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Il pleure sur Prague

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La Parisienne

Les travées du théâtre « Les Déchargeurs » présentent, avec gigantisme, une adaptation du livre de la mainte fois lauréate, Sylvie Germain, La Pleurante des rues de Prague . En incorporant ''une géante à l’apparence inorganique, Claire Ruppli, interprète avec profondeur le phrasé lyrique d’une œuvre délicieuse.

La pleurante des rues de Prague 2 Sept années ont suffi à Sylvie Germain pour délivrer la capitale de la République-Tchèque de tout faste. Prétendument romantique, la ville est appréciée, dans La pleurante des rues de Prague comme un coffre inhabité où subsistent quelques bribes de vie. Le vide est abyssal. Et le fond chaotique est paradoxalement compensé par la présence énigmatique d’une géante. La pièce conte l’indolent vagabondage d’une géante aux pieds fragiles qui vogue mystérieusement dans les rues de Prague. Écho d’une identité, réceptacle des souffrances humaines, elle est le kaléidoscope des pleurs, des rancœurs et des souvenirs maudits. Elle soutient sur son corps massif le désespoir d’une ville dont les quartiers sont autant de méandres anxiogènes. Clopin-clopant, elle suspend le temps, le domestique, pour élever son apparence « incorporelle mais visible » au-dessus d’une tourbe de malheurs dont le fil des saisons va atténuer la peine. Lentement, la géante, vêtue d’oripeaux et tissées de larmes, va peu à peu disparaître pour laisser Prague dans la retraite d’une époque, à jamais révolue. « Qui ne dure pas mais qui laisse des traces ».

La pleurante des rues de Prague 1

Insolent de vérité

Nimbée dans cet univers fantomatique, quasi-apocalyptique, Claire Ruppli, menue et protéiforme, lorgne, seule et prudente, les claudications de la géante. Enfouie dans la pénombre de la scène, elle narre d’une voix staccato la marche impériale d’un corps sans vie qui ne se meut qu’avec le ressenti pénible des vivants et des morts. Unique narratrice au sein d’une Prague lugubre, la comédienne fait parfois preuve de témérité pour mieux décrire la vérité qui transparaît derrière cet immense suaire ambulant. Il y a, selon Sylvie Germain, un peu de « chèvre de Monsieur Seguin » chez Claire Ruppli. C’est insolent de vérité. Tant l’interprète sous l’emprise d’un texte sans faille semble à la fois énergique et sclérosée face à une force aussi pétrifiante que majestueuse.

Une Prague-mélodramatique

Parce que dans un dialogue sans réponse, la prestation de Claire Ruppli parvient à nous intimer la présence de deux êtres. Bien que la géante n’ait rien d’humain, sinon le poids des âmes, la comédienne devient simultanément spectatrice avertie et pleurante désolée. C’est en cela que la pièce n’est pas seulement une lecture d’une œuvre chantante, souple et chatoyante. Elle est aussi le produit d’un jeu intimiste dont les quelques surprises font parfois abandonner le subtil agencement des mots. La manière dont Claire Ruppli a choisi de les dicter jette le spectateur dans les rues de Prague-mélodramatique. Celui-ci se retrouvant aussitôt lové dans un temps immémorial entre terreur (guerre 39-45), félicité (le printemps) et mystère. Ce, aux pieds des jambes sans cheville d’une géante qui erre en portant le fardeau des hommes tout en veillant sur l’extravagance d’une ville qu’elle ne quittera finalement jamais. On ressort de la pénombre de la salle en claudiquant, happés par la sincérité proposée. Et lorsqu’en plein mois d’août, une bise automnale se fraie dans les pliures de chemise, on a tendance à y croire. Et de lever les yeux, pour voir si Paris, lui aussi, ne pleure pas.

Bande-annonce de la pièce

Par Matthieu Amaré

''Jusqu'au 9 octobre, du mardi au samedi, 20h. tarifs : 10 / 14 /18 / 22 € Rés. au 0892 70 12 28 (0.34 ct/mn) Théâtre Les Déchargeurs 3, rue des Déchargeurs 75001 Paris www.lesdechargeurs.fr''

''Claire Ruppli présentera l'auteur, Sylvie Germain, lors d'une rencontre qui aura lieu le lundi 13 septembre à 19h à la librairie Les Guetteurs de Vent (108 avenue Parmentier, 75011 Paris) durant laquelle elle lira des extraits choisis de La pleurante des rues de Prague. La comédienne témoignera également de son expérience personnelle de lectrice et d'artiste. ''

Photos : Stanislas Kalimerov

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.