme horaire quand tu es de garde ?

Simon : Je commence à 8h le matin et je quitte l’hôpital le lendemain à 8h. 

cafébabel : Tu ne te reposes jamais ?

Simon : Non. On mange juste le midi en 30 min. 

cafébabel : Peux-tu rappeler ce qu’est un interne en médecine ?

Simon : C’est un médecin en formation qui a le droit de prescrire mais qui n’a pas le grade de docteur. Un médecin non-payé en fait. On est embauchés sur des contrats de 6 mois qui correspondent à la durée des stages. 

cafébabel : As-tu participé à la grève à laquelle l’Intersyndicat national des internes a appelé ?

Simon : Non car je ne suis plus interne et que je n’ai pas eu d’informations sur celle-ci. Mais j’ai déjà participé à plusieurs grèves en tant qu’interne, pour les mêmes raisons. Je l’ai suivie de loin mais la grève de lundi concernait encore une fois le temps de repos de garde ainsi que les deux demi-journées de formation. Ce sont des mesures prévues dans les textes de lois mais qui ne sont jamais respectées. 

cafébabel : Ces grèves sont-elles suivies en général ?

Simon : Celles auxquelles j’ai participé, oui. Pour celle de lundi, je crois qu’il n’y avait que 5 à 10% de participants parmi le total des internes. De toute manière, ces grèves s’essoufflent très vite. Beaucoup de personnes craignent pour leurs postes futurs ou d’être mal perçus par leurs chefs de service. La promesse de poste après l’internat, c’est un peu la carotte au bout du bâton. Ou à celui qui sucera le chef le plus fort. 

cafébabel : Sais-tu que la Commission européenne a relevé un non-respect par la France de plusieurs droits fondamentaux dans l’organisation du temps de travail des internes ?

Simon : Oui. La Commission fixait le temps de travail par semaine à 48h. Alors qu’en moyenne on travaille plus, même si cela dépend des spécialités. Quand j’étais interne, mon taux horaire était très variable. Je faisais plus de 45h en moyenne mais il m’est arrivé d’enchaîner 90h à cause des gardes de nuits. On était 30 internes au CHU (Centre hospitalier universitaire, nldr) à l’époque, et on faisait les gardes à 4. Du coup, elles revenaient assez souvent.

Moins que le SMIC

cafébabel : Quel est le salaire d’un interne ?

Simon : En début d’internat, tu touches 1 400 euros. Et à la fin de l’internat, je gagnais 2 000 euros, 2 300 euros net avec les gardes. Quand tu ramènes au salaire horaire, c’est moins qu’un SMIC. Pour une garde compète de 24h le dimanche, tu gagnes 200 euros. 

cafébabel : Est-ce que t’as déjà senti que tu pouvais faire une connerie à cause de la fatigue ?

Simon : Ouais, c’est clair et net. J’ai déjà fait des bêtises par manque de vigilance. J’ai laissé un outil en métal dans un cathéter (dispositif qui sert à distribuer ou retirer des fluides de l'organisme, ndlr) alors qu’en général c’est quelque chose que l’on retire rapidement. Sauf que j’étais tellement fatigué que j’ai oublié de l’enlever. On s’en est rendu compte une semaine après. Ce qui craint, parce que ça aurait pu abîmer la veine et le cœur. C’est un exemple parmi tant d’autres. Après, il y a toutes les erreurs actives que l’on voit immédiatement ainsi que toutes les erreurs de diffusions qui peuvent avoir des répercussions dramatiques 3 ou 4 jours après. 

cafébabel : Tu n’es pas le seul à avoir fait des fautes d’inattention ?

Simon : Non, loin de là. Même nos chefs nous disent « ne vous inquiétez pas, on a tous des morts dans nos placards ». 

« Un jour j'aurais le cadavre d'une femme enceinte entre les mains »

cafébabel : Beaucoup d’internes parlent de burn-out. Ça t’est déjà arrivé ?

Simon : Oui. Et c’est marrant d’ailleurs parce qu’on pense que ça n’arrive qu’aux autres. C’est vraiment quelque chose de latent. T’en arrives à en n’avoir plus rien à foutre des gens. Tu fais tes trucs, tout seul.  

cafébabel : Tu n’as jamais eu envie de tout plaquer ?

Simon : Ah si, souvent. Après, de là à passer à l’acte… Tu sais, on n’est pas très bien reconnus par la population en général. On passe un peu pour des nantis. Parfois, t’en viens à ne plus l’accepter. Puis viennent les périodes de calme où l’on se dit que, finalement, on fait un métier intéressant. Dans mon cas, je soulage la douleur des gens. C’est assez gratifiant et on arrive toujours à se raccrocher à ça. 

cafébabel : Les revendications des internes sont-elles généralement soutenues par le personnel des hôpitaux, les chefs de services ?

Simon : C’est extrêmement variable. Il y a des chefs qui sont vraiment super et qui ont tendance à nous défendre. Et puis il y a ceux de la vieille école qui en ont tellement chié qu’ils ne comprennent pas pourquoi on se révolte. 

cafébabel : Quand tu as participé aux grèves des internes, qu’attendais-tu du gouvernement français ?

Simon : Du respect. J’ai l’impression que nous ne sommes pas respectés en tant que médecins. Un interne, c’est la cheville ouvrière de l’hôpital. Ce qui nous fait mal, ce sont les nouvelles méthodes de management dérivées des idéologies ultra-libérales, qui sont appliquées à l'hôpital par des mecs qui sortent des écoles de gestion. Ils détruisent les équipes et cassent l'esprit de cohésion au bloc opératoire. 

Nous on s'en fout de travailler dur et beaucoup, le métier est passionnant. Mais l'application de critères de rentabilité avant même de savoir si la qualité des soins est adéquate nous rend dingues. La substance du métier disparaît. On supprime des postes sans réfléchir et je pense qu'un jour j'aurai le cadavre d'une femme enceinte entre les mains parce qu'on supprime les soupapes de sécurité les unes après les autres. Et tu sais ce qu'on nous a répondu ? Que ça coûtait moins cher à l'hôpital d'avoir un procès par an pour un décès de femme enceinte plutôt que de maintenir un plateau de laboratoire sur l'hôpital, qui permet d'avoir des résultats biologiques rapides pour guider la réanimation des hémorragies graves. Tu ajoutes à ça que certains chefs de service nous traitent comme de la merde et tu finis par penser qu’on est juste une variable d’ajustement.

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.