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Hector Muelas, vice au coeur

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Default profile picture Fernando Garcia

Hector Muelas, 25 ans, est le rédacteur en chef catalan de la version allemande de Vice, magazine gratuit, trash et controversé dont la popularité chez les jeunes ne connaît plus de frontières. Entre journalisme gonzo et provocation gratuite.

Pour notre déjeuner, Hector Muelas a opté pour des sushis. Nous nous rendons donc dans un restaurant japonais à deux pas de son bureau berlinois. Les serveuses, de minces et délicates Asiatiques vêtues de courtes chemises brillantes, papillonnent et se fondent dans le décor coloré de la salle. Elles s'affairent, chargées d'assiettes plates débordant de makis et autres sushis.

Mon invité, vêtu d'un sobre sweat-shirt noir, sait déjà ce qu'il veut : à peine installé, il commande directement le menu 'spécial maki' avec du concombre au lieu de l'avocat. La serveuse hoche la tête. « Ja», lui répond-elle avec un léger accent asiatique avant de repartir précipitamment et de disparaître dans la cuisine. Nos plats sont en route. C’est seulement maintenant que Muelas me regarde, le visage dur et sévère. Je remarque que ses traits sont tirés.

Le business du glauque

C'est qu'il n'est pas tout les jours facile d'être le rédacteur en chef de l’un des magazines 'jeunes' les plus en vogue. Il faut dénicher des sujets accrocheurs, organiser des soirées, s’y rendre ou vendre des pages de publicité. Une avalanche de travail qui justifie peut-être l'air renfrogné de Muelas.

Le magazine Vice est réputé pour ses articles provocateurs, ses photos d'organes génitaux, de cadavres ou de prostituées en train de se piquer côtoyant des pubs pour Adidas, Nike ou Coca-Cola. Le journal fait l'apologie de la décadence et des habitudes malsaines. Les confrères de Muelas qui travaillent pour d'autres supports préfèrent ignorer Vice pour lequel ils n'éprouvent que du dégoût.

Périodique gratuit autofinancé grâce aux revenus générés par la publicité insérée dans ses pages, Vice est distribué dans les magasins, les galeries et les bars de la plupart des pays anglophones, en Scandinavie, au Japon et depuis juillet, en Allemagne.

Depuis son lancement outre-Rhin, les réactions ne se sont pas faites attendre : d'un côté les âmes choqués, yeux écarquillés et mine scandalisée, de l'autre les amateurs, fou rire aux lèvres à chaque page. Hector Muelas, ce petit jeune homme brun yeux cernés après une nuit passée à boire, peut se vanter de ne pas laisser ses lecteurs indifférents.

Au départ, Muelas n'avait rien du candidat idéal pour ce poste. Frais émoulu de l'une des plus prestigieuses écoles d'art de Barcelone dont il sort diplômé en communication visuelle, il part en Allemagne où il étudie durant deux ans aux Beaux-Arts et y parfait ses compétences artistiques dans le cadre du programme européen d'échanges Erasmus. Une fois ses études achevées, il est très vite engagé en tant que directeur commercial chez BMW. Il travaille également à la réalisation d'installations visuelles, expose en Allemagne et en Suisse et assiste dans ses travaux John Armleder, un artiste plasticien suisse très connu.

Une vision extérieure

Comment expliquer alors que ce jeune homme de vingt-cinq ans occupe le poste de rédacteur en chef de la version allemande de Vice alors qu'il ne maîtrise pas la langue germanique, ni ne justifie pas de la formation adéquate ? « Il n'aurait pas été malin de mettre un Allemand à la tête du magazine », m'explique Muelas tout en buvant bruyamment la soupe Miso que notre serveuse a posé sur la table. « En tant qu'étranger, j'ai une vision extérieure des choses », ajoute-t-il.

Le procédé rejoint la philosophie de Vice dont les articles, à en croire Muelas, « présentent un point de vue diamétralement opposé à celui adopté dans la majorité des médias ». Les journalistes y écrivent sans se soucier de la censure ni du politiquement correct comme c’est le cas de la majorité de ceux issus d'une presse que Muelas qualifie de « frileuse et peu consciencieuse ».

« 'Vice' aime et déteste tout le monde, sans distinction : les blancs, les noirs, les rouges, les verts et les bleus, les chrétiens, les bouddhistes, les juifs et les musulmans etc… Pourquoi ne serions-nous pas libres de parler de sexe et de race dans nos pages comme nous en parlons entre amis ? », reprend Muelas.

Le genre d’amis qui s'affublent de surnoms affectueux comme « cul de babouin », qui ‘testent’ la boulimie pendant une semaine histoire de rédiger un article marrant ou qui demandent aux soldats qui combattent en Irak à quand remonte leur dernier rapport sexuel. Le comité de rédaction de Vice rédige collectivement les papiers en rapport avec les races et le sexe pour ne pas se départir de ce ton propre à Jackass –l’émission culte diffusée sur MTV- et à la jeunesse, si l'on en croit Muelas.

Alors que je voudrais m’étendre davantage sur l’aspect provocateur de Vice, l’arrivée du menu 'Spécial maki' me coupe dans mon élan. Les assiettes sont joliment présentées et les sushis répartis en deux carrées de neuf pièces chacun. Alors que nous mastiquons consciencieusement algues, riz et poissons, Muelas se met à parler du rôle de Vice sur la scène médiatique contemporaine : « Vice provoque ses lecteurs de façon intelligente. C’est son contenu même qui est choquant. Notre magazine a bousculé les règles du journalisme classique et remet en question son concept de manière naïve et chaotique. Lorsque nous décidons de publier un papier sur la prostitution, nous trouvons une prostituée qui accepte de rédiger un article sur le sujet. Et si l’orthographe ou la grammaire lui posent des difficultés, tant pis, cela fait partie d’elle, » explique t-il longuement.

Tous les thèmes traités dans Vice sont autant d’opportunités pour les oubliés, les cas sociaux ou les Monsieur et Madame Tout-le-monde désireux de faire partager leurs histoires personnelles, aussi absurdes soient-elles. « Ces gens peuvent passer pour des simples d’esprit ou des cons arrogants selon les cas, mais si l’on fait abstraction du langage ordurier et salace derrière lequel ils se cachent, ils peuvent faire preuve d’une grande capacité d’analyse de notre société », affirme Muelas.

Mais on peut toujours se demander si les lecteurs cherchent réellement à gratter pour découvrir cette profondeur de jugement ou s'ils s’esclaffent simplement à la lecture du malheur d'autrui, comme les confessions d’un drogué en détresse aux cabinets ?

Des réactions à chaud

Changement de sujet lorsque nous évoquons le lectorat et les réactions déclenchées par Vice. Muelas m’explique que les libéraux et les socialistes jugent le magazine raciste et fasciste. Les conservateurs quant à eux l’accusent de n’être qu’un fanzine de luxe, anarchiste par-dessus le marché.

Et Muelas de rétorquer du tac-au-tac : « à gauche, on nous traite de conservateurs et du côté des sympathisants du nazisme, d’anarchistes. A votre avis, est-ce que tous ces trous du cul à droite voient d’un bon œil les seins et les culs que nous exhibons et la drogue dont nous faisons l’apologie ? Non, bien sûr que non. Ils nous haïssent. »

Muelas fait toutefois une distinction entre les réactions des Européens et des Américains vis-à-vis du magazine : « Nos lecteurs européens sont davantage critiques et ont un bagage culturel autrement plus important que les Américains. Ici, les gens voient dans nos articles le reflet de la culture jeune, alors qu’aux Etats-Unis, ils les considèrent comme représentatifs de leur pays.  »

C’est certainement cette reconnaissance d’une culture jeune internationale alternative qui est la clé du succès de Vice en Europe. Car les jeunes trouvent la dépravation cool. Vice cherche actuellement à s’implanter aux Pays-Bas et partira bientôt à l’assaut d’autres pays.

La serveuse revient pour les desserts. En guise de pâtisserie, Muelas lui commande un paquet de cigarettes. Elle lui apporte des Malboro light et nous commençons à nous régaler de nicotine. Aurais-je été contaminé par le vice ? Ce ne sont que des cigarettes, pas du crack. Alors que mon invité s'en allume une dernière, il me demande si j’ai encore d’autres questions. A ce moment précis, son patron passe devant notre restaurant en lui montrant de loin sa montre. Je secoue la tête. Il sort et disparaît dans un nuage de fumée.

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Translated from Hector Muelas – when political correctness gets in the way