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Guerre et justice : faut-il encore juger les crimes nazis ?

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Default profile picture Sophie Ehrsam

Politique

Le 3 février, la Cour internationale de Justice, la plus importante cour de l’ONU, a voté : à 12 voix contre 3, il a été décidé que l’Allemagne ne pouvait pas être poursuivie en justice pour des faits liés à la Seconde guerre mondiale.

Ce vote fait suite à la décision d’une cour de justice italienne, en 2004, d’offrir une compensation à Luigi Ferrini pour ses travaux forcés en Allemagne pendant la Seconde guerre mondiale.

La décision de la Cour internationale de Justice a suscité dans les média allemands des réactions généralement sobres et équilibrées. La plupart des journaux et des hebdomadaires se contentent de « rapporter les faits ». L’affaire est surtout présentée comme un effort pour clarifier certains principes de droit international, et non comme un jugement sur la légitimité des compensations réclamées pour les crimes de guerre de l’époque nazie. Certains journaux ont toutefois remis en question la pertinence du programme de réparations qui a actuellement cours en Allemagne à la lumière de cette législation. Avec raison, dans la mesure où l’un des arguments essentiels du gouvernement allemand avant le verdict de la Cour internationale de Justice était que toute offre de compensation individuelle faite par une cour italienne mettrait du plomb dans l’aile à ses efforts de redressement.

La politique de la villa

Comme le titre de la décision de la Cour internationale de Justice l’indique, le problème crucial qui a été débattu était de déterminer s’il faudrait ou non autoriser l’engagement de poursuites à l’encontre d’un État souverain dans une cour étrangère. En 2008, la plus éminente cour de justice italienne, la Corte Suprema di Cassazione, a décrété que l’Allemagne devait réparation aux survivants d’un massacre dans le village toscan de Civitella, où plus de 200 personnes ont été tuées. La cour a fait confisquer une villa sur le Lac de Côme qui appartenait à l’État allemand, ainsi qu’une partie des revenus du trafic ferroviaire transfrontalier. La Cour internationale de Justice a cependant rejeté cette décision, jugeant qu’elle était contraire à « l’obligation due à l’Allemagne par l’État italien ». C’est donc maintenant au gouvernement italien de s’assurer que les juges ne prendront plus de telles décisions à l’avenir.

Aussi bien dans le libéral Zeit Online que dans le conservateur Der Tagesspiegel, on reconnaît que les choses sont compliquées pour certains groupes de victimes. Les deux journaux évoquent le fait que les seuls étrangers susceptibles de recevoir une compensation sont ceux qui ont subi « des persécutions typiques du régime nazi », comme la déportation et l’internement en camp de concentration. Mais selon Zeit Online, ces efforts sont aussi minces que rares. Les compensations existantes n’offrent en moyenne que 150 DM (75 euros) par mois d’internement. Bien d’autres, les travailleurs forcés et les victimes de crimes de guerre, ne sont pas explicitement reconnus par l’Allemagne : il leur faut attendre un accord politique à part pour pouvoir bénéficier de compensations.

Derrière les histoires, les gens

De nombreux reportages reconnaissent que Luigi Ferrini a été un catalyseur dans l’affaire jugée pour la Cour internationale de Justice, mais à l’exception de ceux du Zeit Online, peu s’intéressent à l’aspect humain de l’histoire. En août 1944, Ferrini a été transféré de sa ville natale de Talla à Kahla, en Thuringe (lander situé au centre de l'Allemagne, ndlr). On l’a forcé à construire des tunnels souterrains qui permettraient l’assemblage du Me 262, un bombardier allemand sophistiqué. La faim et les mauvaises conditions de travail ont coûté la vie à presque 1000 des collègues de Luigi Ferrini. Lui-même, bien que gravement malade, a survécu et est rentré en Toscane. À l’âge de 85 ans, il attend toujours une compensation pour ce qu’il a subi à l’époque. L’approche la plus intéressante par rapport à la décision de la Cour internationale de Justice est celle du magazine Der Spiegel. « L’Allemagne attaque l’Italie en justice et gagne. Pourtant ceux qui semblent perdants dans l’affaire applaudissent en secret la décision tandis que bien d’autres gouvernements dans le monde entier soupirent de soulagement. » L’article suggère que si la Cour internationale de Justice avait pris une autre décision, c’était la porte ouverte à ce que des masses de gens vivant en Libye, en Afghanistan ou dans les Balkans déposent des plaintes du même ordre.

« À 24 ans, pourquoi devrais-je être tenu responsable de ce que des gens ont fait il y a presque un siècle ?»

Le ressenti des Allemands par rapport au problème de la Seconde guerre mondiale est aussi variable qu’il l’a toujours été. Commentaire d’un lecteur sur le site de Die Zeit : « À 24 ans, pourquoi devrais-je être tenu responsable de ce que des gens ont fait il y a presque un siècle ? Ce qui compte, c’est qu’on ne refasse jamais les mêmes erreurs. En tant que professeur de sciences politiques, je m’implique là-dedans. » Un autre lecteur a demandé si on ne devrait pas, tant qu’on y était, demander compensation « pour le fait d’avoir survécu au massacre de Carthage en 146 avant JC ou à la Guerre de trente ans en 1618 ». Un dernier s’interroge : peut-on considérer que l’Allemagne actuelle a réellement succédé au Reich allemand ? « Les alliés ont contribué à fonder et à organiser la République Fédérale d’Allemagne telle qu’elle existe aujourd’hui. Comme l’a dit le ministre des Finances Schäuble, l’Allemagne n’a jamais été un pays totalement souverain depuis la fin de la guerre. »

Photo : (cc) Chapendra/ flickr; Vidéo (cc) euronews

Translated from Germany legal immunity in nazi war crimes: national media reports