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In The Loop : Dans l'univers d'un hackerspace à Paris

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ExperienceParisNumérique

Dans un squat conventionné au cœur de Paris, les hackers du Loop se réapproprient les technologies pour défier les champs du possible et de l'impossible, de façon créative et engagée. État des lieux d'un hackerspace où l'on s'amuse, on boit de la bière (artisanale) et où l'on ne porte pas de cravate.

Derrière un panneau « Zone expérimentale », des escaliers extérieurs s’enfoncent vers un sous-sol. C’est là que se trouve le « Loop » (Laboratoire ouvert ou pas), un hackerspace niché dans le 12e  arrondissement de Paris. En descendant, une cage à oiseaux pend au dessus de la tête des visiteurs. Les hackers y ont troqué les colombes blanches contre les souris d’ordinateur, probablement mieux à même d’incarner la liberté à leurs yeux.

« Un lieu qui reste libre et que tout le monde peut s’approprier »

Des unités centrales empilées les unes sur les autres, des câbles en pagaille, des fers à souder, difficile de définir précisément ce qu’est un « hackerspace ». « C’est là où on fait de la bidouille », résume Nar, un gars du Loop. Ce jour-là, les habitués sont occupés à organiser la soirée du weekend avec la « Gare XP », un collectif d'artistes orienté punk, installé juste à côté. « Est-ce qu’on a livré assez de fûts de bière ? Comment on fait pour les entrées ? Un système de bracelets ? », lance un type aux cheveux longs.

D’ici la soirée, les gens du Loop auront trouvé la solution parce qu’il s’agit bien de cela : la débrouille. Que ce soit pour détecter le manque d’eau dans la cuvette des toilettes au moyen de détecteurs lasers, ou de confectionner une imprimante 3D « from scratch » (à partir de rien), ils sont capables de tout. « Le ciel est la limite », prévient Tom, le fondateur du Loop. C’est le principe même du hackerspace. « C’est un endroit où se regroupent des gens qui s’approprient des technologies, nouvelles ou pas, échangent entre eux et voient ce qu’ils pourraient faire ensemble. C’est un lieu qui reste libre et que tout le monde peut s’approprier », explique le hacker. Pour se définir, les gens du Loop citent le glossaire spécialisé dans l’argot des hackers, le « Jargon File » : un hacker est celui qui aime le défi intellectuel de dépasser et contourner les limitations ou les restrictions de façon créative (« One who enjoys the intellectual challenge of creatively overcoming or circumventing limitations »).

Le Loop est ce que les gens en font. « On n’a qu’une règle : "ne m’oblige pas à faire des règles". Tu viens pour faire ce que t’as envie de faire », rapporte Tom. En résultent des activités informelles et désorganisées, mais dont l’énergie finit toujours par créer des choses utiles ou absolument inutiles, des festivals improvisés, ou encore des « cryptoparties ». Ce sont des rencontres où les hackers apprennent aux débutants les bases de la cryptographie, à chiffrer des emails, ou encore à explorer le Dark Net via « Tor », un réseau mondial décentralisé parallèle au Web qui garantit l’anonymat. En ce moment, des cours de cryptographie ont lieu au Loop, dispensé par un invité de marque dans l’univers Geek, Nadim Kobeissi. Avec son allure d’adolescent, le jeune homme a déjà inventé Cryptocat, un service en ligne de discussion sécurisé qui avait notamment été utilisé pour déjouer la censure lors du printemps arabe.

« Si on se plantait, les mecs là-bas pouvaient y passer »

Au dos de leur écran, les hackers ont customisé leur PC de stickers « Tor », « Keep your eyes open », ou encore de la « Quadrature du Net », une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. C’est aussi ça le Loop, un lieu engagé même si les hackers sur place arborent la figure des antihéros. Certains sont liés à Télécomix, un groupe international de hackers engagés pour la liberté d’expression. « Télécomix n’est pas un regroupement de 10 000 hackers à cagoules. Non, ce sont des gus qui se sont dit: "techniquement on peut détourner la censure" », minimise Tom.

Le groupe s’était illustré en détournant le trafic internet sortant de Syrie pour aider les internautes contre les risques d’être surveillé. Le hacker raconte que c’est au cours de la révolution en Égypte que l’idée est venue de réagir. « C’est incroyable qu’un dictateur se dise ça suffit, je vais maîtriser l’opinion publique, je vais couper Internet. Alors, il y a quatre geeks qui dépensent vingt balles pour avoir un serveur et Internet ça passe par eux maintenant. Tout s’est improvisé », raconte Tom. Mais le hacker met en garde : s’engager implique des responsabilités.

« Si on se plantait, les mecs là-bas pouvaient y passer. Si on n’a plus de nouvelles d’un mec, ça craint. Parfois, on sait que techniquement on pourrait arranger les choses mais on n’y va pas parce qu’on n’a pas envie de mettre les pieds dans un truc dangereux. Donc engagé oui, mais à la mesure de nos moyens », nuance-t-il. Difficile de savoir qui, au Loop, s’aventure dans le « hacktivisme » et dans quelle mesure. « Il y a des choses que je fais mais j’en parle pas forcément à tout le monde », témoigne Tom.

« Il faut se rendre compte que Apple nous ment »

Le Loop occupe actuellement le sous-sol du Jardin d’Alice, un collectif d’artistes branché écolo qui a accepté de conventionner le squat. Certains hackers profitent de la terrasse torse nu au soleil pour taper sur leur clavier. Pour Tom qui a déjà déménagé le laboratoire une dizaine de fois, le concept même du squat intègre la philosophie du Loop. « Tu peux visser dans les murs, le truc que t’as pas le droit de faire dans ton immeuble ou ton université. Ici au contraire, faut y aller. Ce serait dommage. On ne cherche pas à accumuler du matos, et à investir, on sait qu’on est mobile tout le temps », dit-il.

Le hackerspace préconise la doctrine du DIY « Do It Yourself ». Au Loop, on démystifie tous les objets et les outils qui nous entourent. Le lieu incite à créer soi-même ce dont on a besoin plutôt que de courir dans les supermarchés. Si l'on a perdu ses cahiers d'électricité et de technologie des cours de troisième, Internet et les gens du Loop sont là pour apporter et partager leurs connaissances.

Le concept des hackerspaces n’est pas nouveau. Dans les années 70 et 80, le « Homebrew Computer Club », dans la Silicon Valley, rassemblait des amateurs et les passionnés d’informatique qui venaient échanger leurs idées, leurs expériences et leurs innovations. Parmi eux, Steve Jobs et Steve Wozniak qui ont confectionné Apple I. Pour autant, c’est plus à l’ambiance et à l’énergie créatrice de ces lieux que le Loop préfèrera sans doute qu’on le compare plutôt qu’aux origines du succès commercial de la multinationale américaine.

« Il faut se rendre compte que Apple nous ment et qu’ il ne faut pas des scientifiques super perchés et des laboratoires de dingues avec des budgets impossibles pour faire des choses. T’inquiètes, nous l'Ipad on te le fabrique avec de la récup’. Il faut arrêter de mystifier l’informatique. C’est tout bête, c’est de la logique. Avec le marketing en face maintenant c’est foutu, tout le monde croit que Apple, c’est magique », regrette-t-il.

Et s’il y a bien une chose qui énerve Tom c’est que l’univers du Loop soit détourné par le monde des entreprises. « Il y a des start-ups qui viennent ici pour recruter. Si on voulait faire du fric on ne viendrait pas au Loop », tranche-t-il. Le hackerspace pourrait bientôt de nouveau déménager ses paillasses électroniques et ses claviers pour trouver un autre squat. À suivre sur leur site internet Leloop.org.