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Geremek : « Il faut redéfinir le projet européen »

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Bronislaw Geremek, ancien dissident polonais et historien renommé, est convaincu qu'un large débat sur l'avenir de l'Europe représente une issue à la crise institutionnelle de l’UE.

Européen, Polonais et francophile, Bronislaw Geremek est député au Parlement de Strasbourg, membre du groupe « Alliance des Libéraux et des Démocrates Européens » (ADLE). Il fait partie de cette génération de politiciens et d’intellectuels qui ont sorti leur pays du communisme. Historien spécialisé dans la période médiévale, tête pensante du mouvement Solidarnosc, ancien ministre des Affaires Etrangères de la Pologne, Bronislaw Geremek n’a jamais caché son amour pour l’Europe. Mais son rêve européen est maintenant en crise. C’est l’heure des questions.

Bronislaw Geremek, où va l’Europe ?

Je pense que le caractère dramatique de la question décrit bien la situation dans laquelle nous nous trouvons. L’Union européenne est dans une période de questionnement sur son avenir, alors que l’élargissement du 1er mai 2004 aurait dû susciter un sentiment de renouveau à l’égard du projet d’intégration européenne. Je crois que deux éléments sont à l’origine d’une certaine angoisse dans l’avenir de l’UE. Tout d’abord, les résultats négatifs des referendums sur la Constitution en France et aux Pays-Bas. Ensuite, l’échec du sommet de Bruxelles [du 16 et 17 juin 2005], qui n’a pas permis d’aboutir à une décision sur les perspectives financières de l’UE pour la période 2007-2013. L’UE se trouve aujourd’hui face à un nouveau défi. Il faut redéfinir le projet européen. Il faut revoir comment, plus d’un demi-siècle après le début de l’intégration européenne, nous envisageons l’avenir de l’Europe.

Cela ne fait qu’un an et quelques mois que les PECO ont adhéré à l’Union européenne. Quelle signification prend la crise institutionnelle que traverse l’Europe aux yeux de ces peuples ?

Nous avons un sentiment de déception à l’égard des opinions publiques européennes, qui semblent ne pas reconnaître le caractère historique et positif de l’élargissement. Il faut dire qu'il n'y a pas eu de débat public sur ce problème et les institutions de l'UE n'ont pas essayé d'informer les citoyens européens sur le véritable enjeu de l'élargissement. Après 13 mois, on peut constater que l’élargissement a été une opération «win-win» des deux côtés.

Pourquoi donc ne pas répondre aux attentes des nouveaux pays ?

Depuis l’échec des négociations sur le budget de l’Union, les nouveaux pays craignent que l’UE ne tienne pas ses engagements à leur égard. Nous avons également des inquiétudes sur la direction que prend la construction européenne. Nous cherchons dans l’UE une structure forte, capable de créer un sentiment de sécurité sur le continent.

Est-il pertinent d’ouvrir les négociations avec la Turquie maintenant, alors que l’UE traverse une crise cruciale pour son futur ?

Il me semble que nous devons tenir les promesses que nous avons faites et entamer les négociations avec la Turquie. Nous ne pouvons pas proposer un autre statut à la Turquie, en faisant abstraction de toute la période qui a précédé le début des négociations. Mais ces négociations prendront beaucoup de temps, 15 années peut-être, à l’issue desquelles l’Union européenne et la Turquie auront évolué. Et ce n’est qu’une fois les négociations achevées, que les deux parties prendront une décision, d’une part sur la base des capacités d’absorption de l’UE et d’autre part sur la volonté de la Turquie d’adhérer à l’Union.

Comment faut-il lutter contre cette crise que traverse l’Europe ? Qui doit diriger ce renouveau ?

L’Europe devrait laisser de côté ses craintes et regarder l’avenir avec espoir. Nous avons besoin que l’Europe occupe une place digne dans le monde. Et pour cela, il faut repenser la stratégie de Lisbonne et se fixer des objectifs à la hauteur des défis de la globalisation. Une des faiblesses de la situation actuelle est l’absence de moteur dans la construction européenne. Je crois que le moteur franco-allemand reste important pour l’avenir de l’UE mais il ne suffit plus. Et je suis certain que les nouveaux pays – de concert avec les anciens pays – peuvent apporter beaucoup à l’Union.

Les eurosceptiques affirment que les institutions européennes sont très éloignées du monde réel et que Bruxelles est une tour d’ivoire bureaucratique.

Je pense qu’il faut laisser de côté le scepticisme et avoir plus de foi dans les forces motrices de l’Europe. Pour autant, je ne pense pas que ce soit eurosceptique de reprocher à l’UE d’être éloignée des intérêts quotidiens des citoyens. Il faut savoir répondre à cela de façon positive, en proposant une politique européenne audacieuse qui s’attelle à rendre l’économie européenne plus dynamique, à lutter contre le chômage, à mettre l’accent sur l’éducation et la recherche. Je crois que ce sont des tâches qui ne doivent pas incomber seulement aux gouvernements nationaux. Il faut une harmonisation entre les politiques nationales et une politique européenne courageuse.

Comment pouvons nous rapprocher les citoyens et les institutions ?

Je crois que l'écart existant est le plus grand danger qui guette l’Europe maintenant. Il faut savoir le surmonter. Mais ce n’est pas avec des décisions venant des institutions européennes que l’on y arrivera. Il faut maintenant s’adresser directement au citoyen, en dépassant le cadre des élus politiques et des intellectuels. L’Europe a besoin d’un grand débat citoyen sur son avenir.