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« Il faut faire valoir les droits des homosexuels dans la pratique »

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Des associations comme l’ILGA souhaiteraient que la législation européenne de lutte contre les discriminations touche d’autres domaines que l’emploi entre vraiment dans les faits. Comment ? Interview.

Mis à jour le 1er juillet 2005

Christine Loudes est en charge du secteur « Recherche » d’ILGA-Europe, où elle est notamment chargée de l’évaluation de la législation européenne en matière de lutte contre les discriminations. Elle présente ici les objectifs et les modes d’action de l’ILGA-Europe, et souligne le partage des compétences entre Etats et UE en matière de lutte contres les discriminations basées sur le genre.

café babel : Qu’est-ce qu’ILGA-Europe?

Christine Loudes : C’est la branche européenne de l’International Lesbian and Gay Association. Depuis 1996, ILGA-Europe développe son programme et travaille avec le Conseil de l’Europe, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et l’Union européenne (UE). ILGA-Europe compte plus de 200 membres dans 40 Etats européens et se bat contre les discriminations basées sur l’orientation sexuelle et le genre et pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres). Au niveau de l’UE, nous travaillons pour que la législation contre les discriminations soit étendue au-delà du domaine de l’emploi.

Quelles sont les réalisations d’ILGA-Europe et les grands chantiers pour l’avenir ?

L’article 13 du Traité d’Amsterdam (1997) est un de nos grands succès : c’était la première fois qu’il y a eu mention de l’orientation sexuelle comme base des politiques de lutte contre les discriminations. Ce fut décisif, puisque depuis, l’Union s’intéresse à la question des personnes LGBT. Nous avons aussi fait beaucoup de lobbying pour que la directive-cadre sur l’emploi soit adoptée en 2000 puis mise en œuvre dans les Etats, non sans difficultés, depuis décembre 2003.

La reconnaissance des droits des LGBT comme des droits humains et pas comme des droits « à part » et l’amélioration de la visibilité, basée sur les droits de l’Homme et pas uniquement sur la lutte contre les discriminations, des questions LGBT,. font partie des combats qui restent à mener.

Quelle sont vos activités et combats actuels ?

En ce moment, nous travaillons beaucoup sur l’égalité et la lutte contre la discrimination. La législation européenne reste limitée à l’emploi ; nous essayons donc d’élargir cette législation à l’accès aux services, la santé, le logement… qui recèlent de nombreuses discriminations. Nous travaillons aussi sur l’intégration sociale, pour que l’égalité et les droits humains soient reconnus au niveau européen. La Constitution européenne fait de ces droits une valeur centrale, mais nous essayons de les faire valoir dans la pratique en faisant sur les institutions obtenir une égalité réelle, dans les faits et pas uniquement dans les lois. Nous travaillons aussi beaucoup sur le développement des droits humains en générale, en particulier sur le droit à la famille et la reconnaissance de la famille diverse, le droit à la protection contre les violences homophobes ou transphobes. L’immigration nous concerne également, dans la mesure où de nombreuses personnes LGBT sont demandeuses d’asile. Enfin, nous apportons un soutien aux personnes LGBT qui se portent devant la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) ou la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Les niveaux national et européen sont donc complémentaires ? Qui sont les bons et les mauvais élèves de la classe européenne en matière de traitement des personnes LGBT ?

C’est difficile à dire. Il y a des Etats où il y a beaucoup de violence ; d’autres où les discriminations sont plutôt administratives. On peut penser que la Belgique et les Pays-Bas font très bien puisqu’ils ont reconnu le mariage homosexuel. Mais en Belgique, ce mariage n’inclut pas l’adoption.

Par ailleurs, certaines décisions relèvent du niveau national et d’autres du niveau européen. Si on parle du droit à la famille par exemple, il faut agir à tous les niveaux : c’est en général un domaine de la compétence exclusive des Etats mais l’Union européenne légifère par exemple sur la liberté de circulation. Or si l’on prend le cas de ce couple homosexuel légitime composé d’un Allemand et d’un Américain, vivant en Allemagne. Le partenaire européen part travailler en Autriche. Mais l’Autriche ne reconnaît pas le couple et refuse de laisser entrer son partenaire, extra-communautaire, sur le territoire national. De même, pour les enfants élevés par un couple de lesbiennes : si la mère biologique ne peut entrer dans le pays, les enfants ne le peuvent pas non plus. L’impact [de la libre-circulation] au niveau des relations familiales est donc très fort et cela pose problème en Italie par exemple, où la reconnaissance des couples gays et lesbiens est difficile. Si l’UE n’a pas de compétence sur le mariage ou le partenariat, lorsque ce mariage ou ce partenariat existe, il doit être reconnu par les autres Etats membres pour permettre la liberté de circulation des personnes dans l’UE.

Votre action est donc surtout d’ordre juridique ?

Elle est aussi politique. Pour l’affaire Buttiglione par exemple [Commissaire pressenti, il a du renoncer en raison de prises de position pour le moins conservatrices sur la famille et les homosexuels], nous avons beaucoup travaillé avec le Parlement [européen] en relayant les propos du Commissaire-désigné et en démontrant qu’il avait tenté de s’opposer à la Charte des Droits Fondamentaux ou encore en suggérant aux députés les sujets de questions à poser [aux candidats-Commissaires lors des auditions au Parlement européen]. Ses idées religieuses ne nous posent aucun problème ; parmi nos membres il y a des catholiques, des musulmans ou des juifs. Mais il n’était pas acceptable que sa morale religieuse puisse influencer ses choix politiques.

Pour conclure, y’a t-il une « vision LGBT » de l’Europe et du projet européen ?

Des évènements comme l’Europride où toutes les personnes LGBT d’Europe se retrouvent montrent que des similitudes existent dans la culture LGBT, mais qu’il y a aussi des différences nationales et c’est très bien. Il faudrait juste que ces différences n’empêchent pas les personnes LGBT d’exister. C’est pour cela que nous nous battons.